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Cory Doctorow: Dans la dèche au Royaume Enchanté

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Cory Doctorow Dans la dèche au Royaume Enchanté
  • Название:
    Dans la dèche au Royaume Enchanté
  • Автор:
  • Издательство:
    Gallimard
  • Жанр:
  • Год:
    2008
  • Город:
    Paris
  • Язык:
    Французский
  • ISBN:
    978-2-07-034350-8
  • Рейтинг книги:
    3 / 5
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Dans la dèche au Royaume Enchanté: краткое содержание, описание и аннотация

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« J’ai vécu assez longtemps pour voir le remède à la mort, assister à l’ascension de la Société Bitchun, apprendre dix langues étrangères, composer trois symphonies, réaliser mon rêve d’enfance d’habiter à Disney World et assister non seulement à la disparition du lieu de travail, mais du travail lui-même. » Ainsi débute l’histoire de Julius, un jeune homme d’environ cent cinquante ans. Il a tout pour être heureux dans ce meilleur des mondes possibles, pourtant, sa vie va basculer, et l’utopie se transformer en enfer… Avec ce premier roman, Cory Doctorow fait preuve d’un grand talent et se révèle comme l’un des auteurs de science-fiction à suivre ces prochaines années. est de ces œuvres denses et novatrices qui nous font prendre conscience que le futur, c’est déjà demain.

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Cory Doctorow

Dans la dèche au Royaume Enchanté

Prologue

J’ai vécu assez longtemps pour voir le remède à la mort, assister à l’ascension de la Société Bitchun, apprendre dix langues étrangères, composer trois symphonies, réaliser mon rêve d’enfance d’habiter à Disney World et assister non seulement à la disparition du lieu de travail, mais du travail lui-même.

Je n’aurais jamais cru voir un jour Dan la Bougeotte décider de se mettre en temps mort jusqu’à la fin thermique de l’univers.

Dan se trouvait dans sa deuxième ou troisième jeunesse lorsque j’ai fait sa connaissance, vers la fin du XXIe siècle. C’était un cow-boy de haute taille dont l’âge apparent tournait autour des vingt-cinq ans, avec des rides au coin des yeux à force de les plisser, un cou brûlé par le soleil, des bottes usées jusqu’à la corde et extrêmement confortables. J’étais au milieu de ma thèse de chimie, mon quatrième doctorat, tandis que lui, pour se reposer quelque temps de ses activités de Sauveur du Monde, décompressait sur le campus de Toronto en transmettant son image-mémoire à un étudiant en anthro sans le sou. On s’est rencontrés au Troquet de l’université – le TDU, ou Troudu pour les habitués –, très fréquenté par ce vendredi soir d’été. Progressant d’un centimètre ou deux à chaque mouvement de foule, je me frayais un chemin à une lenteur de corail vers un tabouret au bar éraflé, bar dont, entouré de toutes sortes de mégots et de bouteilles vides, il occupait un des rares sièges, qu’il ne comptait manifestement pas libérer de sitôt.

À un moment de mon incursion, il a penché la tête vers moi en haussant un sourcil blanchi par le soleil. « Si tu te rapproches encore un peu, petit, va falloir commencer à réfléchir au contrat de mariage. »

Vu mon âge apparent, autour de la quarantaine, j’ai envisagé de prendre la mouche parce qu’il m’avait appelé « petit », mais après l’avoir regardé dans les yeux, j’ai décidé qu’il avait assez de temps-réel pour m’appeler petit quand ça lui chantait. J’ai reculé un peu en m’excusant.

Il a allumé un clope et soufflé une grosse volute de fumée acre au-dessus de la tête du barman. « Te bile pas. Je suis sans doute un peu trop habitué à mon espace personnel. »

Je ne me souvenais plus de la dernière fois où j’avais entendu quelqu’un sur-monde parler d’espace personnel. Avec un taux de mortalité nul et un taux de natalité non nul, le monde accumulait une épaisse couche de population, même avec les migrations et les temps morts. « Vous avez vadrouillé ? » ai-je demandé… il avait le regard trop perçant pour avoir raté un seul instant de vécu en temps mort.

Il a gloussé. « Ah non, pas moi. Je suis dans le genre de connerie macho qu’on ne rencontre que sur-monde. Les vadrouilles, c’est pour le fun, moi, j’ai besoin de travailler. » Son verre a tinté en contrepoint.

