Le 10 mai 1940, les Panzers franchissent, dans les Ardennes, la frontière belge.
Le 21 mai, les divisions allemandes atteignent Montreuil-sur-Mer : 320 kilomètres en onze jours…
Depuis beau temps déjà, de Gaulle a compris que cette guerre qui, dès les premiers engagements, tourne si mal, n’est pas un simple conflit franco-allemand mais une guerre planétaire. Le visionnaire sait que l’Afrique française restera hors d’atteinte, que l’Angleterre tiendra bon, que la Russie basculera dans le bon camp, que les États-Unis seront contraints d’intervenir, que le Japon bougera, que l’Asie entière prendra feu…
Au quartier général de la 4 edivision cuirassée, qu’il commande, le colonel de Gaulle traverse le bureau des officiers d’État-major et s’approche d’un jeune lieutenant, fiévreusement penché sur une carte de France.
Il s’arrête derrière lui et lui tapote l’épaule :
« Vous voulez vous battre, lieutenant ?… Dans ce cas, il serait plus judicieux de méditer sur une mappemonde… »
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Conscient de ce qu’il devait se faire connaître dans ce haut lieu de la résistance au nazisme, de Gaulle, à Londres, recevait beaucoup et sortait beaucoup, quoi qu’il lui en coûtât.
Hôte infatigable, il recommandait à ses aides de camp de réunir autour de lui trois personnes au moins et neuf au plus :
« Plus que les Grâces, mais moins que les Muses… »
* * *
Septembre 1944. — La France est massivement présente au combat et son armée, reconstituée, se bat sur les marches de l’Est.
De Gaulle a entrepris un tour de France, et il le débute par les villes que les Forces françaises et alliées, puissamment aidées par les combattants de la Résistance, viennent de libérer : Marseille, Toulon, Lyon, mais aussi Toulouse et Bordeaux.
Le 16 septembre, à Toulouse, il passe en revue les volontaires des Forces Françaises de l’Intérieur, impeccablement alignés. C’est impressionnant… Les officiers sont au coude à coude. Les insignes de grade, tout frais, brillent au soleil, et l’on sait que, « rayon galons », les F.F.I. ne sont pas regardants : les chefs, petits ou grands, s’attribuent d’autant plus volontiers des grades élevés que ceux-ci sont provisoires et que ces autopromotions ne tirent pas à conséquence. Et les officiers se présentent :
— « Colonel Un tel, mon Général ! »
— « Colonel Chose, mon Général ! »
— « Lieutenant-Colonel Machin, mon Général ! »
— « Lieutenant-Colonel Un tel, mon Général ! »
— « Commandant Chose, mon Général ! »
Et ça dure…
Soudain, au bout du rang, de Gaulle avise un modeste sous-lieutenant. Il s’approche de lui :
« Vous, je parie que vous ne savez pas coudre… »
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Durant l’hiver 1944-45, le Chef du gouvernement provisoire partage son temps entre son bureau de la rue Saint-Dominique et l’hôtel particulier qui a été mis à sa disposition, à Neuilly.
La tâche est immense et les journées sont courtes, si bien que, souvent, de Gaulle emporte « du travail à la maison », ou reçoit, à Neuilly, ses collaborateurs.
Ce soir-là, l’attend dans son salon, un gros dossier sous le bras, Jean-Jacques de Bresson, Secrétaire de la Commission des Grâces (et qui deviendra, par la suite, à son Cabinet, Chargé de mission puis Conseiller technique pour les affaires algériennes et pour les affaires juridiques et, beaucoup plus tard, Président-Directeur-Général de l’O.R.T.F.).
De Gaulle traverse la pièce et l’avise, sagement assis dans un coin.
« Tiens, Bresson !… Qu’est-ce que vous faites là ?
— J’attends que vous puissiez me recevoir, mon Général.
— J’ai une affaire à régler et je suis à vous… — Vous devez vous embêter ?
— Mais non, mon Général !
— Je vais vous donner quelque chose à lire. »
Et le Général se dirige vers la bibliothèque murale des propriétaires de la maison et en explore, du regard, les rayons. Il tire un livre à lui :
« Non, celui-là doit être emmerdant… »
Il en prend un autre.
« Ça c’est pour les gosses… »
Il en sort un, enfin :
« Voilà, je crois que j’ai trouvé. C’est de Paul-Boncour… Ça s’appelle : “ Entre deux guerres ”… »
Il hausse les épaules :
« Quel titre idiot !… On est toujours entre deux guerres… »
* * *
À René Mayer, ministre des Travaux publics au Gouvernement provisoire, et qui lui demande, le 12 mai 1945 :
… « Sur cette question, mon Général, quel est votre point de vue ? »
Il répond :
« Le plus élevé, cher ami !… C’est le moins encombré. »
* * *
M me Golda Meir, Ministre israélien des Affaires étrangères, est reçue à Matignon le 5 août 1958, par le Président du Conseil.
Elle a entrepris un tour des capitales européennes pour exposer aux dirigeants occidentaux les difficiles et périlleuses relations entre Israël et les États arabes voisins.
De Gaulle l’écoute avec attention. Il a déjà, secrètement, donné ordre d’accélérer la livraison de « Mirages » à Israël, mais, pour autant, il n’est nullement disposé à encourager le bellicisme, d’où qu’il vienne.
Au conseiller de Golda Meir, il murmure, en aparté :
« La France ne peut tout de même pas éternuer chaque fois qu’Israël s’enrhume… »
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À l’issue d’un débat houleux à l’Assemblée nationale où les représentants du peuple ont défendu avec ardeur les intérêts de leur clientèle, de Gaulle laisse tomber :
« Tout Français exige de bénéficier d’un ou de plusieurs privilèges. C’est sa manière d’affirmer sa passion pour l’égalité. »
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21 septembre 1958. Charles de Gaulle, Premier Ministre, est à Strasbourg. Une semaine plus tôt, Conrad Adenauer, Chancelier de la République Fédérale d’Allemagne, lui a rendu visite à Colombey. Le rapprochement franco-allemand, dont de Gaulle pense qu’il est la clé de voûte d’une Europe nouvelle, inquiète, par certaines de ses perspectives, Pierre Pflimlin, Maire de Strasbourg :
« La France, mon Général, doit se garder de favoriser la réunification de l’Allemagne. Il y a longtemps, d’ailleurs, que je le pense…
— Et moi, monsieur Pflimlin, il y a 1000 ans que je le dis. »
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Évoquant l’un de ses prédécesseurs à l’Élysée : le Président Félix Faure qui — nous rappelle Jean Lacouture dans son monumental « De Gaulle » — « y connut la mort la plus grisante entre les bras de Thérèse Steinheil » , de Gaulle avouait qu’il n’appréciait guère ce palais dont, au reste, la propriétaire la plus illustre avait été la marquise de Pompadour, maîtresse de Louis XV :
« … En somme, c’est un palais de la main gauche. »
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Lors d’une réception à l’Élysée, une dame d’un certain âge, rutilante et pomponnée, se précipite vers le Général, l’œil mouillé, le sourire extatique :
« Ah, Général, si vous saviez combien je vous aime !
— Eh bien, madame, je vous remercie. Mais gardez, je vous prie, ce secret entre nous. »
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En Conseil des Ministres, on examine le projet de budget qui sera bientôt soumis au Parlement. Chaque ministre défend, comme il se doit, ses prévisions d’engagements et Gaston Palewski, au nom de la recherche scientifique dont il a la charge, expose au Général de Gaulle et à ses collègues l’impérieuse nécessité de doter la France d’un important corps de chercheurs de haut niveau.
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