Dans celui-ci, un couple le salue, au bord de la route, leur loupiot devant eux. De Gaulle s’adresse au papa, en le désignant :
« Il travaille bien à l’école ?
— Pensez-vous, mon Général ! Il veut rien foutre ! »
De Gaulle incline sa haute silhouette vers le petit garçon :
« Tu ne veux rien foutre ? Mais c’est très grave !… Tu ne seras jamais Président de la République !
— J’ai pas envie… C’est trop fatigant. »
De Gaulle se redresse et soupire :
« À qui le dis-tu !… »
* * *
Michel Maurice Bokanowski, sénateur-maire d’Asnières, qui fut, à diverses reprises, ministre du Général, se souvient que cette visite officielle à Auxerre l’avait frappé par son ambiance de jeunesse. Les autorités laïques et religieuses avaient en effet rivalisé pour que des milliers d’enfants fassent cortège au Chef de l’État, agitant des drapeaux et braillant à tue-tête.
Le ministre de l’Industrie était bien placé pour voir poindre à l’horizon le spectre du chômage. Et il avait murmuré :
« Mon Dieu ! Qu’est-ce qu’on va faire de tous ces gosses ! »
Et de Gaulle lui avait répondu :
« Eh bien on ira envahir la Chine… »
* * *
À la fin de cette harassante journée, Bokanowski avait surpris le Général se massant une jambe, et il s’en était inquiété.
« Ce n’est rien, Bokanowski. Et puis, que voulez-vous, quand on est porté par une telle ferveur populaire, il faut bien supporter les petites punitions de l’âge !… On entend des choses tellement belles, tellement émouvantes !… Tellement surprenantes !… Comme cette femme, tout à l’heure, qui criait…
— Je ne l’ai pas entendue, mon Général. Que criait-elle ?
— Elle criait : mon soulier ! J’ai perdu mon soulier !
* * *
La Guadeloupe fait à de Gaulle, le 21 mars 1964, un accueil triomphal.
À Trois-Rivières, où il s’est arrêté, une femme fend la foule, écarte les « gorilles », bondit vers le Général et l’embrasse sur les deux joues.
… Et elle lui laisse aussi de belles traces de rouge à lèvres.
De Gaulle se tourne vers son aide de camp :
« Je n’ai pas de marques, au moins ?
— Oh si, mon général !
— Tant pis. Ma femme comprendra sûrement. »
* * *
En visite à Soissons, le 11 juin 1964, le Président de la République est accueilli, comme il se doit, à l’hôtel de ville. Et le maire, très cérémonieusement, lui remet, en présent, un superbe vase.
De Gaulle remercie et ajoute :
« Je veillerai à ne point le casser… »
* * *
À la fin de ses grands discours, de Gaulle ne manquait jamais d’inviter son auditoire à pousser une vibrante Marseillaise et, devant les micros, il lançait lui-même les premières mesures. L’embêtant, c’est qu’il chantait comme une seringue, et le chœur des fidèles avait bien du mal à repartir du bon pied…
Un jour, dans le Morvan — à Autun, très précisément —, alors qu’il recevait l’hommage d’une foule en liesse, on vit s’approcher de lui, à pas vifs et menus, une très vieille demoiselle qui lui tomba littéralement dans les bras.
Le Général, apparemment très ému, la gratifia d’une affectueuse accolade.
Puis, reprenant sa route, il se tourna vers Gaston de Bonneval :
— C’était mon professeur de chant. »
Et il ajouta, en souriant :
« Je crois qu’elle ne s’en vante pas… C’est elle qui m’a appris la Marseillaise . »
* * *
Alors qu’il était journaliste au « Monde » et chargé des affaires du Proche-Orient, Édouard Sablier avait reçu de Beuve-Mery, mission de recruter un correspondant au Liban.
Sablier le trouve, le nomme et lui donne ses instructions.
De ce jour, régulièrement, le Monde va publier des dépêches et des commentaires de son correspondant particulier Édouard Saab (eh oui ! C’est le nom du susdit) et les lecteurs du Monde (y compris le Général qui le lit attentivement) commencent à se demander pourquoi Édouard Sablier a transformé son nom…
Sur ce, le 7 mai 1965, grande réception élyséenne en l’honneur du Président de la République du Liban, M. Hélou.
Édouard Saab fait partie de la délégation et il est, comme les autres, présenté au Général.
Il en émerge, le visage ruisselant de bonheur… :
« Ah quel homme ! Quel homme extraordinaire ! Il connaît tout le monde !… »
Ses confrères le pressent de questions :
« Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
— Il m’a dit : Ah mais vous existez !… »
* * *
Jacques Raphaël-Leygues, qui fut ambassadeur en Côte-d’Ivoire de 1963 à 1979, rend visite au Président de la République.
Entre autres choses, il lui rapporte que le sénateur Biakabuda a été assassiné, en pleine brousse, dans des circonstances qui permettent de soupçonner une main et une inspiration françaises. Il ajoute que, dans son village, et à l’occasion d’une pieuse cérémonie rituelle destinée à sauver, dans l’au-delà, l’âme du défunt, le corps du malheureux sénateur a été partagé entre ses amis et… mangé.
De Gaulle commence par s’insurger :
« Je veux en savoir davantage !… »
Et puis l’humour noir s’en mêle :
« Au fait, voilà une fonction toute trouvée pour le Sénat qui se plaint toujours de manquer de responsabilités : lutter contre la faim dans le monde… »
* * *
Un grand voyageur, écrivain de talent fort apprécié du Général, rentre de Chine, et de Gaulle le reçoit.
Nous sommes au tout début du mois de novembre 1965. De Gaulle vient d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle et il a demandé aux Français de renouveler son mandat.
Dans le bureau du Général, le visiteur raconte ses pérégrinations, ses impressions, ses découvertes :
« … Et savez-vous, mon Général, qu’il y a, en Chine, des centaines de millions de gaullistes virtuels ? »
De Gaulle opine du chef :
« Très intéressant… L’embêtant, voyez-vous, c’est qu’ils ne votent pas en France… »
* * *
À Kourou, en Guyane française, le 25 novembre 1965, la fusée Diamant vient de lancer avec succès le premier satellite français : Astérix . Sa mise sur orbite est imminente.
Le Président de la République en est aussitôt informé. Il murmure :
« J’espère qu’on lui a fait ingurgiter assez de potion magique… »
* * *
Le second septennat du Président de Gaulle s’ouvre le 8 janvier 1966. À ses collaborateurs qui lui demandent si une cérémonie marquera l’événement, il réplique :
« Ma foi, si vous avez envie de boire un coup, on fera bien un petit quèque chose… »
* * *
Le président de la République est en U.R.S.S. et, le 25 juin 1966, figure au programme la visite d’un important complexe industriel. Le directeur de l’usine y va de ses explications :
« … Les pièces que vous voyez là sont fabriquées ici pour le barrage d’Assouan, en Égypte.
— Ah, très bien.
— Nous les expédions séparément et ce sont des techniciens égyptiens qui les assemblent sur place. »
De Gaulle opine du chef, gravement :
« Comme vous avez fait pour les pyramides, en somme. »
* * *
Dix ans après la malheureuse expédition de Suez de novembre 1956, ordonnée par le gouvernement de Guy Mollet, il apparaît convenable et utile de rétablir des relations normales entre la France et l’Égypte.
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