Robert Heinlein - En terre étrangère

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Les membres de la première expédition vers Mars périrent tous. Sauf un : Valentine Michael Smith, né sur Mars, élevé par les Martiens, recueilli et ramené sur Terre, à l'âge de vingt ans par la deuxième éxpédition vers Mars, au début du XXIe siècle.
Physiquement Valentine Michael Smith était humain.
Mentalement, il était martien.
La seule analogie qui convînt pour le définir était celle des enfants-loups, des enfants élevés par des loups. Mais les martiens n'étaient pas des loups. Leur culture était plus complexe que celle de la terre.
Le premier problème de Mike : survivre sur la Terre ! Tout lui était agression : la pesanteur, la pression atmosphérique, et surtout les hommes…
Le second problème fut pour lui de comprendre en quoi et pourquoi les hommes différaient des martiens et pourquoi ils étaient malheureux…

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— J’arrive immédiatement !

— Ne vous énervez pas. Mike a dit que vous veniez si vous y tenez, mais que ce n’était pas une nécessité. Ils ont mis le feu la nuit dernière alors que le Temple était vide – le culte avait été suspendu à cause des arrestations. Vide, c’est-à-dire, sauf le Nid. Tous ceux d’entre nous qui étaient en ville, excepté Mike, étaient réunis dans le Temple Intérieur pour Partager l’Eau en son honneur. Lorsque le bruit des explosions nous parvint, nous nous transportâmes dans un Nid de secours.

— D’après ce que j’ai vu, vous avez eu de la chance de vous en sortir.

— Les issues étaient coupées, Jubal. Nous sommes tous morts…

— Vous êtes…

— Nous sommes tous portés morts ou disparus. En effet, personne n’est sorti des bâtiments après le début de l’holocauste… par aucune des sorties connues, du moins !

— Une trappe secrète… ?

— Mike a ses méthodes, Jubal, mais je n’en parlerai pas au téléphone.

— Vous aviez dit qu’il était en prison.

— Il y est toujours.

— Mais…

— Si vous venez, n’allez pas au Temple ; il n’en reste rien. Je ne vous dirai pas où nous sommes, et je n’appelle même pas de là. Mais si vous venez – je n’en vois d’ailleurs pas l’utilité : vous ne pourriez rien faire –, venez par les moyens ordinaires. Nous vous trouverons.

— Mais…

— Ce sera tout. Au revoir, Jubal. Au revoir, Anne, Dorcas, Larry, et le bébé. Partagez l’eau. Vous êtes Dieu. » L’image disparut.

« Je le savais ! jura Jubal. Voilà ce qui arrive quand on fricote avec la religion. Dorcas, appelez un taxi. Anne… non, finissez de donner à boire à Abby. Larry, faites ma valise. Anne donnez-moi tout l’argent liquide disponible. Larry pourra aller à la banque demain.

— Mais patron, protesta Larry, nous y allons tous.

— Certainement, ajouta Anne sur un ton pincé.

— Silence, Anne. Ne dites rien, Dorcas. Ce sont des circonstances où les femmes n’ont pas droit à la parole. Je vais sur la ligne de feu, et tout peut arriver. Larry, vous restez ici pour protéger l’enfant et les deux femmes. N’allez pas à la banque d’ailleurs. Comme aucun de vous ne bougera d’ici avant mon retour, vous n’aurez pas besoin d’argent. Ils se sont servis de la méthode forte et il y a suffisamment de liens entre cette maison et Mike pour qu’il y ait un risque même ici. Larry, projecteurs allumés toute la nuit, clôture sous tension et n’hésitez pas à tirer. Et ne tardez pas à mettre tout le monde dans l’abri au moindre signe de danger ; installez-y déjà un berceau pour le bébé. Au travail. Je monte me changer. »

Une demi-heure plus tard, Larry appela Jubal dans son appartement : « Patron ! Le taxi arrive.

— Je descends. » Jubal se tourna vers la Cariatide à la Pierre. Ses yeux s’emplirent de larmes. « Ce n’est pas faute d’avoir essayé, n’est-ce pas ? Mais cette pierre est trop lourde… trop lourde pour nous tous. »

Il caressa doucement la main de la silhouette recroquevillée, puis lui tourna le dos et sortit.

35

Le taxi confirma la méfiance de Jubal envers tout ce qui était mécanique ; il eut des ennuis de moteur et se dirigea vers le centre de réparations. Jubal se retrouva à New York, plus loin de son but que jamais. Il découvrit qu’aucun véhicule disponible ne pouvait l’y mener plus rapidement que les transports publics. Il arriva donc très tard, après avoir passé des heures en compagnie d’étrangers, à regarder la stéréo.

