Bien vêtu, d’une élégance raffinée, coiffé à la mode zazou et se faisant presque minuscule, Louis est immédiatement adopté par cette famille qui rapidement en vient aux choses sérieuses. Avec « maman Titine », la tante Marie, la tante Jeanne, la tante Julia, on parle robe blanche, église, mariage en « grande pompe » ici au Cellier, puis à la mairie du 9 e arrondissement de Paris. Louis écoute, acquiesce, n’osant avouer qu’il est déjà marié et qu’il a, tout simplement, oublié de divorcer ! Le lendemain, de retour dans la capitale, avec d’infinies précautions, il livre son secret à Jeanne qui le prend très mal. Leur première dispute. Pas question pour elle de partager la vie d’un homme marié. Jeanne parle même de rupture, affirmant que leur rencontre demeurera un merveilleux souvenir mais qu’ils en resteront là. Louis ne s’attendait pas à une réaction aussi brutale. Il aime Jeanne et, pour ne pas la perdre, il promet de faire sur-le-champ le nécessaire. Il ira voir Germaine à Courbevoie où elle réside afin qu’ensemble ils régularisent leur situation. Il ira… Non. Ce n’est pas Louis qui va se charger de cette démarche, mais sa sœur Mimi. Elle-même vient de divorcer, elle sait comment s’y prendre et puis, entre femmes, elles arriveront bien à se comprendre.
De fait, à son arrivée 2, quai Paul-Doumer à Courbevoie, Mimi est accueillie avec un certain soulagement. Il y a bien des années que Germaine ne veut plus porter le nom de De Funès. Elle vit avec Henry Fankestin [37] Né le 25 janvier 1917 dans le 11 e arrondissement de Paris, Henry Fankestin s’engage pour trois ans le 27 février 1935 au 9 e régiment de cuirassiers à Lyon, puis il est muté au 19 e dragons à Dinan avant d’être démobilisé le 22 août 1940 à Narbonne. Il épouse Germaine Carroyer le 17 octobre 1964. Il décède à Paris le 28 janvier 1984.
, un juif d’origine polonaise, qu’elle cache aux autorités allemandes. Il travaille, muni d’une fausse carte d’identité, comme fourreur pour le compte de la maison Peyren, rue des Petites-Écuries à Paris. Pendant que Mimi parle avec le couple, un gamin de 7 ans, un peu malingre, s’agite et grimace. C’est Daniel, le fils de Louis de Funès, qui n’a guère de souvenirs de son père. Germaine, pressée d’épouser le nouvel homme de sa vie, accepte de divorcer à condition que Louis ne s’occupe jamais plus de Daniel, tout en souhaitant rencontrer Jeanne afin que tout soit bien clair. Mimi fait part à Louis et à Jeanne de la proposition de Germaine. Même si Jeanne a comme l’impression d’enlever son futur mari à une autre femme, elle accepte de la rencontrer à Courbevoie. Germaine la reçoit le sourire aux lèvres et l’embrasse en lui glissant : « Que vous êtes jolie ! Je suis ravie pour Louis ! » Dans le salon, les deux couples s’assoient et le premier à prendre la parole est Henry pour redire qu’il est bien entendu que « Daniel est notre fils, et que nous le gardons ». Tout le monde est d’accord. Reste à payer les frais et… c’est grâce à la générosité financière de Mimi que la procédure de divorce peut être rapidement engagée. Elle arrive à son terme le 13 novembre 1942 par jugement prononcé par la 4 e chambre du tribunal civil de la Seine.
