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Francis Carsac: Ceux de nulle part

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Francis Carsac Ceux de nulle part

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Dans une « galaxie maudite », les Misliks, êtres métalliques (parents littéraires éloignés des « Ferromagnétaux » imaginés par J.-H. Rosny aîné dans « La mort de la Terre ») qui ne peuvent étendre leur empire qu’en éteignant les étoiles, affrontent les Hiss, êtres proches de l’Homme dont la vie est, comme la nôtre, basée sur le cycle du carbone … Un modeste scientifique terrien, le Docteur Clair, sera entraîné, bien malgré lui, à intervenir dans un conflit apparemment étranger à sa planète, dans un monde incommensurablement lointain, qui ne peut être atteint qu’à travers l’« ahun », le Non-Espace et le Non-Temps où flotte l’Espace-Temps. Francis Carsac est, avec Fred Hoyle, John Taine et Isaac Asimov, un des rares scientifiques à avoir écrit de la science-fiction et ce roman, dont l’intrigue est, en apparence, celle d’un banal « space opera », repose en fait sur une hypothèse rigoureusement étayée que Jacques Bergier salue du reste dans sa préface: celle d’un autre univers partageant avec le nôtre un super-espace et un super-temps. Ainsi, les Misliks, les Hiss et les Terriens sont-ils, les uns par rapport aux autres des « Êtres de Nulle Part et de Nul Temps » … Mais, si l’accent est mis sur la science, la fiction, elle, emporte le lecteur dans un passionnant « hyperespace-opera » où se mêlent aventure, humour et poésie.

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Tournant la tête, il vit son compagnon blessé, se précipita vers lui, fit un geste d’impuissance, et, venant vers moi, me demanda si je pouvais faire quelque chose pour lui. Il n’articula pas un mot, mais j’entendais en moi une voix sans timbre et sans accent. Je m’approchai du blessé, et, tirant de ma poche un bout de corde et un mouchoir propre, je m’en servis pour faire un garrot. Le sang vert cessa de couler. J’essayai alors de savoir s’il n’y avait pas un médecin dans l’équipage. Je ne fus compris que quand, dans ma pensée, je remplaçai le mot médecin par le mot « soigneur ».

« Je crains qu’il ne soit mort », répondit l’être à peau verte.

Il sortit pour le chercher. Il revint sans le ramener, mais me signala que dans les autres pièces plusieurs de ses compagnons étaient blessés. Comme je m’interrogeais, ne sachant que faire, celui que j’avais soigné revint à lui, puis l’autre, et je me trouvai entouré par trois étrangers à notre monde.

Ils ne me menacèrent pas, le premier leur ayant rapidement expliqué les événements. J’appris alors que, quand ils ne se regardent pas en face, ou quand ils sont un peu éloignés les uns des autres, la transmission de pensée ne se fait pas: ils parlent. Leur langage est une suite de susurrements modulés, très rapides.

Celui que j’avais ranimé, et dont on pourrait rendre le nom en français par Souilik, sortit dans la coursive et rapporta le cadavre du médecin du bord.

L’étrange nuit que j’ai passée là ! Jusqu’à l’aube je fis des pansements à ces êtres inconnus. Ils étaient, non compris deux morts, au nombre de dix. Parmi eux se trouvaient quatre « femmes ». Comment décrire la beauté de ces créatures ? L’œil s’habituait très vite à la couleur bizarre de leur peau pour ne plus voir que la grâce des formes et la souplesse des mouvements. Auprès d’eux, le plus bel athlète eût paru raide, la plus jolie fille gauche. Outre deux bras cassés, et des contusions, il y avait plusieurs blessures qui me parurent faites par des éclats d’obus. Je les soignai de mon mieux, aidé par deux des femmes. J’appris en même temps une partie de leur histoire, que je ne résumerai pas, car j’eus depuis l’occasion d’en savoir bien davantage !

L’aube vint, une aube mouillée. Le ciel était couvert, et bientôt la pluie ruissela sur la carapace bombée de leur engin. Pendant une accalmie, je sortis et en fis le tour. Il se présentait comme une lentille absolument lisse, sans hublot visible, faite d’un métal poli, sans peinture, légèrement bleuté. Sur le côté opposé à l’entrée se creusaient deux ouvertures déchiquetées, d’environ trente centimètres de diamètre. Je me retournai en entendant un léger bruit de pas: Souilik et deux de ses compagnons s’approchaient, portant un tube de métal jaune et quelques plaquettes de tôle.

La réparation fut vite faite. Souilik promena le tube de métal jaune tout autour des déchirures de la coque. Il ne jaillit nulle flamme. Pourtant le métal fondit rapidement. Une fois les trous régularisés, une tôle fut posée sur chacun, puis le tube jaune promené de nouveau, après en avoir modifié le réglage. La plaque ainsi traitée se ramollit, adhéra à la coque, obturant les trous de telle façon qu’il me fut impossible de voir une ligne de soudure.

