— « Ce n’est pas une solution. »
— « Peut-être veux-tu une garçonnière, hors de la ville ? »
— « Pour secouer la poussière de mes souliers, hein ? »
Elle me répondit d’un ton très serein : « Mon mari, si jamais tu veux secouer la poussière de tes souliers, il faut le faire, mais moi, j’ai sauté par-dessus ton épée, et je ne sauterai pas de nouveau. »
— « Tu en parles à ton aise ! » dis-je. « C’est toi qui viens d’en parler. J’ai peut-être mal compris, j’en suis désolé. Je sais bien que tu ne reprendras pas ta parole. Mais il n’est pas impossible que tu le regrettes. »
— « Je ne regrette rien. Et toi ? »
— « Non, Star, non ! Mais…»
— « Quelle longue attente pour ce petit mot, » dit-elle gravement. « Que veux-tu dire ? »
— « Euh… simplement ceci : Pourquoi ne m’as-tu rien dit ? »
— « Dit quoi, Oscar ? Il y avait tellement de choses à dire. »
— « Eh bien ! des tas de choses. Dans quoi je mettais la main. Que tu étais l’Impératrice de toute la création, surtout cela… avant de me faire sauter l’épée en ta compagnie. »
Elle ne changea pas d’expression mais des larmes se mirent à couler le long de ses joues. « Je pourrais te répondre que tu ne m’as rien demandé…»
— « Je ne savais pas ce qu’il fallait demander ! »
— « C’est exact. Je pourrais dire, avec sincérité, que j’aurais répondu si tu m’avais questionnée. Je pourrais aussi te faire remarquer que je ne t’ai pas fait sauter par-dessus l’épée, que tu as balayé mes objections quand je disais qu’il n’était pas nécessaire de me faire l’honneur de m’épouser selon les lois de ton pays… que je n’étais qu’une putain que tu pouvais baiser comme tu voulais. Je pourrais faire remarquer que je ne suis pas impératrice, que je ne suis pas royale, que je ne suis qu’une femme qui travaille et à qui son travail ne permet même pas d’être noble. Tout cela est vrai. Mais je ne vais cependant pas m’abriter derrière ces vérités ; je vais répondre franchement à ta question. » Elle se mit alors à parler névian. « Seigneur Héros, j’avais tout simplement peur, si je ne me pliais pas à tes volontés, que tu ne m’abandonnes ! »
— « Madame ma femme, as-tu réellement pensé que ton champion pourrait t’abandonner dans le péril ? » continuai-je en anglais : « Eh bien ! Il ne manquait plus que cela ! Tu m’as épousé parce qu’il fallait récupérer ce fichu Œuf et que Ta Sagesse t’avait dit que j’étais indispensable pour cette tâche… et que je pouvais déserter si tu ne m’épousais pas. Eh bien ! Je peux te le dire, Ta Sagesse s’est trompée sur ce point : je n’abandonne jamais. C’est idiot de ma part, mais je suis d’un naturel entêté. » Et j’ai commencé à sortir du lit.
— « Seigneur mon amour ! » Maintenant elle pleurait sans se cacher.
— « Pardonne-moi. Il faut que je trouve des chaussures. Pour voir à quelle distance je peux les jeter. » J’étais furieux comme peut seulement l’être un homme dont la fierté vient d’être blessée.
