Andrew essaya de se rappeler les paroles de Damon.
— Il a dit que des hommes l’ont fait auparavant, mais jamais des non-humains.
— Damon a oublié son histoire, dit Callista. Il est bien connu que nos ancêtres ont reçu les pierres-étoiles des chieri , qui s’en servaient quand nous n’étions encore que des sauvages, et qui sont arrivés à un tel degré de connaissance et d’intelligence qu’ils n’en ont même plus besoin. Mais les chieri se mêlent très peu aux hommes, de nos jours, et peu d’êtres vivants en ont jamais vu. J’aimerais pouvoir en dire autant des hommes-chats, que le diable les emporte !
Elle soupira avec découragement.
— Oh, je suis si lasse, Andrew ! Plût à Evanda que je puisse vous toucher . Je crois que je vais perdre la raison. Non, on ne me maltraite pas, mais j’en ai tellement assez de la pierre froide, de l’eau qui suinte. Et j’ai mal aux yeux d’être dans le noir. Et je n’arrive ni à manger ni à boire : la nourriture et l’eau sont imprégnées de leur puanteur…
Elle se remit à sangloter. Andrew était au désespoir de ne pas être capable de la toucher : il voulait la prendre dans ses bras, la tenir contre lui, sécher ses pleurs. Il voyait le mouvement de sa respiration, les larmes qui coulaient sur ses joues, et pourtant il ne lui était pas même possible d’effleurer seulement le bout de ses doigts.
— Ne pleurez pas, Callista. Nous vous trouverons, Damon et moi, et s’il n’y arrive pas, je le ferai tout seul !
Levant les yeux, subitement, il aperçut Damon sur le pas de la porte, qui le regardait, interdit.
— C’est Callista ?
— J’ai du mal à croire que vous ne la voyez pas, dit Andrew d’un ton incrédule.
Il perçut un contact timide dans son esprit. Cette fois-ci, cela ne le contrariait pas. Comme ça, Damon saurait qu’il disait la vérité.
— Je n’ai jamais vraiment douté de vous, dit Damon.
— Damon est là ? Damon ! s’écria Callista, un tremblement dans la voix. Vous dites qu’il est là, et je ne le vois pas.
Andrew voyait les efforts désespérés qu’elle faisait pour se ressaisir.
— Dites à Damon qu’il doit trouver ma pierre-étoile. Les hommes-chats ne l’ont pas trouvée. Elle n’était pas sur moi. Dites-lui que je ne la porte pas autour du cou comme lui.
Andrew avait le sentiment désagréable d’être un médium en train de transmettre les messages d’un esprit désincarné. Il frissonna.
Damon porta la main à la lanière qui pendait à son cou.
— J’avais oublié qu’elle le savait. Dites-lui que c’est Ellemir qui l’a, que nous l’avons trouvée sous son oreiller.
Andrew lui rapporta les mots de Damon.
— Cela explique pourquoi… je savais que quelqu’un l’avait touchée, mais si c’est Ellemir…
La silhouette devint indistincte, vacilla, comme si elle était épuisée d’être restée si longtemps avec eux, et qu’elle n’avait plus la force d’essayer.
Andrew poussa un cri d’inquiétude.
— Je me sens très faible, murmura-t-elle, comme si j’allais mourir… ou peut-être… surveillez la pierre.
Consterné, Andrew ne pouvait détacher les yeux de l’endroit où Callista se tenait un instant plus tôt. Il décrivit à Damon ce qui venait de se passer. Damon se précipita dans le couloir et appela Ellemir à grands cris.
— Où étais-tu ? demanda-t-il d’un ton impatient, quand elle arriva.
Ellemir le regarda, surprise et mécontente.
— Qu’est-ce qui te prend ? Je me suis occupée des blessés. Mes vêtements étaient trempés de sang. Est-ce que je n’ai pas droit à un bain et à des vêtements propres ? J’ai envoyé les serviteurs eux-mêmes en faire autant.
Comme elle ressemble à Callista, et comme elles sont différentes , pensa Andrew. Il avait beau se raisonner, il ne pouvait s’empêcher de trouver injuste qu’Ellemir soit libre et puisse s’offrir le luxe d’un bain et de nouveaux vêtements, alors que Callista était privée du confort le plus élémentaire.
— Vite, la pierre-étoile, ordonna Damon. Nous verrons si Callista se porte bien.
Il expliqua rapidement à Andrew que quand un télépathe mourait, sa matrice « mourait » aussi, perdait sa couleur et son brillant. Ellemir sortit le cristal et le dégagea délicatement de sa pochette de soie. La pierre vibrait avec autant d’éclat que jamais.
