— Non [9] En français dans le texte. ( N.d.T. )
!
— Bon Dieu ! Ecoutez-moi attentivement ! (J’ai murmuré :) Vous allez dire à ces deux bestiaux de quitter le bateau et d’attendre en bas. Ensuite, vous et moi on va aller jusqu’au pont-promenade pour bavarder sans qu’on nous entende. Sans ça, on ne pourra rien faire ! Et je serai obligé de dire au Numéro Un que vous avez tout fichu par terre ! Compris ? Allez, maintenant ! Ou alors retournez d’où vous venez et allez leur dire que le marché est rompu !
Il a hésité, puis il s’est mis à parler très vite en français. Je ne pouvais pas le suivre, mon français étant strictement limité aux exercices du niveau La plume de ma tante . Le gorille a paru hésiter lui aussi, mais Revolver, avec un haussement d’épaules, a commencé à descendre l’échelle de coupée. Je me suis tourné vers l’autre larve :
— Venez ! Il n’y a pas de temps à perdre ! Le bateau va appareiller !
Je me suis dirigé rapidement vers l’arrière sans me donner la peine de voir s’il me suivait. J’ai continué du même pas pressé, ce qui l’obligeait à me suivre s’il ne voulait pas me perdre de vue. Par rapport à lui, j’étais plus haut que le gorille par rapport à moi. Il était obligé de trotter pour rester sur mes talons.
J’ai continué comme ça jusqu’au pont-promenade, j’ai passé le bar et je me suis dirigé droit sur la piscine.
Comme je m’y étais attendu, elle avait été désertée dès l’instant où nous étions arrivés à quai. On avait mis l’écriteau habituel : FERME DURANT L’ESCALE et un cordage faisait office de barrière symbolique, mais la piscine n’avait pas été vidée pour autant. Je suis passé par-dessus le cordage et je me suis retourné, le dos à la piscine. Le petit malin m’a suivi mais j’ai levé la main :
— On s’arrête là. (Il m’a obéi.) Maintenant, on peut parler. Expliquez-vous, et tâchez d’être clair, dans votre intérêt ! Qu’est-ce qui vous prend d’essayer d’attirer l’attention en amenant ce singe ici ? Et sur un bateau danois ! M. B. va être très très en colère contre vous. Quel est votre nom ?
— Peu importe mon nom. Où est le paquet ?
— Quel paquet ?
Il s’est mis à vitupérer et je l’ai arrêté net :
— Fermez ça. Ça ne m’impressionne pas. Ce navire s’apprête à lever l’ancre. Il ne vous reste que quelques minutes pour me dire exactement ce que vous voulez et pour me convaincre qu’il faut que vous l’ayez. Cessez de vous agiter sinon vous allez retourner tout droit chez votre patron pour lui annoncer que vous avez échoué. Alors parlez ! Qu’est-ce que vous voulez ?
— Le paquet !
J’ai poussé un soupir.
— Mais vous radotez, mon pauvre ami. Ça, vous l’avez déjà dit. Quel genre de paquet cherchez-vous ? Et qu’est-ce qu’il contient ?
Il a eu une hésitation avant de répondre :
— De l’argent.
— Très intéressant. Et combien ?
Cette fois, il a hésité deux fois plus longtemps, et j’ai dû le secouer à nouveau :
— Si vous ne savez pas combien, je vais vous donner deux francs pour vous offrir une bière et vous renvoyer à vos pénates. C’est ce que vous voulez ? Deux francs, ça vous ira ?
Un homme aussi maigre n’aurait pas dû avoir une tension aussi élevée. Il est parvenu à articuler :
— Des dollars américains. Un million.
Je lui ai ri au nez.
— Qu’est-ce qui vous fait croire que j’ai une somme pareille ? Et même si je l’avais, pourquoi faudrait-il que je vous la donne à vous ? Comment puis-je savoir que vous êtes censé l’avoir ?
— Vous êtes cinglé, mon ami. Vous savez qui je suis.
— Prouvez-le. Vous avez un regard bizarre et le son de votre voix est différent. Je crois que c’est une arnaque.
— Une arnaque ?
— Oui, que vous êtes un menteur, un imposteur !
