Tu ne peux pas t’accuser d’un accident.
Mais je me rappelle : pas grand-chose, mais je me rappelle au moins cela. J’étais tellement terrorisée. Je ne sais plus ce qui s’est passé là-bas… là-bas dans l’escalier. Je me rappelle une douleur terrible ; je n’avais qu’une seule idée : fuir. J’ai couru et j’ai couru et lorsque je suis arrivée devant le ravin, j’ai sauté, tout en sachant pertinemment que je n’atteindrais jamais l’autre bord.
— On fait tous des bêtises lorsqu’on a peur, la raisonna-t-il.
— Oui, mais maintenant tu es coincé ici par ma faute.
— Nous sommes coincés tous les deux, admit-il. Je ne prétendrai pas que je me plais ici ; ce serait idiot. Aucun de nous n’a envie de moisir ici. Mais aussi longtemps que tu seras mal en point je resterai avec toi. Et je ne te reproche rien de ce qui est arrivé pour la bonne et simple raison que rien n’est de ta faute. »
Elle ne dit rien mais continua de sangloter doucement un long moment. Lorsqu’elle eut fini de pleurer, elle renifla bruyamment et le regarda dans les yeux.
« J’ai envie de rester ici, dit-elle.
— Quoi ? » Il se recula légèrement mais elle le tenait bien.
« Je veux dire que je t’aime beaucoup.
— Je ne crois pas que ce soit vraiment moi que tu aimes. »
Elle hocha la tête. « Je vois ce que tu veux dire, mais ce n’est pas vrai. Je t’aime tout le temps, que tu sois calme ou enragé. Tu as tant de facettes. J’ai l’impression d’être peut-être la seule à les avoir connues toutes. Et je les aime toutes.
— Quelques toubibs ont prétendu les connaître toutes », remarqua-t-il sans joie. Comme Valiha ne répondait pas, il en vint à la question qu’il redoutait de poser depuis un long moment : « Est-ce que je te fais l’amour quand je suis fou ?
— Nous faisons l’amour avec tumulte et passion. Tu es mon étalon viril et je suis ton androgyne érotomane. Nous passons des ébats frontaux à la communion antérieure puis on se titille à tâtons. Ton pénis…
— Stop, stop ! Je ne t’ai pas demandé de détails salaces.
— Je n’ai rien dit de rhyparographique, rétorqua-t-elle vertueusement.
— Je n’ai pas… qu’est-ce que t’as fait ? T’as bouffé un dictionnaire ?
— Je me dois de connaître tous les termes anglais, pour mon expérience.
— Que… ? tant pis, tu me raconteras ça plus tard. Je sais que je t’ai fait l’amour une fois. Je voulais juste savoir si je continuais.
— Pas plus tard qu’il y a vingt ou trente revs.
— Et ça ne te gêne pas que je fasse ça seulement lorsque je suis fou ? »
Elle considéra la question. « J’ai toujours eu du mal à comprendre ce que tu voulais dire par fou. Parfois, tu perds une partie de tes inhibitions – encore un terme avec lequel j’ai des difficultés. Cela te crée des problèmes avec les femmes humaines qui ne désirent pas copuler avec toi, et avec tous ceux qui se mettent en travers de tes désirs. Moi, je n’ai pas de problème parce que dès que tu commences à devenir turbulent, je te prends par les cheveux et je te tiens à bout de bras. Quand tu es calmé, je te raisonne. Tu y réagis parfaitement bien. »
Chris eut un rire qui même pour lui sonnait creux.
« Tu me sidères. J’ai été examiné par les meilleurs médecins de la Terre. La seule chose qu’ils ont pu faire, c’est de me donner des pilules à peu près inefficaces. Ils seraient fascinés d’entendre ton traitement : le prendre par les cheveux, le tenir à bout de bras et raisonner avec lui. Ah, douce raison !
— Ça marche, rétorqua-t-elle sur la défensive. Je suppose que ça pourrait fonctionner dans une société où tout le monde serait plus grand que toi.
— Mon comportement dans ces moments-là ne te fait pas reculer ? Les Titanides ne se violent jamais, n’est-ce pas ? Je m’attendais à ce que tu me trouves… disons, répugnant, lorsque je me comporte ainsi. C’est tellement anti-titanien.
