— « Il n’y a pas d’autre homme dans ma vie actuellement, seigneur mon mari. »
— « Je n’avais aucune raison de le penser. Mais il y a toujours la semaine prochaine, et toi-même ne peux savoir de quoi elle sera faite, mon aimée. Tu m’as appris que le mariage n’était pas une forme de la mort… et il est manifeste que tu n’es pas morte, ma putain agitée. »
— « Peut-être ne puis-je le savoir, mais je puis avoir une prémonition. »
— « Je ne parierais pas dessus. J’ai lu le rapport Kinsey. »
— « Quel rapport ? »
— « Il réfute la théorie de la Sirène. Au sujet des femmes mariées. Mais oublie cela. Question, simple hypothèse : si Jocko vient en visite à Centre, aurais-tu toujours les mêmes sentiments ? Nous devrions l’inviter à coucher ici. »
— « Le Doral ne quittera jamais Névia. »
— « Je ne le lui reprocherai pas. Névia est merveilleuse. Je disais « Si » … S’il le fait, – lui offriras-tu le gîte, le couvert et le lit ? »
— « Cela, » dit-elle avec fermeté, « ce sera à toi de décider, seigneur. »
— « Tourne ta phrase autrement : t’attendrais-tu à ce que moi j’humilie Jocko en ne lui rendant pas son hospitalité ? Ce brave vieux Jocko, qui nous a laissés vivre alors qu’il était en droit de nous tuer ? Dont le matériel, – les flèches et tant d’autres choses, y compris la nouvelle trousse médicale, – nous a permis de subsister et de revenir vainqueur de notre Quête de l’Œuf ? »
— « Quant aux coutumes néviannes concernant le gîte, le couvert et le lit, » insista-t-elle, « c’est le mari qui doit décider, seigneur mari. »
— « Nous ne sommes pas sur Névia et ici une femme pense par elle-même. Tu prends des échappatoires, fille. »
Elle se mit à rire, enjouée : « Est-ce que ton « si » comprend Mûri ? et Letva ? Ce sont ses favorites et il ne voyagerait pas sans elles. Et au sujet de… comment s’appelle-t-elle donc ?… la nymphette ? »
— « J’abandonne. J’essayais juste de prouver que le fait de sauter par-dessus une épée ne transforme pas une fille excitée en une religieuse chaste et fidèle. »
— « J’en suis consciente, mon Héros, » me dit-elle doucement. « Tout ce que je puis dire c’est que j’ai bien l’intention que cette fille ne procure jamais à son Héros le moindre moment de déplaisir… et je tiens en général mes résolutions. Je ne suis pas Sa Sagesse pour rien. »
— « Bien répondu. Je n’ai jamais pensé que tu me causerais ce genre de déplaisir. J’essayais de montrer que la tâche peut ne pas être trop difficile. Fichtre ! nous nous sommes encore égarés. Voici donc quel est mon vrai problème : je ne suis bon à rien, je n’ai pas de valeur. »
— « Pourquoi, mon chéri ? Tu me fais du bien, à moi. »
— « Mais pas à moi. Star, gigolo ou non, je ne peux pas être un favori. Même pas pour toi. Tu vois, toi, tu as un métier. Un métier qui t’occupe et c’est important. Mais moi ? Je n’ai rien à faire, rien du tout ! Rien de mieux que de dessiner de vilains bijoux. Tu sais ce que je suis ? Un héros mercenaire, comme tu me l’as dit ; tu m’as recruté. Maintenant, je suis à la retraite. Connais-tu quelque chose qui, dans les Vingt Univers, soit plus inutile qu’un héros à la retraite ? »
Elle réfléchit un instant. Je poursuivis : « Tu es en train de t’enliser. D’une manière ou d’une autre, ils perturbent la gent masculine. Je parle sérieusement, Star. C’est cela qui m’a fait comprendre que je ne puis vivre dans cet état-là. Chérie, ce que je te demande, c’est d’y appliquer tout ton esprit, et même de demander conseil à tous tes fantômes. Examine ce problème comme tu examinerais un problème de l’Empire. Oublie que je suis ton mari. Étudie la situation dans son ensemble, n’omets rien de ce que tu connais de moi, et dis-moi ce que je puis faire de mes mains, de ma tête et de mon temps qui vaille la peine d’être fait. Moi , tel que je suis. »
Elle garda le silence pendant de longues minutes, et son visage prit l’air professionnellement calme, concentré qu’elle avait eu chaque fois que je l’avais vue au travail. « Tu as raison, » dit-elle enfin. « Il n’y a rien, sur cette planète, qui soit digne de tes pouvoirs. »
— « Alors, que faire ? »
— « Tu dois partir, » dit-elle tout bas.