Il m’a fallu un moment pour lancer une Visualisation Tête Haute avec son score whuffie. J’ai dû redimensionner la fenêtre : mon affichage standard ne pouvait contenir autant de zéros. Je me suis efforcé de n’avoir l’air de rien, mais il a vu mes yeux se relever un bref instant et s’écarquiller malgré eux. Il a essayé de produire une petite grimace de modestie gênée, mais y a renoncé au profit d’un grand sourire plein de fierté.

« J’essaye de ne pas trop y accorder d’attention. Certaines personnes se montrent particulièrement reconnaissantes. » Il a dû voir mes yeux se relever une nouvelle fois pour accéder à son historique whuffie. « Attends, ne va pas… Je t’en parlerai, il faut vraiment que tu saches.

« Mince, tu sais, c’est trop facile de se passer d’hyperliens, dans la vie. On croit qu’ils vont beaucoup vous manquer, mais en fait, non. »

C’est à ce moment-là que j’ai percuté. C’était un missionnaire… un de ces habitants de la frange servant d’émissaires à la Société Bitchun dans les zones reculées du monde où, pour une raison ou une autre, les gens voulaient mourir, souffrir de la faim et s’étouffer avec les déchets pétrochim. Allez comprendre pourquoi, ces communautés survivaient plus d’une génération : dans la Société Bitchun elle-même, nous survivons en général à nos détracteurs. Les missionnaires ne bénéficiaient pas d’un taux de réussite particulièrement élevé – il fallait se montrer terriblement convaincant pour entrer en contact avec une culture qui résistait déjà à la propagande depuis presque un siècle –, mais quand vous convertissiez tout un village, vous amonceliez tout le whuffie que ses habitants avaient à donner. Le plus souvent, les missionnaires finissaient restaurés d’une sauvegarde quand on n’en avait plus de nouvelles depuis une dizaine d’années. Je n’en avais encore jamais rencontré en chair et en os.

« Combien de missions avez-vous réussies ? ai-je demandé.

— Ça y est, t’as compris, hein ? Je viens de terminer ma cinquième en vingt ans… Des contre-révolutionnaires cachés depuis une génération dans le vieux site du NORAD à Cheyenne Mountain. » Il s’est frotté la barbe du bout des doigts. « Leurs parents se sont terrés une fois toutes leurs économies volatilisées et ils n’avaient besoin de rien de plus tech que des fusils. Ils en avaient un paquet, par contre. »

Il m’a alors raconté une histoire fascinante, détaillant la manière dont, peu à peu, il s’était fait accepter des montagnards, puis avait gagné leur confiance, avant de trahir celle-ci de diverses manières subtiles et salutaires : en introduisant l’Énergie Libre dans leurs serres, puis une ou deux cultures transgéniques, en soignant ensuite deux morts, les poussant ainsi lentement, peu à peu, vers la Société Bitchun, jusqu’à ce qu’ils ne se souviennent plus de la raison pour laquelle ils n’avaient pas voulu en faire partie. La plupart se trouvaient désormais hors-monde, explorant les pseudo-frontières avec une énergie et des fournitures illimitées, se mettant en temps mort pour passer les périodes ennuyeuses qu’ils rencontraient en chemin.

« J’imagine que ce doit être un choc trop grand pour eux de rester sur-monde. Ils nous considèrent comme leurs ennemis, tu sais… Ils avaient dressé toutes sortes de plans en prévision du jour où nous viendrions les envahir et les emmener : du poison dans des dents creuses pour se suicider, des pièges, des points de rendez-vous et de repli pour les survivants. Ils ne peuvent pas s’empêcher de nous haïr, même si on n’est même pas au courant de leur existence. Hors-monde, ils peuvent faire comme s’ils vivaient toujours à la dure. » Il s’est à nouveau frotté le menton, ses cals durs râpant sa barbe. « Mais pour moi, la vraie vie à la dure, c’est ici, sur-monde. Ces petites enclaves sont chacune comme une histoire divergente de l’humanité… et si nous avions pris l’Énergie Libre, mais pas le temps mort ? Si nous avions pris le temps mort, mais seulement pour les gens atteints d’une maladie mortelle, pas pour les gens qui craignent de s’ennuyer pendant les longs trajets ? Ou pas d’hyperliens, pas d’adhocratie, pas de whuffie ? Chacune est différente et merveilleuse. »

J’ai la stupide habitude de discuter juste pour le plaisir, et je me suis retrouvé à dire : « Merveilleuse ? Oh, ouais, bien sûr, rien de plus chouette que, mmh, disons, mourir, crever de faim, geler, griller, tuer, la cruauté, l’ignorance, la souffrance et la misère. Moi, ça me manque, en tout cas. »

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