— Je trouve la plupart des comportements humains anti-titaniens. Peut-être, lorsque tu es « fou », ton comportement est-il un soupçon plus agressif que la normale mais toutes tes passions s’en trouvent exaltées, l’amour comme l’agressivité.
— Je ne suis pas amoureux de toi, Valiha.
— Si, tu l’es. Même cette partie de toi, celle qui est raisonnable, m’aime d’un amour de Titanide : immuable mais trop grand pour n’être réservé qu’à une seule personne. C’est toi qui me l’as dit lorsque tu étais fou. Tu m’as dit que ton moi raisonnable n’admettrait pas cet amour.
— Il t’a menti.
— Tu ne me mentirais pas.
— Mais je suis là pour être guéri de tout ça ! s’exclama-t-il avec une frustration croissante.
— Je sais, gémit-elle, de nouveau au bord des larmes. J’ai si peur que Gaïa te guérisse et que tu ne connaisses jamais ton amour pour moi ! »
Chris n’avait jamais entendu une discussion aussi dingue. Mais peut-être était-ce lui qui l’était, dingue ; définitivement. C’était dans le domaine du possible. Mais il ne voulait pas la voir pleurer ; c’est vrai qu’il l’aimait bien et soudain, ça ne rima plus à rien de lui résister. Il l’embrassa. Elle répondit instantanément à son baiser, avec une force et une passion alarmantes, puis elle s’interrompit pour coller ses lèvres contre son oreille :
« N’aie pas peur, lui dit-elle. Je ferai doucement. »
Il sourit.
* * *
Ce ne fut pas facile mais en fin de compte il parvint à confectionner le berceau lui permettant de se reposer confortablement pendant que ses jambes guérissaient. Dénicher trois perches suffisamment longues et solides parmi les buissons rabougris qui, dans cette caverne passaient pour des arbres, ne fut pas une mince affaire mais une fois qu’il les eut trouvées, il n’eut pas de mal à monter un grand trépied. Il avait juste assez de corde pour faire l’écharpe qu’il rembourra avec l’étoffe de vêtements inutiles dans la chaleur de la grotte. Quand ce fut terminé, Valiha se hissa avec précaution à la force des mains et Chris positionna ses jambes dans les boucles. Elle se laissa glisser dans le berceau en poussant un soupir de contentement. Par la suite, elle devait passer le plus clair de son temps avec les sabots antérieurs suspendus à quelques centimètres du sol.
Mais pas tout le temps. Dans le berceau, il n’était pas possible de faire l’amour frontalement et cette activité était rapidement devenue une part importante de leur existence. Chris ne tarda pas à se demander comment il avait pu survivre si longtemps sans cela puis il comprit qu’évidemment la question ne se posait pas : il n’avait pas cessé de faire l’amour avec elle depuis le début. Il sentait maintenant qu’il aurait probablement succombé au désespoir pour se laisser dépérir et mourir de faim au milieu de l’abondance. Même le lait de Gaïa avait meilleur goût et il se demanda si la différence venait de lui et non de Sa Majesté.
Valiha n’était pas une femme : ça n’aurait rimé à rien de se hasarder à la trouver mieux ou moins bien ; elle était différente. Elle avait un vagin frontal qui se conformait à son anatomie avec une lubrique précision trop belle pour être le fruit du hasard cosmique. C’est presque s’il n’entendait pas glousser Gaïa. Quelle blague vis-à-vis de l’humanité de s’être arrangé pour que la première intelligence non humaine qu’elle rencontre fût en mesure de jouer aux mêmes jeux et avec le même équipement ! Valiha était un vaste terrain de jeux charnels, du bout de son large nez à l’extrémité de ses sabots arrière en passant par toute la surface de sa douce peau dorée et tachetée. Elle était entièrement humaine – sur une plus grande échelle – par la caresse de ses mains, la masse de ses seins, le goût de sa peau, de ses lèvres et de son clitoris. Et en même temps, elle était parfaitement inhumaine avec ses genoux saillants, les muscles lisses et fermes de son dos, de ses hanches et de ses cuisses, et avec l’imposante saillie de son pénis lorsqu’il émergeait, humide et glissant, de son fourreau. Lorsqu’il l’embrassait dans le creux derrière ses oreilles d’âne si expressives, elle avait une odeur humaine.
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