— « Quoi ? »
— « Crois-tu que j’aime à faire cette réponse, mon époux ? Crois-tu que j’apprécie la plupart des réponses que je fais ? Tu viens de me demander de considérer ce problème d’un œil professionnel, et j’ai obéi. Voilà la réponse : tu dois quitter cette planète, et me quitter. »
— « Tu rejettes donc mes chaussures, de toute manière. »
— « Ne sois pas amer, seigneur. C’est bien la réponse. Je ne puis m’abstraire et être vraiment une femme que dans ma vie privée ; je ne peux même refuser de penser quand j’accepte d’agir en tant que Sa Sagesse. Tu dois me quitter, sans doute, mais non, non, non et non, je ne rejette pas tes chaussures ! Tu partiras , parce que tu dois le faire, non parce que je le désire. » Son visage était calme mais inondé de larmes. « On ne peut chevaucher un chat… ni accélérer un escargot… ni apprendre à voler à un serpent. Ni faire d’un Héros un gigolo. Je le savais, mais je refusais de me l’avouer. Tu feras donc ce que tu dois faire. Tes chaussures resteront cependant toujours près de mon lit, je ne te renvoie pas ! » Elle refoula ses larmes. « Je suis incapable de te mentir, même en gardant le silence. Je ne prétends pas que d’autres chaussures ne seront jamais près de mon lit… si tu restes trop longtemps éloigné. J’ai déjà éprouvé la solitude ; il n’y a pas de mots pour exprimer combien ce métier vous impose de solitude. Quand tu partiras… je me sentirai plus solitaire que jamais. Mais tu retrouveras tes chaussures à leur place quand tu reviendras. »
— « Quand je reviendrai ? Tu as une Vision ? »
— « Non, seigneur Héros. Je n’ai qu’un pressentiment… le pressentiment que, si tu vis… tu reviendras. Peut-être même souvent. Mais les Héros ne meurent pas dans leur lit, même pas dans celui-ci. » Elle ferma les yeux, ses larmes cessèrent de couler et sa voix prit un ton plus calme. « Maintenant, seigneur mari, si tu le veux bien, nous allons éteindre et prendre du repos. »
Nous éteignîmes et elle mit la tête sur mon épaule, sans pleurer. Nous n’arrivâmes pas à trouver le sommeil. Après un temps affreusement long, je lui demandai : « Star, entends-tu ce que j’entends ? »
— « Je n’entends rien, » répondit-elle en levant la tête.
— « La ville. Ne l’entends-tu pas ? Des gens, des machines. Et même des pensées tellement fortes que je les sens dans la moelle de mes os, que mes oreilles parviennent presque à les percevoir. »
— « Oui, je connais cela. »
— « Star, aimes-tu cet endroit ? »
— « Non. Il n’a jamais été nécessaire que je l’aime. »
— « Alors, par le Diable ! Tu viens de dire que je devais partir. Viens avec moi ! »
— « Oscar ! »
— « Que leur dois-tu ? N’est-ce pas assez d’avoir récupéré l’Œuf ? Qu’ils trouvent une autre victime. Viens suivre de nouveau la Route de la Gloire avec moi ! Il doit bien y avoir quelque part du travail à ma mesure. »
— « Il y a toujours du travail pour les Héros. »
— « Très bien, alors. Nous montons une affaire, toi et moi. Ce n’est pas un mauvais travail que d’être un héros. Les repas sont servis irrégulièrement, la paie est aléatoire… mais on ne s’ennuie pas. Nous ferons passer des annonces : Gordon et Gordon, Héros en tous Genres. Une affaire ni trop grande ni trop petite. Extermination de dragons garantie par contrat, satisfaction assurée. Remboursement garanti en cas d’échec. Travail sur devis. Quête, sauvetage de jeunes filles, Recherche de la Toison d’Or de jour et de nuit. »
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