Robert Silverberg - Ciel brûlant de minuit

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XXIVe siècle. Effet de serre. Plus de couche d'ozone. La Terre a basculé dans les bouleversements climatiques, et le ciel brûlant de minuit ne laisse jamais filtrer la moindre fraîcheur.Tandis que Paul Carpenter remorque un iceberg monstrueux afin d'alimenter Los Angeles en eau potable, Nick Rhodes, biologiste, cherche à adapter l'humanité à une atmosphère pauvre en oxygène, pour le compte d'un conglomérat japonais. Isabelle cherche l'amour, et Jolanda le dépassement de l'art.Ils sont tous pris au piège de ce monde dégradé, de leurs vies bancales et de leurs amours furtives, aussi déboussolés que la Terre brûlante qui les porte.Et tous, ils cherchent la sortie.Dans les étoiles…
Robert Silverberg, consacré par quatre prix Hugo et cinq prix Nebula, dresse ici le tableau d'un avenir plausible, terrifiant et fascinant.

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— Mais il y a si peu de place.

— On s’arrangera. Reste, s’il te plaît. Je me sentirais vraiment mal, si je te renvoyais en pleine nuit.

— Euh !…

— Je veux que tu restes.

— Bon, fit-il en souriant. Dans ce cas…

Elle entra dans la salle de bains, où elle resta un long moment. Carpenter s’avança vers le lit étroit, ne sachant s’il devait se déshabiller. Quand Jeanne sortit enfin, elle portait une longue chemise de nuit. Carpenter alla faire ses ablutions ; quand il revint, elle était couchée et la lumière était éteinte.

Il enleva ses vêtements, ne gardant que son caleçon, et s’allongea sur le sol du séjour.

— Non, fit Jeanne au bout d’un petit moment. Idiot !

Carpenter sentit monter en lui un mélange de reconnaissance, d’excitation et de quelque chose qui s’apparentait à un remords. Il s’avança dans l’obscurité, heurtant des meubles, et se glissa délicatement dans le lit, en prenant garde de ne pas entrer en contact avec le corps de Jeanne. Il y avait tout juste assez de place pour deux.

Quand ses yeux se furent habitués à la pénombre, il vit que la chemise de nuit était ouverte, qu’elle était nue dessous et qu’elle tremblait. Carpenter fit glisser son caleçon le long de ses jambes et l’écarta du pied. Puis il posa doucement la main sur l’épaule de Jeanne.

— Froid, souffla-t-elle en frissonnant.

— Le lit va se réchauffer.

— Oui. Oui, il va se réchauffer.

Il fit descendre sa main, la referma sur un sein petit et ferme, au mamelon déjà dur. Il perçut le battement du cœur dans la poitrine, si bruyant qu’il en fut surpris.

Il se sentit en proie à d’étranges hésitations. Coucher avec une inconnue n’était pas une expérience nouvelle pour Carpenter. Jeanne Gabel n’était pas véritablement une inconnue pour lui, mais, dans un certain sens, elle l’était. Il la connaissait depuis si longtemps et pourtant il ne la connaissait pas du tout, ils étaient de si bons amis et pourtant, en aucune manière, ils n’avaient jamais été intimes. Et maintenant, il était dans son lit et avait la main sur sa poitrine. Elle attendait. Mais manifestement elle était effrayée. Elle ne semblait pas plus que lui savoir ce qu’il fallait faire. Carpenter se prit à craindre qu’elle ne fasse tout cela uniquement par pitié pour lui, et cela ne lui plaisait pas du tout. Il lui vint même une idée saugrenue : et si elle était vierge ? Mais, non, non, c’était impossible. Jeanne avait au moins trente-cinq ans. Une femme qui avait gardé sa virginité à cet âge, s’il en existait hors du couvent, la conserverait probablement jusqu’à la fin de ses jours.

Elle vint se frotter contre lui, indiquant gauchement qu’elle attendait qu’il aille plus loin. La main de Carpenter glissa jusqu’à la jonction des cuisses.

— Paul… Oh oui, Paul !… Oui !…

Le convenu des mots, la raucité de la voix, ce côté théâtral un peu forcé, tout cela l’agaça quelque peu. Mais qu’était-elle censée dire d’autre ? Qu’aurait-elle pu dire d’autre, dans cette situation bizarre et tendue, que « Paul » et « oui » ?

Il la caressa avec précaution, tendrement, encore incapable de croire tout à fait que c’était arrivé, qu’après tout ce temps Jeanne et lui étaient au lit ensemble.

— Je t’aime, murmura-t-il.

