Il examina la serrure incorporée au bouton de porte du bureau de Klimus, mais rien ne lui indiquait quelle était la bonne clé. Il se mit à les essayer l’une après l’autre, incapable de les empêcher de s’entrechoquer. Il se sentait terriblement nerveux.
— Je peux vous aider ? demanda une voix au fort accent étranger.
Son cœur fit un bond. Il tourna la tête.
— Carlos ! dit-il en voyant l’appariteur. Vous m’avez fait peur !
— Désolé, docteur Tardivel. Je ne savais pas que c’était vous. Vous avez besoin d’aller dans le bureau du Dr Klimus ?
— Euh… oui. J’ai besoin d’un ouvrage de référence qui est à l’intérieur.
Carlos prit son propre trousseau de clés, attaché à sa ceinture par un système qui libérait une longueur de cordon quand il tirait dessus mais le rentrait dès qu’il le lâchait. Il se pencha en avant pour ouvrir la porte, entra et alluma. Les panneaux du plafond grésillèrent un peu en s’illuminant. Leur éclat jeta des reflets sur les plaques de verre couvrant les photos d’astronomie sur les murs. Carlos fit signe à Pierre de le suivre. Ce dernier fit semblant de chercher un volume dans les rayonnages qui allaient du sol au plafond.
— Vous trouvez ce que vous voulez ? lui demanda Carlos.
— Non. Ils ne sont pas rangés par ordre alphabétique. Ça va prendre un moment.
— Allez-y, je vous laisse faire. Veillez à bien refermer la porte en partant. Il y a eu quelques effractions ces derniers temps.
— Ne craignez rien, dit Pierre. Merci.
Dès qu’il entendit les pas de l’appariteur s’éloigner dans le couloir, Pierre se dirigea vers la deuxième porte. Elle était fermée à clé. Il essaya de l’ouvrir avec son trousseau, mais aucune des clés ne correspondait à la serrure. Il alla fouiller dans le tiroir du bureau, espérant en trouver d’autres. Mais il n’y avait rien. En se retournant pour regarder autour de lui, il sentit son bras qui se mettait à bouger de lui-même. Il heurta le globe posé sur le petit meuble. Un instant, il crut, horrifié, qu’il allait tomber par terre. Mais la planète rouge fit un tour et demi sur son axe et s’immobilisa.
Il sortit son portefeuille, en tira sa carte de chez Macy et essaya de la glisser entre la porte et le chambranle, comme il l’avait vu faire dans d’innombrables téléfilms. Mais le temps passait, et il était terrifié à l’idée que Carlos puisse revenir. Finalement, il réussit à faire glisser le verrou. Il ouvrit la porte, entra et tâtonna pour trouver l’interrupteur.
Il y avait un petit réfrigérateur contre le mur, posé sur un support comme on en fait pour les fours à micro-ondes. Sur la porte, un papier indiquait en caractères d’imprimante laser : « Spécimens biologiques périssables. Ne pas éteindre ou débrancher cet appareil. »
Il ouvrit la porte. À l’intérieur, trois clayettes contenaient des éprouvettes hermétiquement bouchées. Dans la contreporte étaient rangées quelques canettes de Dr Pepper.
Les éprouvettes étaient étiquetées. Il trouva rapidement celle qu’il voulait. Elle portait la simple mention manuscrite : « Hannah. »
Il prit l’échantillon, referma le frigo, éteignit la lumière, repassa par le bureau de Klimus et sortit, mais sans fermer à clé. Il se rendit dans son labo, se servit d’enzymes de restriction pour prélever quelques fragments d’ADN et les soumit aussitôt à la polymérisation en chaîne. Demain, quand il viendrait travailler, il disposerait de millions de copies des fragments.
Il retourna dans le bureau de Klimus, remit l’éprouvette dans le frigo, referma la porte, ferma à clé la porte extérieure et rentra chez lui, débordant d’adrénaline.
Le lendemain, Pierre était dans le couloir conduisant à son labo quand il entendit le téléphone sonner. Il pressa le pas (toutes proportions gardées : n’importe quelle personne normale l’aurait rattrapé en marchant un peu vite), ouvrit la porte et décrocha.
