« C’est bien la première fois que je me fais traiter de chien par des pékinois… »
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Depuis son retour aux affaires, le 1 er juin 1958, Charles de Gaulle voyage beaucoup. Pas une province qui n’ait sa visite. Pas une ville qui ne l’acclame…
À Sacha Distel, rencontré par hasard :
« Vous, je vous connais. Nous avons fait les mêmes villes. »
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Ce soir-là, grande réception à l’Élysée.
L’huissier annonce les personnalités invitées et les introduit, à tour de rôle, dans le grand salon. — Queues-de-pie, robes longues, nœuds papillons, diadèmes, falbalas…
Soudain, entrée de Brigitte Bardot, superbe et sobre dans un dolman kaki à brandebourgs, col officier, boutons de métal, pantalon bien coupé…
De Gaulle, que les mondanités ennuient un peu, l’aperçoit et s’exclame :
« Chic ! Un soldat ! »
On la présente au Général qui la salue, tout sourires :
« Vous me pardonnerez, mademoiselle, d’être en civil… »
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Le projet de Constitution de la République, 5 edu nom, soumis par référendum au peuple français le 28 septembre 1958, est approuvé par 79,2 % des suffrages exprimés.
À Colombey-les-deux-églises, de Gaulle, qui attend le verdict des urnes, reçoit vers 20 heures un coup de téléphone de son Directeur de Cabinet, Georges Pompidou.
On n’a pas encore les résultats définitifs mais tout laisse présager un raz de marée d’approbations. À Colombey, par exemple, précise Pompidou, tous les électeurs ont voté « oui », sauf un.
« Ce n’est pas moi ! » s’exclame de Gaulle.
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Au cours de la réception organisée à l’hôtel de ville de Dunkerque, le 26 novembre 1959, un élu local se plaint, auprès du président, de la montée des prix :
« Songez donc, mon général ! L’eau minérale est plus chère que le lait !
— Eh bien buvez du lait ! »
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Dans les premiers jours de janvier 1960, la traditionnelle cérémonie des vœux rameute, à l’Élysée, tout ce que Paris compte de personnalités.
En poste depuis peu, l’ambassadeur d’un pays voisin et allié s’approche de De Gaulle :
« Savez-vous, monsieur le Président, que ma femme est très gaulliste ?
— Eh bien la mienne, monsieur l’Ambassadeur, ça dépend des jours…
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Comme il est normal, la même circonstance s’est reproduite, les « compagnons » étant trop heureux de présenter une « compagne » partageant leurs sentiments…
Ce fut ainsi le cas le 14 juillet 1968, à l’occasion de la rituelle réception à l’Élysée à laquelle bon nombre de députés gaullistes, élus le 30 juin sur les listes de l’U.D.R., avaient été conviés.
L’un d’eux s’était approché du Général, poussant sa femme devant lui :
« Je vous présente mon épouse, mon Général… C’est une fervente gaulliste.
— La mienne aussi, cher ami. »
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À propos du terme « gaulliste », j’emprunte ce commentaire à André Astoux, extrait de son fascinant ouvrage ; « Eh bien, mon cher et vieux pays… » :
« … Ce terme n’avait d’ailleurs pas sa faveur, et, lorsqu’il l’utilisa, ce fut pour exprimer un état d’esprit plutôt qu’une doctrine. À cela il pouvait y avoir plusieurs raisons. Celle de ne pas figer des solutions qui pouvaient évoluer en fonction des circonstances. Celle, aussi, de ne pas confondre le dévouement à sa personne avec le service de la France. — L’Ambassadeur Baelen a fait le récit d’une rencontre entre le Général de Gaulle et un conseiller administratif à Damas, en 1943. Ce dernier lui avait déclaré :
« Mon Général, je veux vous servir, je reste à mon poste, mais je dois vous dire que je ne suis pas gaulliste. »
À quoi le Général avait répondu en le toisant de sa haute taille :
« Mais, monsieur, moi non plus ! »
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Le 24 janvier 1960, à l’annonce du départ du Général Massu, les barricades surgissent à Alger. Des civils, puissamment armés, s’enferment dans un réduit et réclament la démission du Général de Gaulle.
Le 28, l’agitation atteint un point culminant, mais le Chef de l’État ne modifie en rien son programme initial. Il a accepté de présider une séance solennelle du Conseil d’État, et il s’y rend.
Lorsqu’il entre dans la salle du contentieux où Conseillers et Auditeurs l’attendent, Bernard Tricot, Conseiller technique à l’Élysée pour les affaires algériennes, l’entend murmurer les deux vers du prologue d’ Esther :
« Ici, loin du tumulte, aux devoirs les plus saints,
Tout un peuple naissant est formé par mes mains. »
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Khrouchtchev est à Paris, ce 15 mai 1960, pour participer à une Conférence au sommet avec le Président de Gaulle, le Chancelier Adenauer, le Président Eisenhower et Harold Macmillan, Premier ministre de Grande-Bretagne.
Cette Conférence tournera court à la suite d’une virulente attaque de Khrouchtchev qui exige que les Américains présentent des excuses à l’U.R.S.S., suite au survol du territoire russe par l’avion d’observation U2.
À l’Élysée, de Gaulle commente la séance auprès de ses collaborateurs et conclut :
« Je ne sais pas si le successeur de Khrouchtchev sera marxiste, léniniste, maoïste ou — peut-être — capitaliste. Mais je suis sûr d’une chose : il sera russe. »
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Au poste frontière franco-suisse de Châble, le 9 octobre 1961, le président serre les mains des douaniers, impeccablement alignés, et il leur dit, dans un sourire :
« Messieurs, je n’ai rien à déclarer… Une fois n’est pas coutume. »
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De Gaulle aimait les chats, ce qui n’étonnera, ni ceux qui aiment les chats, ni ceux qui aiment de Gaulle. Et à La Boisserie, bien entendu, régnait en maître le greffier du Général dont je crois me souvenir que c’était un chat gris, tirant sur le chartreux et assez banal, à ceci près qu’il était le seul être au monde à pouvoir se vanter de passer de longs moments sur les genoux du Général de Gaulle.
Ce dimanche-là, André Malraux avait fait le voyage, à la demande du Général qui prisait son enrichissante et volcanique compagnie, et, depuis le déjeuner, les deux amis échangeaient des vues élevées sur l’état de la France, le devenir du monde, les civilisations disparues et l’art polynésien.
Tout à coup, Malraux s’interrompit au milieu d’une phrase et, du doigt, il montra au Général le chat qui, assis à deux pas d’eux, semblait suivre la conversation avec une attention soutenue :
« Regardez, mon Général, ses oreilles qui bougent… Le chat nous écoute… »
De Gaulle tourna la tête vers son petit compagnon et sourit :
« Pensez-vous ! Je le connais… Il fait mine. »
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Les conférences de presse du Général fournissaient souvent matière à formules assassines ou plaisantes.
Celle du 15 mai 1962 comportait, entre autre chose, la mise à l’ordre du jour de l’élection du Président de la République au suffrage universel et, par conséquent, les conditions de la « succession » :
« Ce n’est pas pour maintenant, répondait de Gaulle. Et j’ajouterai, en faisant allusion à ce qui arrivera quand de Gaulle aura disparu : ce qui est à redouter, après l’événement dont je parle, ce n’est pas le vide politique, c’est plutôt le trop-plein… »
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Cette fin avril 1963 annonce un été précoce. La température est tiède et douce, les bourgeons éclatent, les vignes promettent une bonne vendange, et de Gaulle, qui visite la Champagne, prend plaisir à s’arrêter dans de petits villages où tout le monde lui fait bon accueil.
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