Hal Clement - Mission Gravité

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La planète Mesklin est réellement singulière. Sa forme et sa taille sont singulières, la gravité y est énorme et irrégulière. Elle tourne autour d'une étoile naine, à une vitesse considérable, le jour à sa surface ne dure que dix huit minutes.
Et c'est sur cette planète que les hommes ont voulu faire atterrir une sonde très coûteuse, au pôle même où la gravité y est de neuf cents atmosphères. La sonde ne redécollera pas.
La solution est donc de contacter le capitaine d'un équipage de la population locale et d'aller récupérer l'appareil là où l'homme ne peut décemment survivre …

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Barlennan l’attendait. Il n’y avait plus à présent qu’un seul radeau au bord de la falaise, attaché dans sa bretelle et prêt à partir. Une radio et les restes de la chèvre y étaient attachés, et le capitaine traînait vers Lackland le mât autour duquel était enroulé le cordage. L’homme s’approchait avec lenteur, car sa terrible fatigue semblait grandir à chaque instant. Mais il atteignit enfin un point situé à environ trois mètres du rebord, tendit la main aussi loin que son vêtement gênant pouvait le lui permettre, et saisit le mât que lui tendait le petit être revenu sur ses pas pour le rencontrer. Sans lui demander de faire attention, ni suggérer quoi que ce soit pouvant montrer qu’il doutait de son grand ami, Barlennan s’en retourna au radeau, s’assura que sa cargaison était bien assujettie, le poussa jusqu’à ce qu’il soit en équilibre sur l’arête de la falaise, et s’y installa.

Il jeta un dernier regard à Lackland, et l’homme aurait juré qu’il l’avait vu cligner de l’œil. Puis sa voix vint par la radio.

— Tenez bon, Charles.

Et le capitaine avança délibérément vers le bord extérieur du radeau qui vacillait de façon précaire. Il avait assuré ses pinces dans les attaches, tout ce qui le maintenait à bord, lorsque la plate-forme se balança une fois de plus et glissa sur la crête.

Il y avait assez de mou dans la corde que Lackland tenait pour permettre une chute de quelque cinquante centimètres, et radeau et passager disparurent instantanément. Une secousse sèche avertit l’homme qu’au moins la corde n’avait pas lâché, et un instant plus tard la voix de Barlennan apportait la même information.

— Allez-y ! conclut-il.

Lackland obéit. C’était plutôt comme le maniement d’un cerf-volant, du moins par la forme du cabestan qu’il utilisait … un fil simplement enroulé sur un bâton. Cela lui rappelait des souvenirs d’enfance. Mais s’il perdait ce cerf-volant-ci, il savait qu’il lui faudrait beaucoup plus longtemps pour s’en consoler. Il n’avait pas une prise excellente sur le mât, aussi pivota-t-il lentement de manière à faire passer la corde autour de son corps avant d’essayer de mieux l’assurer. Alors, satisfait, il laissa glisser doucement.

La voix de Barlennan venait par intervalles, toujours avec quelques mots encourageants. C’était comme si la miniature avait une idée de l’anxiété qui emplissait l’esprit du géant.

— À mi-chemin, à présent … ça marche bien … vous savez, cela ne m’inquiète plus de regarder, même de si haut … nous y sommes presque … encore un peu … Ça y est. Je suis en bas. Gardez encore le cabestan un moment, s’il vous plaît. Je vous dirai quand l’endroit sera dégagé pour que vous puissiez le jeter.

Lackland continua à obéir. En guise de souvenir, il essaya de couper quelques centimètres du bout du câble, mais c’était impossible, même avec les pinces de son scaphandre. Toutefois, l’arête d’une des agrafes de son blindage se montra assez aiguisée pour couper ce matériau, et il enroula le souvenir autour de son bras avant de s’occuper des dernières demandes de son allié.

— Nous avons déblayé tout ce qu’il y avait là-dessous, Charles, vous pouvez laisser filer la corde et lancer le mât quand vous voudrez.

Le fin cordage glissa instantanément hors de vue et les vingt-cinq centimètres de baguette qui constituaient l’un des bouts-dehors du Bree suivirent. Voir les choses tomber sous une triple gravité, découvrit Lackland, était encore pire que d’y penser. Peut-être serait-ce mieux aux pôles … alors, on ne pourrait pas les voir du tout. Pas quand un objet tombe de quelque trois kilomètres dans la première seconde de chute ! Mais peut-être que la disparition abrupte serait tout aussi éprouvante pour les nerfs. Lackland rejeta ces pensées d’un haussement d’épaules et retourna vers sa chenillette.