Il s’est déchaîné. C’était du français, je pense. Une chose est sûre : ce n’étaient pas des compliments. J’ai fouillé dans ma mémoire et j’ai répété avec beaucoup de conviction ce que la dame avait dit la veille, pendant la soirée, et qui lui avait valu une remarque rassurante de son mari. Je sais que ce n’était pas très approprié à la circonstance mais j’avais seulement l’intention de le rendre furieux.
Apparemment, j’avais réussi. Il leva la main, je lui saisis le poignet, trébuchai et tombai dans la piscine en l’entraînant avec moi. Dans ma chute, je hurlai :
— Au secours !
On a plongé. Je le tenais serré et, en remontant à la surface, je lui ai enfoncé la tête sous l’eau en criant une fois encore :
— Au secours ! Il veut me noyer !
Et nous avons sombré en nous agrippant. Chaque fois que j’avais le nez hors de l’eau, je m’époumonais. Quand j’ai senti les secours arriver, je me suis laissé aller.
Je suis resté inerte jusqu’à ce qu’ils m’aient fait du bouche-à-bouche. Alors, j’ai émis un grognement en ouvrant les yeux.
— Où suis-je ?
— Il reprend connaissance. Ça ira.
J’ai regardé autour de moi. J’étais allongé sur le dos près de la piscine. C’était un professionnel qui m’avait sauvé et qui m’avait réanimé : mon bras gauche était presque disloqué. Mais, à part ça, j’étais en vie.
— Où est-il ? L’homme qui m’a poussé dans l’eau ?
— Il s’est enfui.
J’ai reconnu la voix. M. Henderson, mon ami le commissaire.
— Vraiment ?
Il me raconta la fin de l’histoire. Mon visiteur à face de rat s’était éclipsé pendant qu’on me repêchait et avait réussi à se glisser hors du bateau. Quand on avait fini par me réanimer, le vilain méchant et ses gardes du corps étaient loin.
M. Henderson me força à demeurer allongé jusqu’à l’arrivée du docteur. Celui-ci m’ausculta et me déclara que tout allait bien. Je racontai quelques vagues histoires, quelques vérités approximatives et je réussis à m’en tirer. L’échelle de coupée avait été retirée entre-temps et, peu après, un choc sonore nous annonça que nous venions de quitter le quai.
Je ne jugeai pas nécessaire de raconter à quiconque que j’avais joué au water-polo au collège.
Les jours qui suivirent furent suaves, comme ces raisins qui poussent sur les pentes des volcans en activité.
Je parvins à faire la connaissance (la re-connaissance ?) de mes compagnons de table sans qu’un seul semble s’aviser de ma qualité de parfait étranger. J’apprenais leur nom en attendant simplement que quelqu’un s’adresse à l’un ou à l’autre par son nom. Je les enregistrais pour les utiliser plus tard. Tout le monde se montrait charmant avec moi ; non seulement je n’étais plus à l’écart, puisque le billet montrait que je participais à la croisière depuis le début, mais j’étais devenu une célébrité, pour ne pas dire un héros, en traversant le feu.
Je n’allais pas à la piscine. J’ignorais dans quelle mesure Graham avait pratiqué la natation et, ayant été « sauvé » de la noyade, je ne tenais nullement à révéler un niveau de pratique qui n’aurait nullement correspondu à mon « sauvetage ». De plus, même si je m’étais habitué à un degré de nudité qui m’eût choqué dans mon ex-vie, et même si je l’appréciais, d’ailleurs, je ne pensais pas que je pourrais me montrer nu sans perdre mon aplomb.
Quant au mystère que posaient Face-de-rat et ses gardes du corps, je n’entrevoyais aucune solution, aussi je le chassai de mon esprit.
La même règle s’appliquait au vaste mystère de Qui-suis-je ? et Comment-suis-je-là ? Je ne pouvais rien y changer et mieux valait ne pas me tourmenter. A bien y réfléchir, j’étais dans la même situation que n’importe quel humain vivant : nous ne savons pas qui nous sommes, d’où nous venons ni où nous allons. Mon dilemme n’était pas différent, seulement plus neuf.
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