— De ce côté-là, aucun problème, assura Wilkie. Combien vous en faut-il ? Je peux aussi facilement vous faire une demi-tonne d’or qu’une demi-livre.
— Je ne pense pas pouvoir en transporter plus de vingt-cinq kilos.
— Je crains qu’il ne puisse pas facilement dépenser des lingots, remarqua Ardmore. Il faudrait que cet or soit sous forme de monnaie.
— Mais non, protesta Thomas, je pourrai très bien utiliser des lingots. Il me suffira de les porter à la Banque impériale. Les chercheurs d’or sont encouragés par nos gracieux maîtres, qui en profitent pour exiger une sacrée commission sur cette activité.
— Le côté propagande vous échappe, dit Ardmore en secouant la tête. Un prêtre en longue robe et à la barbe flottante ne sort pas son carnet de chèques et son stylo à plume : ça ne cadre pas avec le personnage. De toute façon, je ne veux pas que vous ayez un compte en banque ; cela fournirait à l’ennemi un rapport détaillé sur tout ce que vous faites. Je veux que vous payiez tous vos achats en belle monnaie d’or, sonnante et trébuchante, et que vous puissiez aligner des piles et des piles de ces pièces. Ça fera un effet bœuf. Scheer, êtes-vous bon en matière de contrefaçon ?
— Je n’ai jamais essayé, major.
— Eh bien, c’est le moment ou jamais. Tout homme a besoin d’un métier de secours. Jeff, vous n’avez pas eu l’occasion de récupérer une pièce d’or à l’effigie de l’Empereur, je suppose ? Il nous faut un modèle.
— Non, je n’en ai pas. Mais je pense pouvoir m’en procurer une, si je fais savoir aux itinérants que j’en ai besoin.
— Je n’ai aucune envie d’attendre. Mais il vous faut de l’argent pour vous attaquer à Denver.
— Est-il nécessaire que ce soit de la monnaie impériale ? s’informa le docteur Brooks.
— Hein ?
Le biologiste sortit de sa poche une pièce d’or de cinq dollars :
— C’est une pièce porte-bonheur que je garde sur moi depuis mon enfance. Je ne pourrai pas retrouver de meilleure occasion de la céder.
— Hmm… Qu’en pensez-vous, Jeff ? Croyez-vous pouvoir utiliser des pièces américaines ?
— Eh bien, les billets de banque américains sont sans valeur, mais les pièces d’or… Je suppose que ces sangsues ne feront pas de difficultés pour les accepter, tant que c’est de l’or. Ils l’accepteront au moins au poids. Et je suis certain que les Américains le prendront volontiers.
— Peu importe à quel point ils le dévalueront, dit Ardmore en prenant la pièce et en la lançant à Scheer. Combien de temps vous faudra-t-il pour nous en fabriquer vingt ou vingt-cinq kilos ?
Le sergent examina la pièce :
— Pas longtemps si je les coule au lieu de les frapper. Vous les voulez toutes semblables, major ?
— Pourquoi ?
— Eh bien, major, il y a la question de la date.
— Je vois ce que vous voulez dire. Mais comme nous n’avons que ce modèle, nous n’aurons plus qu’à espérer que les Panasiates ne remarqueront rien ou n’y attacheront pas d’importance.
— Si vous m’accordiez un tout petit peu plus de temps, je crois que je pourrais arranger ça, major. Je vais en fabriquer une vingtaine d’après ce modèle, puis, à la main, je modifierai la date sur chaque pièce. Comme ça, j’aurai vingt modèles différents au lieu d’un seul.
— Scheer, vous avez l’âme d’un artiste. Faites comme vous avez dit et, pendant que vous y êtes, variez les éraflures et le degré d’usure.
— J’y avais pensé, major.
Ardmore sourit :
— J’ai l’impression que notre équipe va procurer plus d’une migraine à sa majesté l’Affreux. Bon, et maintenant, Jeff, voyez-vous encore des points à régler, avant que nous ajournions cette réunion ?
— Un seul, major. Comment vais-je à Denver ? Ou, plutôt, comment y allons-nous, en supposant que Howe m’accompagne ?
— Je pensais bien que vous me poseriez cette question. C’est compliqué. Nous ne pouvons évidemment pas espérer que le gouverneur mette un hélicoptère à notre disposition. Dans quel état sont vos pieds ? Avez-vous des problèmes de voûte plantaire, des cors, des oignons ?
