Le couple s’installe rue Jean-Jacques-Rousseau, au numéro 5. Louis continue de faire l’étalagiste tandis que Germaine doit rapidement quitter son emploi pour mener sa grossesse à terme. C’est dans une clinique de la ville [19] Dans quelques ouvrages consacrés à Louis de Funès, il est écrit que Daniel de Funès est né à Charleville-Mézières. Il s’agit là d’une erreur et d’une méconnaissance de l’histoire de la ville de Charleville qui ne fut rattachée à Étion, Mézières, Mohon, Montcy-Saint-Pierre et Le Theux qu’en 1965 et 1966 pour devenir alors la commune de Charleville-Mézières.
, le 12 juillet 1937 à 14 h 45, qu’elle met au monde un garçon qui reçoit le prénom de Daniel.
Papa pour la première fois, Louis sait parfaitement s’occuper de l’enfant. Il n’a rien oublié de ce qu’il a appris chez le docteur Pouchet en vallée de Chevreuse, soulageant ainsi la tâche de son épouse. Il se montre prévenant et attentif, prenant conscience de ses nouvelles responsabilités de père de famille. Il est plutôt fier de ce fiston qu’il câline et qu’il aime promener dans son landau. Au bout de quelques mois, Louis et Germaine prennent la décision de quitter les Ardennes pour revenir en région parisienne. Par manque d’imagination ou par facilité, ils choisissent Courbevoie et la rue des Blanchisseurs, où Daniel fait ses premiers pas. Courbevoie est une ville qui leur est familière. Bien trop familière. Car, si Leonor l’a quittée pour aller vivre 5, rue Raffet à quelques pas de la Villa Montmorency, dans le 16 e arrondissement de Paris où Mimi possède un hôtel particulier, ce n’est pas le cas de la mère de Germaine. Aline ne cesse de venir les déranger. Un peu comme Leonor, elle veut tout régenter. Elle se montre particulièrement envahissante, ce qui agace Louis. Au commencement, il se montre conciliant, puis il finit par en avoir plus qu’assez, au point de prendre le prétexte d’une courte période militaire, bien que réformé, pour déserter le domicile conjugal. Germaine s’en inquiète au bout de quelques jours, allant jusqu’à la caserne où on lui affirme que son mari a regagné son foyer. Lassée de l’attendre, elle part s’installer avec son fils dans sa famille à Clermont-Ferrand, où elle demeure plusieurs mois.
Pourquoi un départ aussi brutal ? Patrick de Funès affirme que son père « en avait assez de cette belle-mère. Il n’avait pas quitté sa propre mère pour retomber dans le même panneau. C’est l’unique raison pour laquelle il a quitté sa première femme [20] Témoignage de Patrick de Funès à l’auteur.
». De son côté, Daniel de Funès confie : « On l’a attendu. Il n’est pas revenu. […] Ma grand-mère maternelle [Leonor] n’aimait pas ma mère. Elle l’a poussé au divorce [21] Daniel de Funès à Éric Leguèbe, op. cit ., p. 165.
. » Force est de constater, sans lui faire offense, que Daniel de Funès va un peu vite en besogne. Nous le verrons, ce n’est pas Leonor qui poussera son fils à divorcer. Louis de Funès engagera cette procédure pour une tout autre raison et bien des années plus tard [22] En dépit de nombreuses demandes de rendez-vous, Daniel de Funès n’a jamais souhaité nous rencontrer.
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Toujours est-il qu’à l’approche de l’année 1939, Louis de Funès, de nouveau « célibataire » et de nouveau logé chez sa mère, part à la recherche d’un nouvel emploi d’étalagiste qu’il ne tarde pas à dénicher. Mais pour combien de temps ?
1939. Louis passe la nuit de la Saint-Sylvestre en compagnie de Mimi dans son hôtel particulier de la Villa Montmorency. Il a accepté son invitation uniquement parce que Renée Saint-Cyr n’est pas de la fête. Et, surtout, son frère Coco est là en compagnie de son fils Édouard, un gamin d’à peine neuf ans qu’il affectionne tout particulièrement. À sa sœur et à son frère, il ne manque pas de raconter ses déboires professionnels. Il a retrouvé un emploi d’étalagiste mais n’entend pas végéter dans ce métier dont il pressent qu’il finira par le lasser. Pour l’heure, il n’a toujours pas d’idée bien précise de ce qu’il pourrait faire. La tournure des événements des mois à venir va lui fournir l’occasion de choisir un chemin de traverse. Si Louis ne prête guère attention aux bouleversements politiques comme la nomination du maréchal Pétain au poste d’ambassadeur en Espagne ou la réélection d’Albert Lebrun à la présidence de la République, il ne lui échappe pas qu’Hitler se montre de plus en plus arrogant même s’il préfère de loin aller admirer le nouveau fleuron des usines Peugeot : la 202. Il n’aime guère prendre le volant, mais il apprécie les belles choses et en particulier les automobiles affichant une incontestable classe.
