— Toby ? Je l’aime bien. Mais je le connais à peine.
— Et Donna Yamasaki ? Pierre haussa les sourcils.
— Elle est très gentille. Mais son nom n’est pas…
— Vous connaissiez-vous avant votre arrivée à Berkeley ?
— Pas du tout.
— Vous travaillez pour Burian Klimus.
— Oui. Enfin, pas directement. J’ai un supérieur hiérarchique. Mais c’est lui le grand patron.
— Quand l’avez-vous vu pour la première fois ?
— Environ trois jours après mon arrivée au labo.
— Et vous ne le connaissiez pas avant ?
— De réputation, naturellement. Mais…
— Vous n’êtes pas un de ses parents ?
— Klimus ? Il est tchèque, je crois. Bien sûr que non, je n’ai aucune…
— C’est un Ukrainien. Vous n’avez eu aucun contact avec lui avant de venir travailler à Berkeley ?
— Absolument aucun.
— Vous appartenez aux mêmes associations que les autres généticiens du Centre ?
— Des associations professionnelles, oui. L’AAAS [10] American Association for the Advancement of Science ( N.d.T .)
, par exemple. Nous en faisons presque tous partie.
— Mais en dehors de vos activités professionnelles ?
— Je ne suis membre d’aucun groupe.
— Aucun ?
Pierre secoua la tête.
— Vous avez été agressé récemment.
— Ah ! C’est pour ça ?
— Connaissiez-vous…
— J’ai fait une déposition détaillée à la police. C’était de la légitime défense.
— … votre agresseur ?
— Si je le connaissais ? Vous voulez dire personnellement ? Non, je ne l’avais jamais vu de ma vie.
— Pourquoi vous a-t-il attaqué, alors ? Pourquoi spécialement vous ?
— C’est ce que j’aimerais savoir.
— Vous ne pensez donc pas qu’il s’agissait d’un hasard ?
— C’est ce que croit la police, mais…
— Mais quoi ?
— Rien. C’est juste une…
— Avez-vous des raisons de croire qu’il s’agissait d’une agression spécifiquement dirigée contre vous ?
— … impression que j’aie eue… Comment ? Non, non, aucune.
— Et vous n’aviez jamais aperçu votre agresseur dans ce labo, par exemple ?
— Je ne l’avais jamais vu nulle part.
— Jamais en compagnie du Pr Klimus ?
— Non.
— Ou du Dr Yamasaki ? Ou du Dr Sinclair ?
— Non. Écoutez, si vous me disiez de quoi il s’agit ?
— L’individu qui vous a agressé appartenait à une organisation néonazie.
— Le Reich Millénaire, oui.
— Vous connaissez cette organisation ? demanda Avi en plissant les yeux.
— Pas du tout. C’est l’un des officiers de police qui m’en a parlé.
— Vous n’avez aucun lien avec le Reich Millénaire ?
— Hein ? Bien sûr que non.
— Quelles sont vos affinités politiques, Mr Tardivel ?
— NPD.
— Et c’est quoi, ce NPD ?
— Nouveau parti démocratique. Un parti canadien démocrate et socialiste.
— Socialiste ? Comme dans national-socialiste ?
— Mais non. Le NPD est…
— Que pensez-vous de… l’immigration ?
— Je suis un immigré. Il y a moins d’un an que je suis arrivé dans votre pays.
— Oui, et vous avez déjà tué un citoyen américain.
— En état de légitime défense, merde ! Demandez à la police.
— J’ai lu leur rapport. Et comment expliquez-vous qu’un néonazi veuille vous tuer, Mr Tardivel ?
— Je n’ai pas d’explication.
— Vous n’avez aucun lien avec des organisations néonazies ?
— Certainement pas.
— Il y a beaucoup d’antisémites dans les milieux francophones de Montréal.
Pierre soupira.
— Vous avez trop lu Mordecai Richler, sans doute. Je ne suis pas antisémite.
— Et les autres généticiens du Centre ?
— Ça veut dire quoi, cette question ?
— Y a-t-il des généticiens, ici au labo Lawrence Berkeley ou au sein de l’université en général, qui appartiennent à des organisations néonazies, à votre connaissance ?