Ces mots-là, il les lui avait déjà dits très souvent avec désinvolture, sur un ton de badinage, et il subsistait dans sa voix un peu du badinage. Mais il y avait autre chose… Un sentiment de culpabilité, peut-être, d’avoir fait intrusion dans la vie solitaire si ordonnée de Jeanne, après sa réaction de panique stupide, sa fuite désespérée pour échapper au chaos qu’était devenue sa vie depuis son retour à San Francisco. Il y avait aussi une composante de gratitude, la reconnaissance pour ce don qu’elle lui faisait. Badinage, sentiment de culpabilité, gratitude ; on pouvait trouver de meilleures raisons pour dire à quelqu’un qu’on l’aime.

— Je t’aime, Paul, fit-elle d’une voix à peine audible tandis que les mains de Carpenter exploraient les parties les plus secrètes de son corps. Je t’aime vraiment.

D’un coup de reins, il fut en elle.

Elle n’était pas vierge, non, c’était presque une certitude. Mais cela devait faire longtemps qu’elle n’avait pas fait cela avec un homme. Très longtemps.

Elle le serra étroitement entre ses longs bras musclés. Elle remuait les hanches en cadence, avec avidité, mais à une cadence différente de la sienne, ce qui rendait les choses assez délicates. Elle manquait à l’évidence de pratique. Carpenter pesa sur elle de tout son poids pour essayer de synchroniser leurs mouvements. Cela sembla marcher : elle s’en remettait à son habileté technique. Mais, d’un seul coup, toute la maîtrise acquise au fil des ans dans ce domaine fut balayée par une masse impétueuse d’émotions troubles qui surgit des profondeurs de son être, une violente poussée de terreur désespérée et de solitude, prise de conscience de la dégringolade en chute libre que venait si brutalement d’amorcer sa vie. Des vents de tempête soufflaient dans sa tête, des Diablos mugissants qui attisaient des bouffées brûlantes de rage tandis que se poursuivait la chute interminable au milieu de tourbillons de gaz délétères. Il s’agrippa à Jeanne en sanglotant et en hoquetant, comme un petit garçon réfugié dans les bras de sa mère.

— Oui, Paul ! murmura-t-elle. Oui ! Je t’aime, je t’aime, je t’aime…

Quand le plaisir vint, ce fut comme des coups de marteau à l’intérieur. Carpenter poussa un cri rauque et enfouit sa tête dans le creux de l’épaule de Jeanne ; ses larmes coulèrent comme elles n’avaient pas coulé depuis si longtemps qu’il avait oublié à quand remontait la dernière fois. Pendant un long moment, ils demeurèrent immobiles, sans un mot, sans un mouvement ou presque. Puis elle effleura son épaule des lèvres, se glissa hors du lit et entra dans la salle de bains. Elle y resta longtemps. Il entendit de l’eau couler ; il crut percevoir une sorte de sanglot, mais il n’en fut pas sûr et se dit qu’il ne lui poserait pas la question. Si c’était un sanglot, que ce soit un sanglot de bonheur.

Elle sortit et vint se nicher contre lui dans le lit étroit. Ils ne parlèrent ni l’un ni l’autre. Il la prit dans ses bras et elle se pelotonna contre lui ; au bout d’un moment, il se rendit compte qu’elle s’était endormie. Il finit, lui aussi, par sombrer dans le sommeil.

23

— As-tu des nouvelles de Paul, Nick ? demanda Isabelle.

— Il a appelé il y a quelques jours, répondit Rhodes. Je crois qu’il était quelque part dans le Nevada. Il m’a dit qu’il avait été lâché par la Compagnie et m’a laissé un message pour me signaler qu’il allait à Chicago, sans numéro pour le rappeler. Depuis, plus rien.

— Pourquoi Chicago ? demanda Isabelle. C’est le dernier endroit où j’irais.

— Il a dit qu’il avait une amie là-bas. Je ne sais pas de qui il parlait.

— Une femme ?

— Oui. Paul a toujours cherché du réconfort auprès des femmes, quand il est dans une mauvaise passe.

Isabelle éclata de rire et le prit par les épaules, enfonçant ses doigts avec douceur et fermeté dans les muscles durs et développés.

— Vous vous ressemblez comme deux gouttes d’eau, tous les deux, dit-elle. Dès que les choses vont mal pour vous, vous allez vous blottir dans le giron de maman. Mais pourquoi pas ? C’est sans doute pour cela qu’il y a des femmes.

Ils étaient dans l’appartement de Rhodes, dominant la baie, peu avant minuit, après un dîner tardif à Sausalito. Isabelle restait pour la nuit. Rhodes se sentait calme et en veine d’épanchements, pour changer. Ce soir-là, tout était exactement comme il aimait que soient les choses : lumière tamisée, musique douce flottant légèrement dans la pièce, un verre de son meilleur brandy à la main. Et Isabelle. Leur relation était au beau fixe depuis quelques jours, Isabelle se montrait assez aimable, accommodante, tendre même.

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