Toutefois, les rumeurs de guerre ne le laissent pas indifférent. L’invasion de la Tchécoslovaquie par l’Allemagne nazie au mois de mars lui fait craindre le pire. Et ce n’est pas l’entrevue du Président du Conseil, Édouard Daladier, avec Adolf Hitler qui le rassure. Il sait qu’il ne sera pas appelé sous les drapeaux, mais il nourrit quelques craintes pour son frère. De fait, le 1 er septembre c’est la mobilisation générale. Quarante-huit heures plus tard, la France entre en guerre et Coco rejoint le 152 e régiment d’infanterie. Louis vit dans l’inquiétude tout en continuant à faire œuvre d’étalagiste au hasard des rares engagements qui se présentent. Au terme de l’année, où chacun s’interroge sur l’issue de la guerre, Louis n’a pas vraiment envie de faire la fête même si, cette fois encore, il passe Noël chez sa sœur qui a pris sous son aile leur neveu Édouard, lequel est orphelin de mère.
Louis n’est donc pas de la drôle de guerre, ou de la « guerre assise », comme disent les Allemands. Il ne combat pas, mais il doit toujours se battre pour manger à sa faim. Les engagements dans les magasins se font de plus en rares. Les Parisiens ont la tête ailleurs. Ils imaginent le pire et préfèrent la nourriture aux fanfreluches. C’est à ce moment-là que Louis se souvient qu’il sait jouer du piano et qu’il pourrait tenter de décrocher un travail — même temporaire — dans quelques bistrots ou restaurants pour améliorer l’ordinaire. Un soir, il se présente chez Lauby, à Neuilly, où il offre ses services. Ce restaurant, situé rue de la Ferme, reçoit régulièrement la visite de Mimi et de Renée Saint-Cyr. C’est un peu leur « cantine ». Il pose ses mains sur le clavier et le patron lui ouvre les portes de son établissement pour « mettre de l’ambiance » deux ou trois soirs par semaine. Il est loin de se douter que, dans peu de temps, le piano sera son unique gagne-pain.
La guerre s’éternise. Les nouvelles du front sont mauvaises. Elles deviennent tragiques pour la famille de Funès le 30 mai 1940. Tandis que, le 14 mai, l’armée allemande est parvenue à percer les lignes françaises à Sedan, l’armée française subit pertes sur pertes. La ligne de résistance de Villy à Asfeld peine à tenir. Ce 30 mai, les bombardements s’intensifient, et parmi les soldats tombés sous la mitraille dans les Ardennes figure Charles de Funès alors qu’il combat à l’entrée de Sault-lès-Rethel. Pour les de Funès le coup est rude lorsqu’ils apprennent l’effroyable nouvelle. Leonor tente en vain de garder son sang-froid, quant à Louis il ne peut s’empêcher de pleurer et de maudire les assassins de son frère avec lequel il s’entendait à merveille. Il revit leurs folles équipées à vélo, leurs blagues de potaches à Coulommiers. Louis aimait profondément Coco, et qu’importe s’il arrivait à ce dernier de fâcher la maréchaussée parce qu’il aimait braconner. C’est Louis qui va aller reconnaître le corps de Coco dans la fosse commune de Rethel. « Mon père adorait son frère , souligne Patrick de Funès [23] Patrick de Funès à Virginie Kiefer, L’Union de Reims , 11 novembre 2011.
. Il venait régulièrement dans les Ardennes. Il voulait qu’il soit enterré au cimetière militaire, et ce n’est qu’après maints courriers au ministère de la Guerre qu’il obtint gain de cause en 1976 [24] Charles de Funès est le seul soldat de la Seconde Guerre mondiale à être enterré au cimetière militaire de Rethel où reposent uniquement des soldats victimes de la Première Guerre mondiale. Robert Marcy, l’historien local, reconnaît qu’« il s’agit d’une anomalie mais Louis de Funès tenait absolument à ce que son frère ait une tombe décente. D’ailleurs, il était sympathisant du Comité des Amis du musée de Rethel et chaque année nous recevions un chèque de 500 francs ». L’Union de Reims , 11 novembre 2011.
. Mon père en parlait beaucoup à la maison, d’ailleurs cela m’a fait rire, quand on a insinué qu’il était d’extrême droite, lui qui ne supportait pas les militaires. »
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