- Donne-moi tes Moufs-moufs, au lieu de râler ! lui ordonne sa sœur.
- Si c'est pour me les mettre dans la bouche, pas question !
- Donne ! lui hurle la princesse avec autorité. Bétamèche ronchonne, mais sort les deux Moufs-moufs de son sac et les tend à sa sœur.
- On va boucher les orifices, explique Sélénia en jetant une boule de chaque côté.
- Des pastilles de flamande, vite !
Bétamèche prend sa sarbacane et y introduit une petite pastille blanche. Il souffle dans le tube en direction du Mouf-mouf qui se gonfle instantanément, se durcit et tourne au violet. Il fait la même opération à l'autre extrémité, et la paille se retrouve isolée de l'extérieur, totalement hermétique. Sélénia se frotte les mains.
- Comme ça, on ne risque pas de prendre l'eau !
- Et on va pouvoir voyager calmement ! ajoute Bétamèche, s'allongeant dans le creux de la paille.
Le voyage ne restera pas calme longtemps. Le petit ruisseau a rejoint un cours d'eau plus important, qui grossit à vue d'œil.
- C'est bizarre ce bruit sourd qui monte, vous ne trouvez pas ? questionne Arthur.
Sélénia tend l'oreille. Il y a effectivement une rumeur, un fond sonore comme une vibration très basse.
- Toi qui sais tout, tu sais où il va, ce cours d'eau ? demande Sélénia à Arthur.
- Pas exactement, mais tous les cours d'eau se rejoignent à un moment ou à un autre et finissent toujours au même endroit, c'est-à-dire...
Arthur réalise peu à peu ce qu'il est en train de dire.
- Les chutes de Satan !! hurlent nos trois héros, d'une seule et même voix paniquée.
C'est la fin du voyage de plaisance. Les premières pailles basculent dans l'insondable chute d'eau.
- T'as toujours de bonnes idées, toi ! se plaint Sélénia auprès d'Arthur.
- Je n'avais pas pensé que...
- Eh bien, la prochaine fois, pense avant d'agir !! hurle-t-elle. Bétamèche ?! Trouve quelque chose, il faut qu'on sorte d'ici !
- Je me dépêche ! Je me dépêche ! répond le petit prince qui vide une nouvelle fois son sac plein d'objets inutiles.
- Je ne comprends pas pourquoi vous vous affolez ? demande Arthur. Les Moufs-moufs bloquent les deux extrémités. Il ne peut rien nous arriver ! Et puis ces chutes ne sont pas si importantes que ça !.. Elles font à peine un mètre !
La paille se présente au bord de cette cataracte monstrueuse, haute de mille mètres en version Minimoy. Le tube bascule doucement et plonge dans le vide.
- Maman !! hurlent nos trois héros, mais le bruit assourdissant des chutes couvre leurs prières.
Après un plongeon de plusieurs secondes, longues comme des minutes, la paille tombe au milieu des tourbillons d'écume. Le tube s'enfonce, ressort, roule, puis, entraîne par le courant, finit par s'éloigner vers un petit lac, beaucoup plus calme.
- Je hais les transports en commun ! se plaint Bétamèche en refaisant son sac pour la énième fois.
- Les chutes sont passées. Ça va être plus calme maintenant ! assure Arthur.
Les pailles se dispersent au milieu du lac, trop tranquille pour être honnête.
Une créature saute à pieds joints sur leur paille, comme une voiture tombée du ciel.
Grâce à la transparence de la paille, on distingue l'empreinte de ses pieds. Et vu leur forme immonde, il y a de quoi s'inquiéter.
- Qu'est-ce que c'est que ça ? demande Bétamèche, tétanisé au fond de la paille.
- Comment veux-tu que je le sache ?! s'énerve Sélénia.
- Taisez-vous ! chuchote Arthur. Si on est silencieux, ça passera sûrement son chemin.
Arthur a raison, pendant trois secondes. Puis une tronçonneuse monstrueuse vient trancher la paille, à ras de Sélénia qui se met à hurler.