La voie est désormais libre pour que Louis et Jeanne passent devant monsieur le maire. Pas question de mariage religieux, l’Église s’opposant à recevoir un divorcé devant l’autel. Mais avant de fouler les marches de la mairie du 9 e arrondissement, Louis et Jeanne officialisent leurs fiançailles à Clermont. Il arrête la date de leur mariage au 20 avril 1943. Dans le même temps, ils s’interrogent sur le meilleur lieu pour protéger leur amour. Ils souhaitent un petit nid douillet à loyer raisonnable. Seulement, ce havre de paix n’est pas facile à dénicher. Ils en visitent plusieurs mais, à chaque fois, ils se heurtent à la médiocrité du contenu de leurs porte-monnaie. Pas question pour Louis de demander à Jeanne d’aller s’installer chez sa mère. Il connaît trop bien le résultat de cette promiscuité. Heureusement, Robert Deiss, son copain d’enfance avec lequel il joue du jazz lors de « bœufs » endiablés, vient à leur secours. Ce courtier en assurances possède un petit deux pièces en rez-de-chaussée, 94, rue de Miromesnil, qu’il veut bien leur prêter en attendant des jours meilleurs. Les toilettes sont dans la cour, le lavabo sur le palier… qu’importe, Jeanne a, déjà, plein d’idées en tête pour décorer avec goût ce logement. Là elle veut tendre un rideau pour donner l’illusion d’un espace plus vaste, ici elle voit une commode, ailleurs une table de chevet… Louis se fie à ses idées, d’autant qu’il continue à passer ses nuits à L’Horizon. Il n’a guère de temps pour s’occuper des problèmes de décoration d’intérieur. Il songe plutôt à faire en sorte que le 20 avril soit un vrai jour de fête où la famille et les amis soient le mieux reçus possible. Il se met aussi en quête d’un restaurant correct et qui acceptera que lui soient livrées de Clermont des volailles bien grasses à mitonner avec raffinement. Les tantes de Jeanne ont insisté pour contribuer, à leur manière, à ce repas de noce. Il n’a pas longtemps à chercher un établissement de qualité, l’oncle Henri et son épouse Justine mettent à leur disposition leur hôtel de la rue Condorcet.
En attendant ce jour « magique », Louis et Jeanne continuent de se protéger des bombardements, devenus de plus en plus fréquents en ce début de printemps. Le 4 avril, les forces alliées ont copieusement arrosé les usines Renault de Boulogne-Billancourt, faisant plus de six cents morts et des milliers de blessés. Dans la capitale, tout le monde chuchote à raison que ce n’est pas fini, que d’autres attaques aériennes sont prévues dans les jours à venir. Louis espère que le 20 avril sera plus calme, n’ayant nullement à l’esprit qu’à cette même date les Anglais ne manqueront certainement pas de célébrer à leur façon le cinquante-quatrième anniversaire du Führer ! D’ici là, Louis, conscient des responsabilités qui l’attendent, aimerait bien obtenir une augmentation à L’Horizon. Un après-midi, bien décidé à négocier une rallonge, il entre dans le bureau du patron mais, avant même qu’il ait pu ouvrir la bouche, celui-ci lui reproche ses nombreux retards. Soudain, le téléphone l’interrompt et un incroyable dialogue s’établit. Le taulier veut vendre plusieurs de ses propriétés. Il marchande ferme au bout du fil. Abasourdi, Louis entend son employeur parler de sommes astronomiques. Des millions, des dizaines de millions… tandis que lui quémande des miettes ! Au bout d’un quart d’heure, la communication cesse et Louis l’entend dire : « Vous voyez mon vieux ! Je suis débordé… Je ne sais plus où donner de la tête… alors, vous comprenez vos petites histoires… Ah ! Oui ! Vous augmenter ?… Vous n’y songez pas ! Vous allez me ruiner ! » Que répondre à cela ? Rien. Louis tourne les talons sans émettre le moindre son, de peur de s’attirer les foudres de ce patron qui aurait bien pu avoir la fâcheuse idée de se passer de ses talents. Le moment serait plutôt mal choisi. Après que Jeanne et Louis ont signé leur contrat de mariage le 16 avril auprès de maître Bernard Robineau en son étude 8, rue de Maubeuge, ils s’accordent quelques jours de liberté afin d’aménager leur futur logis. Le 19 avril, Louis, son ami Robert Deiss et d’autres copains passent un bon moment à enterrer la vie de garçon de Louis et de Robert qui ont décidé de se marier le même jour et chacun avec une jeune femme se prénommant Jeanne. Au menu de leurs agapes : du boudin à la purée de topinambours arrosé d’un vin rouge à onze degrés.
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