Je regagnai l’intérieur de l’engin avec Souilik et pénétrai dans la pièce située sous la partie endommagée de la coque. La double coque interne était déjà réparée, mais l’aménagement était encore en triste état. La pièce avait dû servir de laboratoire, et elle comportait une longue table centrale, encore chargée de débris de verre, de fils embrouillés et d’appareillages compliqués aux trois quarts écrasés. Penché sur eux, un être de haute taille essayait de rétablir les connexions.

Souilik se tourna vers moi, et je sentis sa pensée m’envahir.

« Pourquoi les habitants de cette planète nous ont-ils attaqués ? Nous ne leur faisions pas de mal, nous cherchions simplement à prendre contact avec vous, comme nous avons déjà fait pour mains autre monde. Ce n’est que dans les Galaxies Maudites que nous avons rencontré une telle hostilité. Deux des nôtres ont été tués, et nous avons été contraints de détruire l’engin qui nous a assailli. Notre ksill fut endommagé, et nous dûmes atterrir ici, brutalement, ce qui causa encore des dégâts et des blessures. Et nous ne savons pas encore si nous pourrons repartir ! »

— Je regrette infiniment tout ceci, croyez-le bien. Mais la Terre est actuellement en grande partie entre les mains de deux empires rivaux, et tout engin inconnu leur semble facilement ennemi. Où avez-vous été attaqués ? À l’est ou à l’ouest de ce pays ?

— À l’ouest. Mais en seriez-vous encore à la période des guerres sur une seule planète ?

— Hélas ! Oui. Il y a peu d’années encore une telle guerre a ensanglanté le monde entier, ou presque ».

L’« homme » de haute taille prononça une courte phrase.

« Il ne nous sera pas possible de nous envoler avant deux jours, me transmit alors Souilik. Vous allez repartir, et faire savoir aux habitants de cette planète que, quoique pacifiques, nous avons les moyens de nous défendre.

— Je vais repartir, en effet, dis-je. Mais je ne pense pas que dans ce pays-ci vous couriez aucun risque. Cependant, pour éviter tout incident, je ne dirai rien de votre présence. Il ne passe pas un homme par mois, ici, en cette saison. Si vous le permettez, je reviendrai vous voir ce soir ».

Je partis sous la pluie, en boitant. Tout en pataugeant dans les parties marécageuses du bois, la figure fouettée par les frondaisons humides, je songeais à l’invraisemblable aventure. Ma décision était déjà prise: dès le soir je reviendrais.

Je retrouvai mon auto, et regagnai le village. Ma vieille nourrice poussa des hauts cris quand elle me vit: j’avais une profonde coupure au cuir chevelu, les cheveux noirs de sang coagulé. Je racontai une vague histoire d’accident, me soignai, fis ma toilette et déjeunai de fort bon appétit. La journée me parut terriblement longue et, dès le crépuscule, je préparai mon auto. J’attendis cependant la nuit close pour filer, prenant des chemins détournés.

Je garai ma voiture sous le bois, ne voulant pas attirer l’attention en la laissant arrêtée sur la route. Puis je m’enfonçai sous les arbres, dans la direction de la clairière au Magnou. Dès que je fus assez loin de la route, j’allumai ma torche électrique, évitant ainsi de trop me piquer aux ajoncs. Je parvins sans encombre à proximité de la clairière. Il en émanait une lueur verdâtre, très faible, semblable à celle du cadran d’une montre lumineuse. Je fis encore quelques pas, butai sur une racine, et m’étalai à grand bruit. Alors, avec un froissement, les arbustes et les genêts se penchèrent vers moi, et, quand je me fus relevé, je me trouvai dans l’incapacité absolue d’avancer.

Non point que j’aie eu l’impression d’un mur. Rien de tel. Simplement, à partir d’une certaine limite, marquée par un cercle de végétation inclinée vers l’extérieur, l’air semblait d’abord visqueux, puis devenait rapidement compact, sans que du reste la limite fût nette, ni invariable. Parfois je pouvais avancer de quelques décimètres, puis je me trouvais repoussé sans brutalité en arrière. Je n’éprouvais par ailleurs aucune gêne respiratoire. Tout se passait comme si, d’un centre occupé par la soucoupe volante, étaient partis des trains d’ondes répulsives. Pendant dix minutes je m’entêtai à essayer de franchir ce cercle, sans y parvenir. Je comprends parfaitement l’effroi que ressentit, le lendemain, le Bousquet. Mais je te raconterai cela tout à l’heure.

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