C'est l'horreur dans le compartiment. Les éclats pètent de partout et le bruit est insupportable. La paille est amputée, à ras du petit accordéon situé à ses deux tiers. Nos trois héros fuient à quatre pattes à l'autre bout, mais la créature a avancé d'un bond et les oblige à faire demi-tour. Nos héros se retrouvent dans l'accordéon, au bord de l'eau, au bord de la fin.
La créature tronçonne à nouveau, à ras de l'accordéon. Elle détache cette petite partie boudinée qui cache nos trois amis et qui semble être la seule partie qui l'intéresse.
Nos trois Minimoys sont terrorisés. Collés dans les bras les uns des autres, comme des Mül-müls. La créature est toujours debout sur l'accordéon à rayures. On ne voit toujours que le dessous de ses pieds. Mais quelque chose a dû l'interpeller, car on distingue maintenant l'empreinte de ses genoux, puis de ses mains. Elle s'est mise à quatre pattes. Sa tête apparaît à l'envers, dans l'ouverture de la paille. La créature a de longues nattes tressées de coquillages qui pendent dans le vide.
C'est un Koolomassaï. On dirait Bob Marley en version Minimoy.
L'homme relève ses lunettes de protection, observe un instant nos trois héros terrorisés et finit par lâcher un grand sourire qui dévoile ses belles dents blanches. Comme il a la tête en bas, son sourire est à l'envers et Arthur n'est pas sûr du signal.
« Qu'est-ce que vous faites là-dedans ? », questionne le Koolomassaï, hilare.
Sélénia hésite à répondre, surtout en voyant, au loin, un moustik s'approcher.
- Si les séides nous trouvent, on n'aura pas le plaisir de vous l'expliquer ! lui dit Sélénia sans humour.
Le Koolomassaï a compris le message.
- Un problème ? lance le séide qui vient de stabiliser son moustik au-dessus de ce qui reste de la paille.
- Non. Rien de spécial. Je regardais juste s'il n'était pas abîmé, répond l'employé avec nonchalance.
- Il n'y a que les tubes qui nous intéressent, cette partie-là ne nous intéresse pas, dit le séide en parlant de l'accordéon.
- Ça tombe bien ! Nous, il n'y a justement que cette partie qui nous intéresse ! Comme ça, on ne risque pas de se fâcher ! ajoute le travailleur avec humour.
Mais le séide n'aime pas l'humour, d'une façon générale.
- Dépêche-toi. Le maître attend, conclut le séide, dont la patience et l'intelligence semblent limitées.
- No problemo ! lance le Koolo. Bougez pas, chuchote-t-il à Arthur, je reviendrai vous chercher !
Puis il disparaît en sautant d'une paille à l'autre.
- Dépêchez-vous, le maître attend ! hurle le Koolo à ses camarades dispersés sur les autres pailles qui flottent sur le lac. Les travailleurs accélèrent pour montrer leur bonne volonté, mais le cœur n'y est pas. Un peu comme ces chauffeurs de taxi qui ralentissent quand vous êtes pressé.
Le Koolo se sert de sa perche pour guider les longs tubes vers un autre cours d'eau. Au passage, il sépare les accordéons et les pousse vers la rive. Nos trois amis ont suivi le conseil du Koolo et n'ont pas bougé.
Une espèce de grue, faite de bois et de lianes, attrape le petit morceau de paille boudiné et le jette au milieu d'un panier immense. L'accordéon tombe au milieu d'une vingtaine d'autres, une vraie récolte.
Le panier est accroché sur le dos d'un énorme insecte. C'est un gamoul, une espèce de scarabée très résistant qui sert souvent de mule. L'animal est aussi très utilisé dans les expressions populaires telles que « aussi têtu qu'un gamoul » ou encore (et c'est ici le cas) « chargé comme un gamoul ».
- Où sommes-nous ? s'inquiète Arthur.
- Sur le dos d'un gamoul. Pour l'instant ils nous cachent.
- Ils nous cachent pour mieux nous trahir ! lance Bétamèche. Comment peux-tu faire confiance à un Koolomassaï ! Ce sont les plus grands menteurs et baratineurs des sept terres réunies !
- S'il voulait nous trahir, il l'aurait déjà fait ! réplique Sélénia avec bon sens. Je pense qu'on va nous emmener dans un lieu sûr.
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