— Bien sûr que non. C’est-à-dire… euh…
— Oui ?
— Non, rien.
— Mr Tardivel, vos réponses évasives commencent à avoir raison de ma patience. Vous n’êtes pas encore citoyen américain. Je suis sûr que vous n’aimeriez pas avoir une mention spéciale dans votre dossier d’immatriculation. Je pourrais vous faire renvoyer au Canada en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.
— Bon Dieu ! Je… Écoutez, le seul type que je connaisse qui ressemble plus ou moins à un nazi, c’est…
— Oui ?
— Je ne voudrais pas lui causer des ennuis, mais… C’est Felix Sousa, professeur à l’UCB.
— Sousa ? Et qui d’autre ?
— Je ne vois pas. Vous connaissez Sousa ?
— Le suprématiste blanc, fit Avi avec une grimace.
Pierre hocha la tête.
— Professeur titulaire. Ils ne peuvent rien faire pour l’empêcher d’exprimer ses idées. S’il y a un nazi à l’université, c’est bien lui.
Avi hocha la tête.
— Bon. Je vous remercie. Et surtout, ne parlez à personne de cette conversation.
— Je ne vois toujours pas…
Mais Avi Meyer était déjà ressorti.
— Susan ? C’est Avi. Oui, oui. Hein ? Corrina, Corrina , avec Whoopi Goldberg. Ouais, pas trop mal. Mieux que la bouffe locale, en tout cas. Oui, j’ai vu Tardivel cet après-midi. Il ne l’a pas dit vraiment, mais il a l’impression que l’agression le visait personnellement, ce qui confirme nos soupçons. Demain, j’ai l’intention d’éplucher les fichiers du SFPD et du shérif du comté d’Alameda sur le Reich Millénaire. Non, j’évite de rencontrer Klimus pour le moment. Je ne voudrais pas tout gâcher par trop de précipitation…
— Puisqu’on va avoir un bébé, déclara Molly, assise sur le canapé du living, il y a une chose que j’aimerais que tu fasses.
Pierre posa la télécommande.
— Oui ?
— Je n’ai jamais fait étudier mes… mon don. Comme nous sommes sur le point d’avoir un enfant, je pense qu’il serait temps d’en savoir un peu plus. J’ignore si ce serait une bonne chose que cet enfant soit télépathe comme moi. D’un côté, j’aimerais bien, mais de l’autre, j’espère qu’il ne le sera pas. Néanmoins, s’il partageait cette capacité, je voudrais pouvoir le mettre en garde avant qu’elle n’apparaisse. Pour moi ça a commencé à treize ans. J’ai cru que je devenais folle.
Pierre hocha lentement la tête.
— Je suis très curieux, moi aussi, d’en savoir plus, d’un point de vue scientifique. Mais je ne voulais pas te brusquer.
— Et je t’en suis reconnaissante. Mais il est temps qu’on en sache davantage. Il doit y avoir quelque chose de différent dans mon ADN. Il faut que tu essaies de découvrir ce que c’est.
Il fronça les sourcils.
— Il est pratiquement impossible de déterminer la cause génétique d’un trait particulier à partir d’un échantillon unique. Si nous connaissions un groupe présentant la même caractéristique que toi, nous pourrions sans doute isoler le gène responsable. Pour Huntington, c’est ainsi qu’ils ont procédé. Ils ont étudié des prélèvements pratiqués sur soixante-quinze familles à travers le monde comportant des membres atteints de la chorée. Mais toi, tu sembles être la seule dans ton cas. Je ne pense pas qu’on puisse faire beaucoup en matière de génétique.
— Si on ne peut pas chercher à partir de l’ADN, pourquoi ne pas procéder en sens inverse ? Je pense qu’il doit y avoir dans mon cerveau une substance chimique différente, un neurotransmetteur, peut-être, qu’on ne trouve chez personne d’autre et qui doit me permettre d’utiliser mes circuits de neurones comme récepteurs. Si nous pouvions isoler cette substance et établir la séquence de ses aminoacides, tu pourrais peut-être étudier mon ADN pour y trouver le code spécifique de ces aminoacides ?
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