« Plus jamais ça, dit l’homme des cavernes. » (Structures laryngées chez les ancêtres de l’homme.) In Speech Dynamics , janvier-février 1997, vol. 6, n° 2, p. 24 (3). Réf. A19429340. Texte : oui (1 551 mots). Résumé : oui.
« L’os du cou néandertalien à l’origine du blabla. » (La découverte d’un hyoïde fossile indiquerait une aptitude au langage.) Science News , 24 avril 1993, vol. 143, n° 17, p.262 (1). Réf. A13805017. Texte : oui (557 mots). Résumé : oui.
« Le débat sur la parole chez les néandertaliens : les langues s’agitent de nouveau. » (Nouvelle reconstitution du crâne néandertalien de La Chapelle.) Science , 3 avril 1992, vol. 256, n° 5053, p. 33 (2). Réf. : A12180871. Texte : oui (1 273 mots). Résumé : non.
Elle sélectionna tour à tour chaque article, qu’elle lut de bout en bout. Il y avait eu un long débat chez les anthropologues sur l’existence d’un langage néandertalien. Il était difficile de résoudre cette énigme dans la mesure où les parties charnues des fossiles n’existaient plus. Mais, dans les années soixante, le linguiste Philip Lieberman et l’anatomiste Edmund Crelin avaient réalisé une étude sur le plus célèbre des néandertaliens, le spécimen découvert en 1908 à La Chapelle-aux-Saints. Leur conclusion était que les hommes de Neandertal possédaient un larynx en position haute et que le passage de l’air se faisait selon une courbe légère et régulière depuis leur arrière-bouche, ce qui semblait signifier qu’ils n’avaient pas les cordes vocales de l’homme moderne.
Cette opinion fut remise en question en 1989, lorsqu’un squelette de néandertalien baptisé Moshé fut découvert dans les environs du mont Carmel, en Israël. Pour la première fois, un os hyoïde d’homme de Neandertal avait été retrouvé. Il était bien plus grand que celui d’un homme moderne, mais les proportions étaient les mêmes. Malheureusement, le crâne de Moshé n’était pas sur le site, et toute reconstitution de ses cordes vocales était impossible. De même, chose tout à fait cruciale, il n’était pas question de déterminer la position de l’hyoïde dans le larynx.
L’article de Science contenait une déclaration d’Alan Mann, de l’université de Pennsylvanie, qui estimait que « les indices contradictoires dont nous disposons actuellement ne permettent pas à un observateur objectif de départager les partisans et les ennemis du langage néandertalien ». Ian Tattersall, de l’American Museum of Natural History, était à peu près du même avis. Il disait que la plupart des anthropologues étaient en « position d’attente » jusqu’à ce qu’il y ait des indices plus nets.
Molly tremblait de tous ses membres lorsqu’elle eut fini sa lecture. L’idée horrible, incroyable, impensable qu’elle avait à l’esprit était que Burian Klimus avait trouvé un moyen diabolique d’apporter la preuve qui manquait.
— Bonjour, Helen.
Helen Kawabata leva les yeux.
— Pierre ! Mon Dieu ! On devrait vous affecter un emplacement réservé sur le parking !
Il lui sourit d’un air gêné.
— Désolé, mais…
— Mais vous avez une nouvelle faveur à me demander.
— Un de ces jours, je passerai juste pour dire bonjour.
— Bonne idée. Quand ?
Il sortit le Gillette de sa poche.
— J’ai ramassé ça chez Mrs Proctor. C’est le rasoir de son mari. Je me suis dit que vous pourriez peut-être y trouver de quoi faire un prélèvement d’ADN. Je n’ai pas l’habitude de faire des trucs comme ça.
Elle alla chercher un sachet stérile dans une armoire et l’ouvrit devant lui.
— Déposez-le ici.
— Merci de tout cœur, Helen. Vous êtes un chou.
Elle se mit à rire.
— Un chou ? Vous devriez vous recycler chez Berlitz, Pierre. Plus personne ne parle comme ça, aujourd’hui.
