Je réfléchis un instant. Il y avait une chose que je m’étais demandée, quelque chose qui manquait. Mais peut-être les femmes de cette partie de la race avaient-elles un autre rythme. Et je n’avais pourtant jamais pensé que j’avais épousé une grand-mère… de quel âge ? « Star, serais-tu enceinte ? »
— « Pourquoi ? mais non, mon chéri. Oh ! voudrais-tu que je le sois ? Veux-tu que nous ayons un enfant ? »
J’hésitai, essayant d’expliquer que je n’étais pas certain que la chose soit possible… mais peut-être l’était-elle ? Star sembla troublée. « Je vais encore te surprendre. Mais je ferais mieux de tout te dire. Oscar, je n’ai pas été élevée dans plus de luxe que toi-même. J’ai eu une enfance agréable, dans une famille de fermiers. Je me suis mariée jeune, avec un simple professeur de mathématiques, qui avait la lubie de faire des recherches sur les géométries conjecturales et optionnelles. Je veux parler de la magie. Trois enfants. Tout allait parfaitement bien pour mon mari et moi jusqu’à… ma nomination. Il ne s’agissait pas alors de sélection, juste une nomination pour un examen et pour un éventuel entraînement. Il savait que j’étais génétiquement candidate quand il m’avait épousée, mais je n’étais qu’une parmi des millions. Cela ne lui avait pas paru important.
« Il aurait voulu que je refuse. J’ai failli le faire. Quand j’ai cependant accepté, il… oui, il a « envoyé promener mes chaussures ». Là-bas, cela se fait dans les règles, il a fait paraître une annonce pour faire savoir que je n’étais plus sa femme. »
— « Il a vraiment fait cela ? Cela t’ennuierait-il que j’aille le chercher pour lui briser les bras ? »
— « Mon chéri, mon chéri ! Cela s’est passé il y a tellement longtemps, et si loin ; il y a longtemps qu’il est mort. Cela n’a pas d’importance. »
— « De toute manière, il est mort. Tes trois gosses… l’un d’eux est le père de Rufo ? Ou bien sa mère ? »
— « Pas du tout. Celui-là, c’était plus tard. »
— « Quoi ? »
Star prit une profonde inspiration : « Oscar, j’ai eu environ une cinquantaine d’enfants. »
Comme ça ! Cela faisait trop de surprises d’un seul coup, et je crois que je l’ai montré car la figure de Star sembla s’assombrir. Et elle se mit à m’expliquer.
Quand elle fut nommée héritière, on procéda à des changements sur elle, des changements chirurgicaux, biochimiques et endocriniens. Rien d’aussi radical que la castration, et dans des intentions différentes et par des techniques beaucoup plus subtiles que les nôtres. Le résultat avait cependant été que quelque deux cents minuscules morceaux de Star, – des ovules vivants et latents, – avaient été mis en réserve à une température proche du zéro absolu.
Environ une cinquantaine avaient été fécondés, surtout par des empereurs morts depuis longtemps mais « vivants » cependant par leur semence emmagasinée, – sortes de spéculation génétique pour produire un ou plusieurs futurs empereurs. Star ne les avait pas portés : le temps d’une héritière est trop précieux pour cela. Elle n’avait pas même vu la plupart d’entre eux ; le père de Rufo avait été une exception. Elle ne me le dit pas mais je pense que Star avait voulu avoir un enfant auprès d’elle pour jouer avec lui et pour l’aimer… jusqu’aux cinq premières épuisantes années de son règne, jusqu’au moment où la Quête pour l’Œuf ne lui laissa pas le moindre temps libre.
