— Enfin voyons, quelle… Cessez de dire des bêtises et décampez d’ici.
— Bien sûr, Jubal, dit-elle avec humilité. Mais écoutez-moi, je vous en prie. Je voudrais vous dire quelque chose. Sur les femmes.
— Demain matin.
— Maintenant, Jubal. »
Il soupira. « J’écoute. Mais restez où vous êtes.
— Jubal… mon frère bien-aimé. Les hommes s’intéressent beaucoup à notre apparence physique. Nous faisons donc tout notre possible pour être belles. Vous savez que je faisais du strip-tease. Et c’était bon de laisser les hommes prendre plaisir à ma beauté. C’était bon pour moi de savoir qu’ils avaient besoin de ce que j’avais à leur donner.
« Mais les femmes ne sont pas comme les hommes, Jubal. Ce qui nous intéresse, c’est ce qu’un homme est. Ce peut être aussi stupide que : « Est-il riche ? » Ou alors : « Prendra-t-il bien soin de nos enfants ? » Et parfois, c’est : « Est-il bon ? » Bon comme vous l’êtes, Jubal. La beauté que nous voyons en vous n’est pas celle que vous cherchez en nous. Vous êtes beau, Jubal.
— Pour l’amour de Dieu, mon enfant !
— Je pense que vous dites vrai. Tu es Dieu et je suis Dieu, et j’ai besoin de toi. Je t’offre de l’eau. Veux-tu que nous la partagions et nous rapprochions ?
— Écoutez, mon petit, je comprends ce que vous m’offrez…
— Tu gnoques, Jubal. Partager tout ce que nous possédons. Nous-mêmes. Le Soi.
— Je le pensais. Vous avez beaucoup à partager, ma chère enfant, mais moi… vous arrivez bien des années trop tard. Je le regrette sincèrement, croyez-moi, et je vous remercie du fond du cœur. Et maintenant, laissez un vieil homme dormir tranquillement.
— Vous dormirez, lorsque l’attente sera accomplie. Je pourrais vous prêter des forces, Jubal, mais je gnoque clairement que ce n’est pas nécessaire. »
(Et ce ne l’était pas !) « Non, Aube. Je vous remercie vraiment. »
Elle se redressa et se pencha au-dessus de lui. « Un dernier mot. Jill m’a dit que si vous discutiez, je devais pleurer. Dois-je laisser couler mes larmes sur votre corps, et partager l’eau avec vous de cette façon ?
— Jill va avoir droit à la fessée !
— Oui, Jubal. Ça y est, je pleure. » Une chaude larme tomba sur sa poitrine, puis une autre… beaucoup d’autres. Elle sanglotait dans un silence presque total.
Jubal poussa un juron, puis l’attira vers lui… et coopéra avec l’inévitable.
Il y avait bien longtemps que Jubal traversait la sombre période qui sépare le lever de la première tasse de café en se disant que cela irait mieux le lendemain. Ce matin-là, il se réveilla reposé, alerte et heureux.
Il se surprit à siffloter, s’arrêta, haussa les épaules, et recommença.
Il sourit en se voyant dans le miroir : « Incorrigible vieux bouc, dit-il à sa réflexion, le corbillard ne tardera pas à venir te chercher. » Apercevant un long cheveu blanc sur sa poitrine, il l’arracha, sans se soucier de nombreux autres tout aussi blancs, et continua à s’apprêter pour faire face au monde.
En sortant, il tomba sur Jill. Par accident ? Il ne croyait plus guère aux coïncidences dans ce ménage aussi organisé qu’un computer. Elle se jeta dans ses bras. « Oh Jubal ! Nous t’aimons tellement ! Tu es Dieu. »
Il l’embrassa avec une ferveur égale à la sienne, gnoquant qu’il serait hypocrite d’agir autrement, de même qu’il décida une fois pour toutes de tutoyer tout le monde. Il s’aperçut qu’entre embrasser Aube et embrasser Jill il n’y avait qu’une différence indéfinissable, mais toutefois bien réelle.
Il l’écarta de lui. « Petite Messaline en herbe… c’est toi qui as ourdi ce complot !
— Jubal chéri… tu as été merveilleux !