Pendant les deux heures environ que prit l’opération, il assista à l’assemblage du Bree sur les écrans de télévision. Il ressentait un léger regret de ne pouvoir continuer. Il vit le train de radeaux lancé sur le large fleuve, et entendit les adieux de Barlennan, de Dondragmer et de l’équipage … Il pouvait comprendre le sens des sons que lançaient les marins qui, eux, ne parlaient pas anglais. Bientôt, le courant entraîna le vaisseau assez loin de la falaise pour qu’il fût visible directement de la chenillette. Lackland leva silencieusement les mains en signe d’adieu et le vit diminuer lentement et enfin disparaître en direction de la lointaine mer.

De longues minutes, il resta assis, rêveur. Puis il se secoua et appela la base de Toorey.

— Vous pouvez aussi bien venir me prendre. J’ai fait tout ce que je pouvais sur ce monde.

10

DES BATEAUX CREUX

Le fleuve, lorsqu’il s’éloignait de la grande cataracte, était large et lent. D’abord, l’appel d’air causé par la chute d’« eau » poussait une brise qui se dirigeait vers la mer, et Barlennan fit mettre à la voile pour en profiter. Mais bientôt ce vent mourut et laissa le vaisseau à la merci du courant. Comme il allait dans la bonne direction, nul ne s’en plaignit. L’expédition par voie de terre avait été intéressante et profitable, car plusieurs des plantes recueillies pourraient être vendues à un bon prix lorsqu’ils atteindraient leur patrie. Mais personne ne gémissait d’avoir de nouveau un pont mouvant sous les pieds. Certains se retournèrent plusieurs fois vers la cataracte tant qu’elle fut visible, et tous regardèrent vers l’ouest pour un coup d’œil à la fusée dont le tonnerre assourdi les atteignait. Mais, en général, les pensées étaient plutôt tournées vers l’avenir.

Plus ils avançaient, plus les deux rives attiraient l’attention. Durant leur voyage à travers le pays, ils s’étaient habitués à la vue des rares plantes un peu hautes semblables à celles que le Volant appelait des « arbres », en découvrant une tous les deux ou trois jours. Ç’avait d’abord été des objets fascinants et, de plus, la source d’un des aliments qu’ils projetaient de revendre à leur retour chez eux. À présent, les arbres devenaient de plus en plus nombreux, menaçant de remplacer entièrement les végétaux plus familiers qui s’étalaient comme des tas de cordages. Et Barlennan en vint à se demander si une colonie installée ici ne pourrait pas subsister par elle-même grâce au commerce de ce que le Volant avait appelé des pommes de pin.

Durant longtemps, soixante-quinze kilomètres en tout cas, on ne rencontra pas d’êtres conscients, bien qu’il y eût tout au long des rives des animaux en grand nombre. Le fleuve lui-même fourmillait de poissons dont aucun ne semblait assez gros pour constituer un danger pour le Bree. Enfin, le fleuve, de chaque côté, fut bordé par des arbres, une forêt dont nul ne pouvait juger l’étendue. Et Barlennan, éperonné par la curiosité, ordonna de diriger le vaisseau plus près du rivage pour voir à quoi ressemblait une forêt … bien que le mot n’existât pas dans son vocabulaire, évidemment.

Même dans les profondeurs du bois, il faisait assez clair, le sommet des arbres ne s’étalant pas autant que sur la Terre, mais la sensation était étrange. Dérivant presque à l’ombre des plantes bizarres, plusieurs des membres de l’équipage ressentirent un retour de leur ancienne terreur des objets solides les surplombant. Et ce fut un soulagement général quand le capitaine ordonna d’un geste au timonier de s’éloigner de nouveau de la rive.

S’il y avait des habitants, on serait heureux de les rencontrer … Dondragmer exprima cette opinion d’une voix forte, soutenu par un murmure général d’approbation. Par malheur, ces paroles ne furent pas entendues ou pas comprises de ceux qui, sur la rive, écoutaient. Peut-être ne craignaient-ils pas vraiment que l’équipage leur dérobe leur forêt, mais ils décidèrent de ne pas en courir le risque. Et une fois de plus, les visiteurs des hautes gravités firent l’expérience des armes de jet.

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