Ce changement avait un double but : obtenir quelques centaines d’enfants de la race stellaire, à partir d’une seule femme, et donner sa liberté à la mère. Par suite d’une sorte de traitement endocrinien, Star avait été libérée du cycle menstruel mais restait toujours jeune, à tous points de vue – sans pilules ni injections d’hormones ; d’une manière permanente. Elle était tout simplement une femme en bonne santé qui n’avait jamais ses « mauvais jours ». Ce n’était d’ailleurs pas fait pour lui assurer du confort mais pour être certain que son jugement en tant que Juge Suprême ne serait jamais compromis par son état glandulaire. « Et c’est très intelligent, » me dit-elle avec sérieux. « Je me rappelle qu’il y avait certains jours où j’aurais sans raison cassé la tête de mon meilleur ami, pour fondre ensuite en larmes. On ne peut pas se montrer juste quand on est dans cet état-là. »
— « Et… est-ce que cela a un effet quelconque sur tes préférences ? Je veux parler de ton désir de l’…»
Elle me sourit de tout cœur : « Qu’est-ce que toi, tu en penses ? » Et elle ajouta sérieusement : « La seule et unique chose qui affecte ma libido… qui l’empire, je veux dire, c’est… ce sont… – que la grammaire anglaise est donc compliquée ! – c’est-sont ces maudites imprégnations. Quelquefois en bien, quelquefois en mal… et tu dois te rappeler cette femme, dont il n’est pas nécessaire de dire le nom, et qui m’a donné des envies tellement carnivores que je n’ai pas osé m’approcher de toi jusqu’au moment où j’ai pu exorciser son âme sinistre ! Une nouvelle imprégnation affecte tout aussi bien mon jugement, et c’est pourquoi je ne veux jamais étudier une affaire avant d’avoir digéré la dernière imprégnation. Je serai contente quand j’en aurai terminé ! »
— « Et moi donc ! »
— « Pas autant que moi ! Cependant, à part ça, mon chéri, je ne suis pas très différente des autres femelles, et tu le sais bien. Il n’y a que mon tempérament un peu paillard, j’aime dévorer les jeunes hommes pour mon petit déjeuner, et les séduire en sautant par-dessus les épées. »
— « Combien d’épées ? »
Elle me jeta un regard perçant. « Depuis que mon premier mari m’a rejetée, je ne me suis jamais mariée, jusqu’au jour où je t’ai épousé, toi, Mr. Gordon. Si ce n’est pas ce que tu as voulu dire, je ne pense pas que tu doives me reprocher ces choses qui se sont passées avant ta naissance. Si tu veux des détails sur cette période, je satisferai ta curiosité. Ta curiosité morbide, si je puis me permettre cette expression. »
— « Tu vas te vanter. Paillarde, je ne marche pas. »
— « Je ne veux pas me vanter ! J’ai si peu de raisons de le faire. La Crise de l’Œuf ne m’a presque pas laissé le temps d’être une femme, par l’enfer ! Jusqu’à ce qu’Oscar le Coq veuille bien venir. Merci, monsieur. »
— « Si tu pouvais seulement parler un peu mieux. »
— « Oui, monsieur. Joli coq ! Mais tout cela nous a emmenés bien loin de nos moutons, mon chéri. Si tu veux des enfants… mais oui, mon chéri ! Il me reste environ deux cent trente œufs et ceux-là ils m’appartiennent bien. Ils ne sont pas réservés à la postérité. Ils ne sont pas pour nos chers sujets, bénis soient leurs petits cœurs avides. Ils ne sont pas pour ces manipulateurs génétiques qui s’amusent à jouer au Bon Dieu. Ils sont à Moi ! C’est même tout ce que je possède . Tout le reste, c’est ès qualités, mais ceux-là, ils sont bien à moi… et si tu les veux, ils sont aussi à toi, mon seul amour. »
J’aurais dû lui dire « Oui ! » et l’embrasser. Au lieu de cela, j’ai dit : « Tu sais, il n’y a pas de péril en la demeure ! »
Son visage s’allongea : « Comme voudra le seigneur héros mon mari. »
— « Tu vois, ce n’est pas la peine de prendre les coutumes de Névia, elles sont trop protocolaires. Ce que je veux dire, c’est qu’il me faut le temps de m’habituer aux seringues et à toutes ces choses que j’imagine ; se faire tripoter par des techniciens ! Sans compter que je comprends parfaitement que tu n’as pas le temps d’avoir un bébé toi-même…»
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