— « Je t’en prie, Oscar, je t’en prie ! Écoute-moi d’abord. »
Je laissai échapper un soupir : « Bon, vas-y. »
Elle me prit la main avec tellement de force que j’y aurais laissé les doigts si j’avais essayé de me dégager. « Écoute-moi bien. Mon bien-aimé, ce n’est pas cela du tout. Je savais fort bien que tu n’abandonnerais pas la Quête avant la fin, ou avant que nous ne soyons tués. Cela, je le savais ! Non seulement j’avais connaissance de tous les rapports qui te concernaient et qui portaient sur de nombreuses années, avant même que je te rencontre, mais encore, nous avions partagé nos joies, nos dangers, nos efforts ; je connaissais ton courage. J’aurais fort bien pu, si cela avait été nécessaire, t’entortiller avec de belles paroles, te persuader de nous fiancer seulement, en attendant la fin de notre Quête. Tu es tellement romantique que tu aurais accepté. Mais, mon chéri, mon chéri ! Je voulais t’épouser… te lier à moi par tes propres règles, de manière à…» elle s’arrêta pour renifler et essuyer ses larmes «… de manière à être bien certaine que, lorsque tu verrais tout cela, et ceci, et ceci, et toutes ces choses que tu appelles tes jouets , tu resterais quand même avec moi. Ce n’était pas par calcul, c’était de l’ amour , un amour romantique et non raisonné, tout simplement, de l’amour pour toi. »
Elle se laissa tomber le visage entre les mains ; j’eus de la peine à l’entendre. « Mais je m’y connais si peu en amour. L’amour est un papillon qui se pose quand il lui plaît, qui s’envole quand il le veut ; jamais on ne peut l’enchaîner. J’ai péché. J’ai essayé de t’enchaîner. Je savais bien que c’était injuste, et je comprends maintenant combien c’était cruel envers toi. » Star me regarda et m’adressa un sourire triste. « Même Sa Sagesse n’a pas de sagesse quand il lui arrive d’être une femme. J’ai beau être une putain stupide, je ne suis cependant pas entêtée au point de ne pas savoir que je fais du mal à mon bien-aimé quand on me met le nez dans mes erreurs. Vas-y, prends ton épée, et je sauterai de nouveau, et mon champion sera libéré de sa cage dorée. Vas-y, seigneur Héros, pendant que j’ai le cœur ferme. »
— « Va prendre ta propre épée, putain. Cette discussion n’a que trop duré. »
Elle se mit tout à coup à sourire, en vrai garçon manqué : « Mais, mon chéri, mon épée est restée sur Karth-Hokesh. Ne t’en souviens-tu pas ? »
— « Tu ne t’en tireras pas comme ça, cette fois ! » Je l’attrapai. Star est une fille terrible, qui vous glisse entre les doigts et qui a une force musculaire extraordinaire. Mais je suis plus fort et elle ne se débattit pas avec autant de force qu’elle aurait pu le faire. Elle m’écorcha quand même et me fit quelques bleus avant que je puisse lui prendre les deux jambes dans une main et que je lui retourne un bras derrière le dos. Je lui donnai deux bonnes claques sur les fesses, avec assez de force pour y imprimer en rouge la marque de mes doigts, puis je la relâchai.
Mais dites-moi donc, maintenant, si les paroles qu’elle m’avait adressées venaient bien du fond de son cœur, ou bien si elle s’était tout simplement montrée la femme la plus intelligente des Vingt Univers ?
Star me dit plus tard : « Je suis heureuse que ta poitrine ne soit pas un tapis-brosse, comme chez certains hommes, mon chéri. »
— « C’est que j’ai toujours été un joli bébé. Et, au fait, combien de poitrines as-tu ainsi pu examiner ? »
— « Quelques-unes, seulement. Chéri, dis-moi si tu as décidé de me garder ? »
— « Quelque temps. Si tu te tiens bien ! »
— « J’aimerais mieux me tenir mal. Mais… Pendant que tu es de bonne humeur, – si tu l’es, – il faut peut-être que je te dise autre chose, quitte à recevoir une fessée. »
— « Tu en veux trop. Une par jour au maximum. D’accord ? »
— « Comme tu voudras, monsieur. D’ac, patron. Je vais envoyer chercher mon épée demain matin et tu pourras t’en servir pour me fesser à ta guise. Si tu penses pouvoir m’attraper. Mais il faut d’abord que je parle et que je me décharge la conscience. »
— « Tu n’as rien sur la conscience. À moins que tu ne fasses allusion…»
— « Je t’en prie ! Tu es allé voir nos thérapeutes. »
— « Une fois par semaine. » La première chose en effet que Star avait demandée c’était qu’on m’examinât avec tant de soin que, à côté, les examens d’incorporation dans l’armée américaine semblaient n’être que pures formalités. « Le Chirurgien-Chef prétend que mes blessures ne sont pas guéries mais je n’en crois rien ; je ne me suis jamais senti mieux. »
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