Norman : I comme Ideology […]. On peut revenir à la guerre froide où un certain nombre de Soviétiques pouvaient collaborer avec le service par idéologie. On a trouvé ça aussi en Afghanistan lorsque certaines sources collaboraient avec le service, n’étant pas tout à fait en harmonie avec, par exemple, les Taliban.
Daniel : L’idéologie, c’est parfait, aujourd’hui, par exemple lors du recrutement d’un certain nombre de jeunes djihadistes par l’État islamique. Il ne se fait pas à l’argent, il ne se fait pas à la compromission, il se fait à l’idéologie. Nous, c’est plus compliqué. Il y a le patriotisme, mais à partir du moment où on travaille en dehors des frontières, on va travailler sur des sources étrangères, donc la notion de patriotisme n’est pas forcément valable.
Vincent : Il y a des gens qui admirent la France, car elle est démocratique, la place des femmes est réelle. Par exemple, au Pakistan, tous les officiers sont fans de Napoléon. Pourquoi Napoléon ? Si vous vous souvenez, vers la fin de l’Empire, il y a un certain nombre d’officiers français qui ont rejoint cette zone.
Michel : Nous avions un atout par rapport aux Américains : ils n’étaient pas aimés dans beaucoup de pays pour différentes raisons, alors que les Français avaient une bonne réputation…
Norman : C comme Compromission . C’est un vecteur qui est très peu utilisé, voire jamais, par le service. Moi, on m’aurait demandé de le faire, ça ne m’aurait pas gêné du tout. On sert, [il] n’y a pas une question de sens moral, mais ce ne sont pas des pratiques courantes dans notre service. [C’]était par contre très utilisé par les services soviétiques ou de l’Europe de l’Est […]. Les nanas dans le lit, c’était assez courant. J’ai eu un cas avec un de mes chefs de poste qui s’est retrouvé effectivement en tentative de corruption par un service adverse à partir d’une femme avec laquelle il a eu une relation. J’étais passé en inspection peu de temps avant et je n’avais rien remarqué […]. Il s’est fait virer du service.
Daniel : La compromission, forcer quelqu’un, l’amener en zone d’inconfort, ça peut passer une fois. Dans la durée, ça ne passera pas.
Norman : E comme Ego […]. Beaucoup de sources sont flattées de travailler avec un service de renseignement.
Daniel : Mettre en avant quelqu’un, rendre hommage à ses qualités, à l’information qu’il vous donne, oui, ça marche aussi, mais ça revient à l’empathie, c’est mettre en confiance vos sources.
JCN : Le MICE englobe-t-il vraiment toutes les approches possibles d’une source par n’importe quel officier traitant ?
Michel : Toutes les affaires de MICE, qui sont très anglo-saxonnes, ça me laisse très perplexe. Pour moi, c’est avant tout un contact humain, du savoir-faire humain et du bon sens paysan. Plus important que le MICE, c’est le travail de détermination : quelle est la cible à recruter ? C’est là que ça se joue. Si vous avez bien identifié l’endroit où il faut aller chercher, et le profil de la personne qu’il faut trouver, vous avez déjà fait 50 % du travail.
Norman : Les motivations sont souvent imbriquées, complétées les unes avec les autres et puis aussi, il y a l’idéal pour certains. Lorsqu’il y avait l’Europe de l’Est, l’idéal de la chute du communisme. Il y a aussi, pour certains, le goût de l’action, de l’aventure…
Fabrice : Personnellement, ce que j’ai préféré utiliser, c’est l’argent et l’ego. D’abord l’ego, parce qu’en fait la plupart des gens adorent parler d’eux-mêmes, montrer à quel point ils sont brillants, à quel point ils ont une carrière brillante dans l’administration ou n’importe où dans la société, même dans les groupes djihadistes… Donc, il faut jouer sur l’égocentrisme humain, et après, il faut alimenter avec de l’argent, parce qu’une fois que vous avez ferré la personne avec de l’argent, elle prend l’habitude. La première fois, ça peut être un peu surprenant, un peu difficile, comme toutes les premières fois. Et après, finalement, elle s’y habituera et ne se prendra pas [pour] un traître potentiel si vous avez su jouer sur l’ego, et si vous lui avez donné un prétexte pour ne pas croire qu’elle était un traître.
