Médecine légale, 314.
Haussant les sourcils, il regarda derrière lui. Le sergent scrutait toujours son écran. Pierre rebroussa chemin, dépassa discrètement le comptoir et prit l’ascenseur.
Il descendit au troisième et trouva le bureau 314. Une plaque, sur la porte, indiquait bien médecine légale . Il y avait deux noms en petits caractères : H. Kawabata et J. Howels. Il poussa la porte et passa la tête à l’intérieur.
— Hello ?
Une grande Asiatique, la quarantaine, émergea de derrière une cloison mobile. Cheveux blond platine, coupés à la Jeanne d’Arc. Trois bagues à la main droite, chaînette au poignet, collier ras de cou assorti et deux petits clous d’oreille du côté gauche. Sa blouse blanche de labo n’était pas boutonnée et laissait voir son tailleur-pantalon rose, de la même nuance que son rouge à lèvres.
— Que puis-je pour vous ? demanda-t-elle d’une voix rapide.
Pierre n’aimait pas parier, mais il ne risquait guère de se tromper.
— Mrs Kawabata ?
— C’est moi.
Il sourit et s’avança.
— Pardonnez-moi, mais j’étais dans l’immeuble pour une autre raison et je n’ai pas pu résister. Je sais que j’aurais dû prendre rendez-vous, mais…
— Si vous avez quelque chose à vendre, il faut vous adresser aux services administratifs, à l’étage au-dessus, dit-elle d’une voix soudain durcie.
Pierre secoua la tête. Il avait peut-être intérêt à modifier ses goûts en matière de vestes de sport.
— Je ne suis pas représentant, dit-il. Je suis généticien. Je travaille au Centre du Génome humain, à Lawrence Berkeley.
Elle porta deux doigts à ses lèvres.
— Oh ! Excusez-moi. Entrez, entrez, monsieur… ?
— Tardivel. Dr Pierre Tardivel.
— Je m’appelle Helen, répliqua-t-elle en lui tendant la main. J’ai fait mes études à l’UCB. J’ai entendu dire que vous aviez un prix Nobel à la tête du service, maintenant. Comment s’appelle-t-il, déjà ?
— Burian Klimus.
Elle hocha la tête.
— C’est vrai. La méthode de Klimus. Génial. On commence à l’utiliser ici. Quel effet ça fait de travailler avec lui ?
Pierre décida d’être sincère.
— C’est un ours. Heureusement qu’il passe les trois quarts de son temps à l’Institut des Origines de l’Homme. Il s’intéresse à l’ADN néandertalien.
Elle sourit.
— Je l’ai vu à la télé un jour. Il a l’air assez vieux pour détenir des renseignements de première main sur la question.
Il eut un rire poli. Puis il examina le labo, qui ressemblait à tous ceux qu’il connaissait – y compris les dessins humoristiques scotchés aux portes des armoires.
— Vous êtes bien équipés, dit-il.
Helen balaya du regard les centrifugeuses, microscopes et autres appareils, comme pour les évaluer elle aussi.
— Ça peut aller, dit-elle. Nous n’avons pas tellement l’occasion de pratiquer des analyses d’ADN, mais c’est intéressant quand il faut témoigner devant les tribunaux. La semaine dernière, nous avons épinglé un violeur en série. Mais ça reste marginal.
Pierre hocha la tête.
— J’ai lu l’article dans le Chronicle . Toutes mes félicitations.
— Merci.
— Je me demandais si vous pouviez faire quelque chose pour moi. Voilà peu, j’ai été agressé. C’est la raison de ma présence ici. J’essaie de découvrir pourquoi ce type m’en voulait personnellement alors que je ne le connaissais pas, et…
— Et ils vous ont envoyé chez nous ?
— Exactement.
— Que voudriez-vous savoir ?
— L’un des inspecteurs chargés de l’enquête m’a dit qu’il s’agissait d’un néonazi, avec un casier bien rempli. J’aurais voulu avoir accès à quelques-unes de ces informations.
Helen fronça les sourcils.