— Ne me dites pas que je dois faire tout ce chemin à pied ! Ce n’est pas la porte à côté.
— Non, bien sûr. Et le pire, c’est que nous allons retrouver ce problème à chaque instant, si nous voulons étendre notre organisation à tout le pays.
— Je ne vois pas où est la difficulté, intervint Brooks. Je croyais que tout citoyen avait encore la permission de circuler par n’importe quel moyen, sauf la voie des airs ?
— Oui, mais à condition d’avoir un permis de voyager et toutes sortes de paperasses compliquées à obtenir. Enfin… un jour viendra, poursuivit Ardmore, où notre costume de prêtre de Mota sera le seul permis dont nous ayons besoin. Si nous manœuvrons correctement, nous nous ferons bien voir des Panasiates et cela nous vaudra toutes sortes de privilèges spéciaux. En attendant, il faut que nous amenions Jeff à Denver sans attirer l’attention et sans lui ruiner les pieds. Mais, au fait, Jeff, vous ne m’avez jamais dit comment vous aviez voyagé au cours de votre dernière mission. On n’a pas abordé le sujet.
— J’ai fait du stop. C’était loin d’être du gâteau. La plupart des routiers ont trop peur de la police pour se risquer à prendre des passagers.
— C’est vrai ? Vous n’auriez pas dû, Jeff. Les prêtres de Mota ne font pas de stop. Cela s’accorde mal avec le don d’accomplir des miracles.
— Alors, comment fallait-il faire ? Bon sang, major, vous vous rendez compte que, si j’y avais été à pied, je serais encore en route ? Ou, plus vraisemblablement, arrêté par un policier de campagne qui n’aurait pas encore été informé de mon traitement de faveur !
Le visage de Thomas reflétait une irritation qui ne lui était pas habituelle.
— Excusez-moi, Jeff. Je n’aurais pas pu faire mieux que vous. Mais il nous faut maintenant trouver un autre moyen.
— Pourquoi ne pas, tout simplement, le conduire à Denver dans un de nos véhicules ? demanda Wilkie. De nuit, bien entendu.
— La nuit n’existe pas pour les radars, Bob. Les Panasiates vous repéreraient immédiatement et vous abattraient.
— Je ne crois pas. Nous avons à notre disposition une puissance presque illimitée – quand j’essaie de l’évaluer, ça m’effraie. Je crois pouvoir trouver un moyen de l’utiliser pour mettre hors d’usage tout radar susceptible de nous repérer.
— Et apprendre à l’ennemi qu’il reste des gens capables de bidouiller des appareils électroniques ? Nous ne pouvons pas nous griller dès maintenant, Bob.
Wilkie se tut, tout penaud, mais Ardmore reprit après avoir réfléchi :
— Pourtant, il va bien nous falloir prendre des risques. Bob, concoctez-nous votre anti-radar. Vous ferez tout le trajet en rase-mottes, vers trois ou quatre heures du matin. Ainsi, vous aurez une chance de passer inaperçus. Si nécessaire, vous utiliserez votre anti-radar, mais dans ce cas, tout le monde devra regagner immédiatement la base. Il ne faut pas que l’incident puisse être relié aux prêtres de Mota, ne serait-ce que par une concordance d’heures. Même recommandation en ce qui vous concerne, Jeff, quand Wilkie vous aura déposé. Si le malheur veut qu’un Panasiate vous surprenne, utilisez l’effet Ledbetter pour le tuer, lui et tous les autres alentour, et aussitôt après, prenez le maquis. Un Panasiate ne doit sous aucun prétexte pouvoir soupçonner les prêtres de Mota d’être autre chose que ce qu’ils semblent être. Tuez tous les témoins et fuyez.
— Compris, patron.
Le véhicule léger tournait au-dessus de la montagne de Lookout, à quelques pas de la tombe de Buffalo Bill. La portière s’ouvrit et un prêtre en robe sauta de l’appareil. Il trébucha en posant le pied à terre, à cause des lourds sacs de monnaie suspendus à ses épaules et à sa taille. Une autre silhouette, équipée de façon semblable, le suivit mais atterrit avec plus d’agilité.
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