Molly, furieuse de ce qu’elle soupçonnait Klimus d’avoir fait, marchait vers la sortie du campus, à hauteur de North Gate Hall, quand elle entendit la dispute. Elle regarda autour d’elle pour voir d’où venaient les éclats de voix. À une vingtaine de mètres de là, se tenait un couple d’étudiants d’une vingtaine d’années. Le garçon avait de longs cheveux bruns noués en queue-de-cheval, le visage rond et plein, les joues congestionnées par la colère. Sa compagne, menue, cheveux blond platine, portait un jean délavé et un sweat jaune à l’effigie de Homer Simpson. En jean noir et blouson en velours côtelé dont la glissière n’était pas fermée jusqu’en haut et laissait voir son T-shirt blanc, le garçon hurlait dans une langue inconnue. Et il soulignait ses paroles en agitant un doigt sous le nez de la fille.
Molly ralentit. Il y avait des problèmes de harcèlement sur le campus, et elle voulait savoir si son intervention était nécessaire.
Mais la jeune fille semblait de taille à se défendre. Elle répliqua dans la même langue. Son expression corporelle était différente de celle du garçon, mais tout aussi hostile. Elle tenait ses deux mains devant elle, les doigts écartés, comme si elle voulait les refermer autour de la gorge de l’autre.
Molly voulait juste s’assurer qu’il n’y aurait pas de violence et que la fille participait librement à la dispute. Quelques passants s’étaient arrêtés eux aussi, mais la plupart continuaient leur chemin après avoir ralenti pour voir ce qui se passait. La fille retira une bague de l’un de ses doigts. Ce n’était pas une bague de fiançailles, elle ne la portait pas au bon doigt. Mais ce devait être quand même un cadeau du garçon. Elle lui jeta l’objet et tourna les talons. La bague rebondit sur le torse du jeune homme et vola dans l’herbe.
Molly allait s’éloigner lorsque le garçon, à genoux pour retrouver la bague, s’écria : « Blyat ! » à l’adresse de la jeune femme.
Molly se figea. Elle revit une scène à San Francisco, des années auparavant, lorsqu’elle avait surpris ce vieux dégueulasse en train de torturer un chat agonisant. C’était le même mot qu’il avait crié à Molly.
Elle suivit la jeune femme, qui marchait d’un pas décidé vers la porte du bâtiment le plus proche, la tête haute, ignorant le regard des curieux. Le garçon était toujours à quatre pattes dans l’herbe pour essayer de retrouver sa bague. Molly rattrapa la fille au moment où elle posait la main sur la poignée verticale tubulaire, polie par des milliers de mains d’étudiants chaque jour.
— Ça va ? lui demanda-t-elle.
Elle la regarda, l’expression toujours furieuse, mais ne dit rien.
— Je m’appelle Molly Bond. J’enseigne la psycho. Je voulais savoir si vous vous sentez bien.
La fille la regarda un moment sans rien dire, puis désigna l’endroit où était le garçon en murmurant avec un fort accent :
— Je ne me suis jamais mieux sentie de ma vie.
— C’est votre copain ? demanda Molly.
Pendant qu’elle disait ces mots, le garçon se releva en brandissant la bague, jetant sur les deux femmes un regard furibond.
— C’était, répondit l’étudiante. Mais je l’ai surpris avec une autre.
— Vous faites partie de la section internationale ?
— Oui. Je suis lituanienne. J’étudie l’informatique.
Molly hocha la tête. C’était là, naturellement, que leur conversation aurait dû prendre fin. Mais il y avait quelque chose qu’elle mourait d’envie de savoir d’abord. D’un ton qu’elle voulait détaché, elle demanda :
— Il vous a crié : « Blyat ! » Est-ce que c’est du…
Elle s’interrompit, de peur de passer pour une ignorante. Est-ce que le lituanien existait ?
— Non, lui dit la fille, devinant ce qu’elle voulait dire. Ce n’est pas du lituanien, c’est du russe.
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