Sandra : Après, quand on est officier clandestin, et qu’on manipule des sources, on les manipule de façon complètement inconsciente [25] « Inconscient » : dans le jargon des officiers de renseignement, l’adjectif désigne tout individu de leur entourage ignorant leur appartenance à la DGSE.
. Il faut que ce soit plus subtil, sinon c’est déjà se faire découvrir.
Fabrice : Si vous êtes un diplomate français sous couverture diplomatique, la personne que vous avez en face de vous sait que vous êtes diplomate. Elle se doute bien que vous faites partie du service, sinon vous ne lui poseriez pas des questions sur son programme nucléaire. Si elle donne des infos, elle sait qu’elle trahit parce que c’est officiel, quasi officiel. Si vous êtes clandestin [en revanche], vous pouvez lui raconter une belle histoire : « Mais non, ce n’est pas pour ça, c’est parce que j’ai besoin de ça, tu comprends, on est devenus amis, en tout cas proches, c’est juste un petit rapport, mais tout travail méritant salaire, je te donne un peu d’argent. » C’est la même logique, sauf que lui se sera créé toute une mythologie comme quoi il n’est pas un traître. Sauf qu’au fur et à mesure, il prendra l’habitude de donner de l’info contre de l’argent…
Hervé : Le MICE, c’est très pratique, c’est un terme fourre-tout, mais ce n’est jamais aussi simple. Le MICE peut très bien s’appliquer quand vous avez quelqu’un qui va accepter de vous livrer du renseignement en toute connaissance de cause. Le Service clandestin, une de ses spécificités, c’est [que] vous allez amener des gens à collaborer avec vous sans qu’ils ne sachent que vous êtes un représentant des services français.
V
Aux portes de la clandestinité
Entrer à la DGSE est une chose, s’orienter vers la clandestinité en est une autre. Tout le personnel de la DGSE n’utilise pas des méthodes clandestines au quotidien. Et tous les clandestins n’appartiennent pas au service dit clandestin… : le Service action, la Direction technique, la Direction du renseignement y ont également recours. Il s’impose donc de définir de quelle « clandestinité » il s’agit. Le Larousse a dû être écrit par la DGSE. Il donne en effet pour première définition du mot « clandestin » : « qui se fait en secret »… L’agent clandestin est un agent secret : voilà qui n’arrange pas nos affaires ! Pas plus la deuxième définition du dictionnaire : « qui est en contravention avec les lois et les règlements ». Le personnel clandestin de la DGSE serait donc dans l’illégalité ? Dans ce cas, il faudrait déplacer d’urgence la caserne Mortier à Fleury-Mérogis… L’officier de renseignement n’est évidemment pas illégal en France, mais à l’étranger ? Tout cela appelle encore quelques éclaircissements.
JCN : Nous avons évoqué votre entrée à la DGSE. Venons-en maintenant au « Service clandestin ». Pourriez-vous nous confirmer qu’il ne porte pas ce nom, et qu’il existe vraiment ?
Hervé : Il existe vraiment et il ne porte pas ce nom.
JCN : Et vous ne souhaitez pas donner le vrai ?
Hervé : Non, je ne le souhaite pas.
François : Quand je passe les tests de la sélection [de la DGSE], je n’ai aucune connaissance du Service clandestin. Je sais qu’il existe un milieu lié au renseignement pur et je sais qu’il existe un domaine lié à l’opération, le Service action, qui dépend d’une direction particulière qui est la direction des opérations. Mais je n’ai aucun élément concernant ce service, qui est un tout jeune service, dont personne ne parle, et qui ne figure à l’époque dans aucun des organigrammes que l’on peut se procurer.
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