Il vit un flash de l’évêque suprême Short proclamant la guerre sainte contre l’Antéchrist, c’est-à-dire Mike, ainsi que des vues du Temple en ruine ; il semblait impossible que quelqu’un ait pu en sortir vivant. Le commentateur Augustus Greaves trouvait la situation alarmante, mais fit comprendre par d’habiles sous-entendus que le responsable en était le soi-disant Homme de Mars.

Ils arrivèrent enfin. Jubal étouffait dans ses vêtements d’hiver ; les palmiers ressemblaient à des plumeaux déchiquetés et il regarda sans enthousiasme la mer, au loin, pensant que ce n’était qu’une masse instable polluée par des peaux de pamplemousses et des excréments humains. Et, surtout, debout sur la plate-forme d’atterrissage balayée par un vent brûlant, il se demandait quoi faire.

Un homme portant une casquette d’aspect vaguement militaire approcha. « Taxi, monsieur ?

— Euh… oui. » Il pourrait toujours aller dans un hôtel et donner une conférence de presse pour faire savoir où il était.

« Par ici, monsieur. » Le chauffeur le conduisit à un taxi jaune, plus très neuf. En aidant Jubal à mettre sa valise, il lui dit à mi-voix : « Je vous offre de l’eau.

— Comment ? Ah ! N’ayez jamais soif.

— Tu es Dieu. »

Le chauffeur ferma la porte et monta dans le compartiment de pilotage. Ils atterrirent sur une des ailes d’un grand hôtel donnant sur la plage. C’était un parking privé, la plate-forme d’atterrissage publique se trouvant sur une autre aile. Le pilote régla le taxi sur retour automatique, puis prit la valise de Jubal et l’escorta à l’intérieur. « Vous n’auriez pas pu entrer par le vestibule, car l’entrée est emplie de cobras. Si vous voulez descendre, demandez à l’un de nous par où il faut passer. Je suis Tim.

— Je suis Jubal Harshaw.

— Je sais, Frère Jubal. Par ici. Attention à la marche. » Ils entrèrent dans un appartement de grand luxe, et Tim le mena à une chambre avec bains. « Vous voici chez vous ». Il posa la valise et le laissa. Sur une des tables, Jubal vit de l’eau, des cubes de glace et une bouteille de cognac de sa marque préférée. Il ôta sa lourde veste et se versa à boire.

Une femme entra avec un plateau de sandwiches. Contrairement aux touristes vêtus de sarongs, pyjamas de plage et autres vêtements destinés davantage à mettre le corps en valeur qu’à le dissimuler, elle portait une tenue fort sobre, et il la prit pour une femme de chambre, mais elle lui sourit et dit : « Buvez profondément et n’ayez jamais soif, notre frère », puis alla dans la salle de bains, fit couler l’eau et vérifia si tout était en ordre. « Avez-vous besoin d’autre chose, Frère Jubal ?

— Moi ? Non, tout est parfait, merci. Ben Caxton est là ?

— Oui. Il pensait que vous voudriez avant tout prendre un bain et vous changer. Si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez pas. Je suis Patty.

— Oh ! La vie de l’Archange Foster. »

Elle sourit et ses fossettes la firent soudain paraître plus jeune encore que les trente ans que Jubal lui avait donnés.

« J’aimerais beaucoup la voir. Je me suis toujours intéressé à l’art religieux.

— Maintenant ? Non, je gnoque que vous voulez prendre votre bain tranquille ; à moins que vous ne vouliez que je vous aide ? »

Jubal se souvint que son amie japonaise tatouée lui avait souvent fait la même proposition. Mais il voulait avant tout laver sa sueur et mettre un costume léger. « Non, merci, Patty. Mais je voudrais les voir, un jour où cela ne vous dérangera pas.

— Quand vous voudrez. Rien ne presse. » Elle sortit, donnant malgré ses mouvements rapides l’impression d’une absence totale de hâte.

Résistant à la tentation de faire une sieste, Jubal défit sa valise et fut contrarié de voir que Larry avait oublié les pantalons d’été. Il se décida pour des sandales, un short et une chemise bariolée, ce qui le fit ressembler à une autruche trempée dans de la peinture et mit en valeur ses jambes maigres et poilues. Mais il y avait longtemps qu’il ne se souciait plus de ce genre de choses. Cela irait, tant qu’il n’avait pas à aller en ville… ou devant le tribunal.

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