— Allô ?
— Salut, Pierre. Ici Helen Kawabata.
— Comment ça va, Helen ?
— Vous avez de la veine. J’ai pu récupérer suffisamment d’ADN sur le rasoir de Proctor. La lame était émoussée. Il avait dû s’en servir longtemps. Enfin, il faut que j’aille au tribunal ce matin, mais vous pouvez passer dans l’après-midi, si vous voulez.
— Merci beaucoup, Helen. J’apprécie vraiment.
— C’est le moins que puisse faire un petit chou. À bientôt.
Pierre se mit au travail. Il établit d’abord par ACP le profil de l’ADN d’Amanda et de celui de Hapless Hannah. L’analyse n’était pas aussi complète qu’une véritable empreinte génétique ADN, mais elle donnerait des résultats en deux jours au lieu de deux semaines. Après avoir lancé l’opération, il prit sa voiture pour aller à San Francisco en passant par Bay Bridge. Il s’arrêta sur le parking de l’immeuble de la police, alla chercher les spécimens réfrigérés de l’ADN de Bryan Proctor et retourna directement au LBNL. Il tomba sur Shari Cohen dans le couloir.
— Shari, est-ce que tu pourrais refaire la batterie de tests sur ce nouveau spécimen, s’il te plaît ?
— Bien sûr, Pierre.
— Merci. Le voilà. Oh, assure-toi qu’il y a bien un chromosome Y veux-tu ?
Il était possible que Mrs Proctor se soit servie du rasoir pour s’épiler les jambes ou les aisselles.
— D’accord.
— Merci bien. Tiens-moi au courant dès que tu auras des résultats.
Ce soir-là, après avoir embrassé Molly et Amanda, Pierre s’assit sur le canapé pour lire son courrier. Il s’efforçait de ne pas penser à l’ADN d’Amanda. Il n’aurait les résultats que le surlendemain.
Il avait reçu le dernier numéro de Maclean’s , avec des nouvelles du Canada maintenant vieilles de quinze jours. Son Solaris était arrivé aussi. Il veillait à lire des revues en français afin de continuer à penser dans cette langue. Il y avait également sa facture pour la carte VISA et…
Un truc qui venait de Condor Health Insurance. Une grosse enveloppe jaune.
Il l’ouvrit. C’était le rapport annuel, avec une note annonçant la prochaine assemblée générale.
Molly s’assit à côté de lui. Pendant que Pierre lisait l’annonce de l’assemblée générale, elle feuilleta le compte rendu annuel. C’était une brochure à la reliure luxueuse et à la couverture semi-rigide noir et jaune, format A4.
— « Condor est le numéro un du Pacifique Nord-Ouest dans le domaine des assurances maladie à taux progressifs, lut-elle sur la première page intérieure. Avec un souci de prévoyance et un engagement d’excellence de notre part, nous garantissons la sérénité aux 1 700 000 adhérents qui nous ont fait confiance en Californie du Nord, en Oregon et dans l’État de Washington. »
— Sérénité, mon cul, dit Pierre. Quelle sérénité peut avoir une femme enceinte à qui on dit qu’il faut qu’elle avorte si elle ne veut pas perdre le bénéfice de son assurance, ou un sujet à risque de la maladie de Huntington que l’on oblige à passer le test génétique ? (Il brandit la notice de l’assemblée générale annuelle.) Tu crois que je devrais y aller ?
— C’est quand ?
— Le 18 octobre. Un vendredi. Dans trois mois.
— À ta place, j’irais, pour leur dire ce que je pense d’eux.
Le 1 eraoût, Pierre partit de bonne heure pour le labo, impatient de découvrir l’empreinte génétique de Hapless Hannah et de la comparer à celle d’Amanda Tardivel-Bond.
Il suffisait d’un coup d’œil aux autoradiographies, et…
Merde ! Bordel de Dieu de merde !
Tous les marqueurs étaient identiques.
Il trouva un siège et s’assit in extremis avant de tomber.
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