Le visage d’Ellemir s’adoucit quelque peu.
— Je ne crois pas que vous mentez, Ann’dra, dit-elle, prononçant de nouveau son nom de cette façon étrange et douce. Si vous étiez venu ici avec de mauvaises intentions, je suis sûre que vous sauriez mentir mieux que cela. Mais tout ce que vous pouvez nous dire de Callista, je vous en prie, essayez de nous le dire. Est-ce qu’on l’a maltraitée, est-ce qu’elle souffrait ? Est-ce que vous l’avez vraiment vue, comment allait-elle ? Oh, oui, vous devez l’avoir vue, puisque vous m’avez reconnue.
— Elle n’était pas blessée, mais elle avait un bleu sur la joue. Elle portait une robe bleue très légère qui ressemblait à une chemise de nuit. Personne de sensé ne porterait un tel vêtement dehors. Il y a…
Il ferma les yeux pour mieux la voir.
— Il y a une sorte de broderie le long de l’ourlet, vert et or, mais c’était déchiré et je n’ai pas pu en voir le dessin.
Ellemir eut un léger frisson.
— Je sais de quelle robe il s’agit. J’en ai une aussi. Callista portait la sienne la nuit où elle a été enlevée. Continuez, vite !
— Ceci prouve qu’il dit vrai, dit Damon. J’ai réussi à apercevoir Callista pendant quelques secondes dans le surmonde. Elle portait encore la chemise de nuit. Ce qui m’apprend deux choses. Il a vraiment vu Callista. Et – fait plus inquiétant – il ne lui est pas possible de se vêtir de façon plus convenable, même en pensée. Quand je l’ai vue, avant d’aller la chercher dans le surmonde, elle était vêtue de sa robe écarlate, comme il sied à une leronis – une sorcière –, ajouta-t-il pour Andrew, et elle était voilée comme une gardienne doit l’être.
Il répéta involontairement les paroles de Leonie :
— Si on l’a droguée, ou mise en transe, ou si on lui a pris sa pierre-étoile, ou bien si on l’a maltraitée au point que son esprit en soit troublé…
— Je ne peux pas le croire, dit Andrew. Tout ce qu’elle faisait était trop – trop sensé, trop réfléchi, si vous voulez. Elle m’a mené à un endroit précis, pendant la tempête. Et elle est revenue, ensuite, pour me montrer où se trouvait la nourriture. Je lui ai demandé si elle avait froid, et elle m’a répondu qu’il ne faisait pas froid là où elle était. Aussi, comme j’avais remarqué le bleu sur sa figure, elle m’a dit qu’elle n’avait pas été maltraitée.
— Essayez de vous rappeler tout ce qu’elle a dit, insista Damon.
— Elle m’a dit que la cabane de berger où je m’abritais ne se trouvait qu’à quelques lieues d’ici. Elle a ajouté qu’elle voudrait être là avec moi, afin que, quand le blizzard aurait cessé, dans peu de temps, elle soit…
Il fronça les sourcils, tâchant encore une fois de se rappeler une conversation qui s’était déroulée en pensée plus qu’en paroles.
— … elle soit au chaud, en sûreté, et chez elle.
— Je connais l’endroit, dit Damon. Coryn et moi y passions souvent la nuit, quand nous étions adolescents, et que nous allions à la chasse. C’est remarquable que Callista ait pu s’y rendre par la pensée.
Il réfléchit, tâchant de faire la synthèse de tout ce qu’il avait appris.
— Qu’est-ce qu’elle vous a dit d’autre ?
C’est après ça, que je me suis réveillé et que je l’ai trouvée endormie presque dans mes bras , pensa Andrew. Mais je veux bien être pendu si je vous raconte ça. C’est strictement entre Callista et moi . Et pourtant, elle avait peut-être dit quelque chose qui serait un indice précieux pour Damon… Il s’arrêta, irrésolu.
Damon avait saisi sans peine le conflit qui se lisait sur le visage d’Andrew, beaucoup plus précisément qu’Andrew ne l’aurait cru.