— Elle est épuisée et elle a peur, dit Damon. Mais elle est en bonne santé, sinon la pierre ne brillerait pas ainsi. Andrew ! La prochaine fois que vous la verrez, dites-lui qu’elle doit absolument se nourrir, de façon à reprendre des forces pour le moment où nous parviendrons à elle ! Je me demande pourquoi elle a tellement insisté pour que nous trouvions sa pierre-étoile ?
Andrew tendit la main vers le cristal.
— Vous permettez… ?
— Ce n’est pas très prudent, dit Damon avec hésitation. Personne ne doit toucher le cristal d’un autre.
Puis il se souvint que Callista était gardienne, et que les gardiennes avaient une force telle que, quelquefois, elles pouvaient ajuster leurs vibrations à celles du cristal d’une autre personne. Leonie avait tenu le sien dans ses mains, bien des fois, et ne lui avait pas fait plus de mal que si elle lui avait caressé la joue, alors que le plus léger attouchement d’Ellemir avait été atrocement douloureux. Pendant son initiation à la tour, avant qu’on ne lui ait appris à accorder son propre cristal au rythme de son cerveau, il s’était entraîné avec celui de sa gardienne. À cette époque, le contact entre Leonie et lui était si total qu’ils étaient tous deux grands ouverts l’un à l’autre.
Même maintenant, une simple pensée la ferait venir à moi, se dit-il.
Andrew avait suivi la pensée de Damon. C’est comme s’il parlait à voix haute. Je me demande s’il s’en rend compte ?
— Si Callista et moi n’étions pas extrêmement proches, je ne crois pas qu’elle viendrait à moi sans arrêt.
Il hésita, peu désireux d’en dire plus. Puis il se rendit compte que pour le bien de Callista, pour eux tous, il valait mieux ne rien cacher, même les sentiments les plus intimes. Il s’efforça de parler d’une voix égale.
— Je… je l’aime, vous savez. Je ferai tout ce que vous jugerez bon pour elle. Vous en savez plus que moi. Je suis entre vos mains.
Damon se sentit envahi de dégoût. Cet étranger, cet inconnu… ses pensées profanent une gardienne . Mais il se raisonna. Andrew n’était pas un étranger. Il ne comprenait pas comment cela s’était produit, mais cet inconnu, ce Terrien, avait le laran. Quant à aimer une gardienne, Damon lui-même avait aimé Leonie toute sa vie, et, bien qu’elle n’ait pas répondu à son amour, elle n’avait jamais manifesté le moindre mécontentement, n’avait jamais considéré son désir comme une intrusion. Callista saurait sans aucun doute se garder, si elle le voulait, des émotions de cet étranger.
Andrew était las de voir tout ce qui se passait dans les yeux de Damon.
— Il y a une chose que je ne comprends pas, dit-il. Pourquoi faut-il qu’une gardienne soit vierge ? Est-ce la loi ? Une tradition religieuse ?
— Cela a toujours été ainsi, répondit Ellemir, depuis des temps immémoriaux.
De l’avis d’Andrew, ce n’était certainement pas une raison.
— Je ne sais pas si je peux l’expliquer correctement, dit Damon qui avait senti son insatisfaction. C’est une question d’énergie nerveuse. Les gens n’en ont pas une quantité inépuisable. On apprend à l’utiliser le plus efficacement possible, à se détendre, à sauvegarder sa force. Eh bien, qu’est-ce qui en dépense le plus, chez les humains ? Le sexe, évidemment. On peut se servir du sexe, quelquefois, pour canaliser de l’énergie, mais le corps a ses limites. Et quand on est accordé à une matrice – ma foi, il n’y a pas de limite à l’énergie que les matrices peuvent conduire, mais la chair et le sang humains n’en peuvent tolérer qu’une certaine quantité. Pour un homme, c’est assez simple : on ne peut pas abuser du sexe, parce que si on dépasse la mesure d’énergie, on ne peut tout simplement pas fonctionner sexuellement. Les télépathes qui travaillent avec des matrices découvrent très tôt cette règle du jeu : il faut rationner le sexe si on veut conserver suffisamment d’énergie pour travailler. Pour une femme, cependant, il est facile disons de se surcharger. C’est pourquoi la plupart des femmes doivent décider de rester chastes, ou alors, elles doivent être très, très prudentes et ne pas s’associer aux réseaux de matrices qui dépassent les premiers niveaux. Parce que ça peut les tuer, très rapidement, et que ce n’est pas une mort plaisante.
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