— Mais comment diable pouvais-tu savoir que j’en étais encore capable ? »
Elle le regarda avec une innocence cristalline. « Je le savais depuis la première fois où Mike est venu à la maison. Quand il est en transe, il perçoit tout ce qui l’entoure, et il lui arrivait de vérifier si tu dormais – quand il avait une question à te poser, par exemple.
— Mais je dormais toujours seul !
— Je sais, Jubal chéri. Mais je ne parlais pas de cela. Mike me demandait souvent de lui expliquer ce qu’il ne comprenait pas. »
Jubal préféra ne pas insister. « Quand même, tu n’aurais pas dû me jouer ce tour.
— Je gnoque qu’en ton cœur tu ne le regrettes pas, Jubal. Il fallait que tu fasses partie du Nid, sans restriction. Nous avons besoin de toi, et puisque tu es humble et timide dans ta bonté, nous avons agi de façon à t’accueillir pleinement, mais sans te blesser.
— Pourquoi dis-tu toujours « nous » ?
— Comme tu l’as gnoqué, c’était un Partage de l’Eau auquel tout le Nid participait. Mike s’est réveillé pour gnoquer avec toi, et nous avons tous communié ensemble. »
Jubal se hâta de laisser tomber également cette question. « Mike est donc enfin réveillé. Et voilà pourquoi tes yeux brillent.
— Pas seulement. Évidemment, nous sommes tous particulièrement heureux lorsque Mike est présent… bien qu’il ne soit jamais réellement absent. Ah Jubal, je gnoque que tu n’as pas gnoqué la plénitude de notre façon de partager l’eau, mais l’attente accomplira. Mike non plus ne le gnoquait pas au début… il pensait que ce n’était qu’un moyen pour fertiliser les ovules, comme sur Mars.
— Eh, le but premier est évidemment de faire des bébés ! Ce qui en fait un comportement stupide pour une personne de mon âge, qui n’a plus le désir d’augmenter le chiffre de la population. »
Jill secoua la tête. « Les bébés sont un résultat, mais non le but premier. Les bébés donnent une signification à l’avenir, ce qui est une grande bonté. Mais une femme n’a que deux ou trois, au maximum une douzaine d’enfants, alors qu’elle se partage des milliers de fois, et c’est cela le but essentiel de ce que nous pouvons faire si souvent mais que nous n’aurions besoin de faire que rarement s’il s’agissait seulement de nous reproduire. C’est un partage et un rapprochement, à jamais, pour toujours. Mike a gnoqué cela parce que, sur Mars, se rapprocher et féconder des ovules sont deux choses entièrement différentes, et il a aussi gnoqué que notre méthode était la meilleure. Que c’est merveilleux de ne pas être martien, mais d’être humain… et femme ! »
Il la regarda attentivement. « Jill… es-tu enceinte ?
— Oui, Jubal. J’avais gnoqué que l’attente était terminée et que j’étais libre de l’être. La plupart des autres n’avaient pas besoin d’attendre, mais Aube et moi avions trop de travail. Lorsque nous gnoquâmes que cet embranchement approchait, je gnoquai aussi qu’il serait suivi d’une attente. Tu comprends ce dont il s’agit. Mike ne reconstruira pas le Temple en une nuit, et sa Grande Prêtresse aura le temps de construire un bébé. L’attente accomplit toujours. »
De ce fatras hautement lyrique, Jubal retint surtout le fait central : que Jill croyait en cette possibilité. Il se promit d’y veiller et, si possible, de l’amener à la maison en temps utile. Les méthodes surnaturelles de Mike étaient sans doute excellentes, mais la présence d’un équipement moderne ne nuirait en rien. Même si cela ne leur plaisait pas, il se refusait à risquer la vie de Jill pour des questions de principe.
Jill était-elle la seule ? Il préféra ne pas aborder le sujet directement. « Où sont Aube et Mike ? On dirait d’ailleurs qu’il n’y a personne ce matin ? » On n’entendait en effet pas un seul bruit, mais le sentiment d’attente était plus fort que jamais. Cela lui rappelait l’attente qui avait précédé l’entrée des éléphants, la première fois qu’on l’avait emmené au cirque.
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