— Je peux m’imaginer sans peine, dit-il gentiment, désireux de l’épargner, que seuls dans le noir, et tous deux en des lieux inconnus et hostiles, vous ayez pu échanger…
Il hésita, et Andrew sentit que Damon cherchait un mot qui n’affecterait pas sa sensibilité.
— Échanger… des confidences. Vous n’avez pas besoin de nous raconter cela.
C’est curieux, la façon qu’ont ces gens de se rapprocher de vous, presque de savoir ce que vous pensez . Andrew était sensible à l’effort que Damon avait fait pour ne pas empiéter sur sa vie privée, ni sur les moments plus intimes qu’il avait partagés avec Callista. Intimes… quel drôle de mot, alors que je ne l’ai jamais vue en chair et en os. Être devenu si proche, si proche d’une femme que je n’ai jamais vue… Il était conscient du visage maussade d’Ellemir et réalisa qu’elle aussi sentait vaguement combien il s’était rapproché de sa jumelle. Et que cela lui déplaisait.
Damon, lui aussi, perçut l’irritation d’Ellemir.
— Mon petit, lui dit-il, tu devrais être reconnaissante que quelqu’un, même un étranger, ait pu atteindre Callista. Simplement parce que tu n’as pas pu la trouver et la réconforter toi-même, tu vas en vouloir à cet homme qui a pu le faire ? Préférerais-tu qu’elle soit toute seule dans sa prison ?
Il se retourna vers Andrew.
— Elle est très jeune, s’excusa-t-il presque. Et elles sont jumelles. Mais en reconnaissance pour la bonté que vous avez eue envers ma cousine, je suis prêt à être votre ami. Maintenant, si vous pouvez me raconter ce qu’elle a pu dire au sujet de ses ravisseurs…
— Elle a dit qu’elle était dans le noir, et qu’elle ne savait pas exactement où elle se trouvait, parce que si elle le savait avec précision, elle aurait pu quitter l’endroit d’une façon ou d’une autre. Je n’ai pas très bien compris. Elle a dit que comme elle ne savait pas, son corps – c’est ainsi qu’elle avait l’air de faire la distinction – devait rester là où ils l’avaient mis. Et elle les a maudits.
— A-t-elle dit qui ils étaient ?
— Elle a dit quelque chose qui n’avait aucun sens. Elle a dit que ce n’étaient pas des humains.
— Est-ce qu’elle vous a dit comment elle le savait ? Est-ce qu’elle les a vus ? demanda Damon vivement.
— Non. Elle m’a dit qu’elle ne les avait pas vus, mais qu’elle les soupçonnait de l’avoir gardée dans le noir pour qu’elle ne puisse pas les voir. Mais elle pensait que ce n’étaient pas des hommes, parce que…
Encore une fois, il hésita quelque peu, essayant de trouver une bonne façon de s’exprimer. Oh, la barbe, se dit-il enfin. Si ça n’a pas gêné Callista d’en parler à un étranger, il n’y a pas de quoi être embarrassé.
— Elle savait que ce n’étaient pas des hommes parce qu’aucun d’eux n’avait essayé de la violer. Elle tenait pour certain que n’importe quel homme l’aurait tout simplement fait, ce qui en dit long sur les hommes de votre planète !
— Nous savions déjà que quiconque serait assez vil pour s’attaquer à une leronis ne serait pas un ami des Domaines. Je me doutais qu’on l’avait enlevée, non pas comme on enlèverait n’importe quelle femme, pour se venger, ou pour en faire une esclave, mais précisément parce qu’elle était une puissante télépathe. Ils ne pouvaient espérer la forcer à tourner ses pouvoirs de gardienne contre son peuple. Mais en la faisant prisonnière et en lui confisquant sa pierre-étoile, ils savaient qu’elle ne pourrait pas utiliser ses pouvoirs contre eux, non plus. Et les ravisseurs, si c’étaient des hommes, sauraient qu’une gardienne est toujours vierge ; qu’il y a un moyen plus simple, moins dangereux, de la rendre impuissante contre eux. Une gardienne aux mains des ennemis de son peuple ne resterait pas longtemps vierge.
Andrew frémit de dégoût. C’est charmant, ce monde où ce genre de guerre contre les femmes est considéré comme tout naturel !
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