— Vous travaillez réellement au Centre du Génome humain ?
Pierre allait sortir son portefeuille, mais se ravisa.
— Mettez-moi à l’épreuve.
Elle plissa les yeux.
— Très bien. Que signifie « riflip » ?
— RFLP, répondit aussitôt Pierre. Restriction fragment length polymorphism [9] Polymorphisme des fragments de restriction. ( N.d.T.)
. Il s’agit de la variation, d’un individu à l’autre, de la taille des fragments d’ADN détachés par une enzyme de restriction spécifique.
Elle lui sourit.
— J’aimerais visiter votre labo, Pierre.
Cette fois, il sortit son portefeuille pour en tirer une carte de visite professionnelle. Il s’en était fait imprimer une série le mois précédent, lorsque le labo avait modifié son nom pour devenir le Lawrence Berkeley National Laboratory au lieu du Lawrence Berkeley Laboratory tout court.
— Quand vous voudrez, lui dit-il en lui tendant la carte.
Elle la rangea dans une petite boîte en métal sur son bureau. Puis elle s’assit devant son écran d’ordinateur.
— Que voulez-vous savoir ?
— Mon agresseur s’appelait Chuck Hanratty. Je n’ai pas compris pourquoi il m’en voulait spécialement. C’est un peu inquiétant, de savoir qu’on a cherché à vous tuer.
Elle tapa sur le clavier avec deux doigts. Ses sourcils délicats se soulevèrent et elle murmura :
— Vous l’avez tué.
— En fait, il est tombé sur son poignard. Ils disent vraiment que je l’ai assassiné ?
— Non, non, pardonnez-moi. Ils disent simplement qu’il est mort en luttant avec sa victime. Qu’est-ce que vous voulez savoir au juste ?
— N’importe quoi. S’il a attaqué d’autres personnes, par exemple.
— Je vous imprime un exemplaire du rapport. Mais ne dites pas que c’est moi qui vous l’ai communiqué. Ah ! Voilà qui vous intéressera peut-être. Après sa mort, nous avons envoyé quelques hommes chez lui. Il habitait dans un quartier malfamé. Et parmi les affaires que nous avons récupérées, il y avait un portefeuille avec des cartes de crédit au nom de Bryan – avec un y – Proctor. Le dossier indique que ce Proctor a été tué d’une balle dans la tête par un inconnu deux jours avant votre agression. Les enquêteurs ont trouvé une arme à feu chez Hanratty. Et le service de la balistique confirme qu’il s’agit de l’arme du crime.
— Ce Proctor avait de la famille ?
Elle tapa de nouveau sur son clavier.
— Une épouse.
— Et vous croyez que je pourrais lui parler ?
— Ça, ça dépend d’elle.
— Pierre Tardivel ?
Il était penché sur sa paillasse. Il se redressa.
— Oui ?
Un petit homme trapu entra dans le labo. Visage de bouledogue, barbe de trois jours.
— Je m’appelle Avi Meyer, dit-il en exhibant une carte officielle. Je suis agent fédéral au Département de la Justice. J’aimerais vous dire quelques mots.
Pierre se redressa.
— Euh… naturellement. Asseyez-vous, dit-il en désignant un tabouret.
Avi préféra rester debout.
— Vous n’êtes pas citoyen américain, dit-il.
— Non, je suis…
— Canadien, n’est-ce pas ?
— Oui. Je suis originaire du…
— Du Québec.
— Exactement. Du Québec. Montréal. Qu’est-ce que…
— Puis-je savoir ce qui vous a amené aux États-Unis ?
Pierre avait envie de répondre : « Air Canada », mais préféra s’abstenir.
— J’ai une bourse de recherche, dit-il.
— Vous êtes généticien ?
— Oui. J’ai un doctorat en biologie moléculaire, mais…
— Quels rapports avez-vous avec les autres généticiens du Centre ?
— Je ne saisis pas très bien le sens de votre question. Ce sont mes collègues, mes amis, dans certains cas.
— Le Pr Sinclair. Quels rapports avez-vous avec lui ?
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