Il aimerait bien s'excuser mais il n'a pas encore le courage de se dénoncer.
Sur le flanc opposé, une colonie de fourmis a fabriqué un chemin qui descend au fond du cratère. Elles ont toutes un gros sac de terre sur le dos.
- Elles en ont pour des mois de travail pour réparer et refaire leur réseau, dit Sélénia.
- Si seulement on savait pourquoi ces abrutis font des trous partout ! ajoute Bétamèche, dépité.
Arthur n'en mène pas large. Il aimerait tellement pouvoir expliquer que l'abruti... C'est lui.
- Ne sois pas stupide, Béta ! Les humains ne connaissent pas notre existence. Ils ne peuvent donc pas savoir les dégâts qu'ils provoquent, explique Sélénia avec beaucoup de tolérance.
- Bientôt ils le sauront, intervient Arthur. Et ce genre de catastrophe n'arrivera plus jamais. Vous avez ma parole.
- ... On verra, lui répond Sélénia, d'un naturel sceptique. En attendant, le jour tombe. Il faut trouver un endroit pour dormir.
La lumière orange de fin de journée a rendu le paysage pratiquement monochrome. Seul le ciel, influencé par la nuit, a conservé son bleu profond.
Le petit groupe s'avance vers un coquelicot, bien rouge et bien seul.
Bétamèche a sorti son couteau multifonctions.
- Où ont-ils mis la métaglue ? se demande-t-il en tripotant l'engin.
Il appuie sur un bouton et une immense flamme sort de l'objet. Arthur a juste le temps de se baisser pour voir la flamme lui passer à ras du crâne.
- Oups ! lâche Bétamèche en guise d'excuses.
Sélénia lui arrache le contenu des mains et cherche à sa place.
- Donne-moi ça, tu vas finir par blesser quelqu'un !
- Je l'ai pas depuis longtemps. Je l'ai eu pour mon anniversaire, explique le petit prince.
- Quel âge as-tu ? l'interroge Arthur.
- Trois cent quarante-sept ans. Dans dix-huit ans, je serai majeur, explique le petit prince, tout joyeux.
Arthur a le boulier qui s'emmêle.
Sélénia appuie sur le bon bouton et un jet de métaglue vient se coller sur l'un des pétales du coquelicot. Spiderman n'aurait pas fait mieux.
Elle sort un pic du couteau et le plante dans le sol. Un petit mécanisme se déclenche et enroule le fil qui tire sur le pétale et l'ouvre, comme le pont-levis d'une forteresse. Arthur est toujours dans ses calculs.
- Et... Sélénia ? Elle a quel âge ? demande-t-il, pour comprendre.
- Bientôt mille ans, l'âge de raison, répond Bétamèche avec un brin d'envie. C'est son anniversaire dans deux jours !
Arthur ne comprend plus rien. Lui qui était si fier d'avoir dix ans.
Le pétale est maintenant complètement ouvert et suffisamment abaissé pour que Sélénia puisse grimper et entrer dans la fleur.
Elle sort son épée, attrape les étamines et les coupe à la base. Puis elle les secoue jusqu'à ce que les petites boules jaunes se décrochent et forment une couche douillette. Arthur la regarde faire son lit avec émerveillement. Sélénia jette les tiges d'étamines, devenues inutiles, et accueille les deux garçons qui grimpent dans la fleur. Bétamèche se jette directement, avec délice, dans ce lit de boules jaunes.
- Je suis mort de fatigue ! Bonne nuit ! dit-il en prenant à peine le temps de se retourner avant de s'endormir. Arthur n'en revient pas. En voilà un qui n'a pas besoin du produit de la grand-mère !
- Il a le sommeil facile ! commente-t-il.
- Il est jeune, explique Sélénia.
- Deux cent quarante-sept ans, c'est déjà pas mal ! Sélénia récupère la petite boule lumineuse dans le sac de son frère. Elle secoue la boule qui s'allume et la laisse flotter dans le coquelicot.
- Et toi ? Tu vas vraiment avoir mille ans dans deux jours ?
- Oui, répond simplement la princesse, avant de couper le fil de métaglue d'un coup d'épée.
Le pétale remonte aussitôt et referme la fleur. À l'intérieur, l'ambiance est feutrée, la lumière est douce et l'atmosphère est romantique à souhait. Si Arthur s'appelait Julio, il pousserait la chansonnette.
Sélénia s'étire un peu et s'allonge sur le lit de boules jaunes, comme un chat s'allonge sur la moquette. Arthur est charmé, grisé, et donc un peu perdu. Il vient s'asseoir doucement à côté d'elle. Sélénia ne dit rien, elle est dans ses pensées :
- ... Dans deux jours, je dois succéder à mon père et veiller à mon tour sur le peuple Minimoy jusqu'à ce que mes enfants aient mille ans et me succèdent à leur tour. Ainsi va la vie au pays des sept terres.
Arthur reste un moment sans rien dire. Un peu songeur.
- Mais... Pour faire des enfants, il faut... Un mari ?
- Je sais. Mais ça va, il me reste deux jours pour en trouver un ! Bonne nuit ! dit-elle en se retournant.
Arthur reste comme un idiot, avec cent questions à poser. Il se penche un peu pour vérifier, mais elle ronronne déjà. Le petit garçon soupire et se contente de s'allonger à côté de la princesse ce qui, réflexion faite, n'est déjà pas si mal. Il glisse ses mains sous sa nuque et laisse un large sourire embellir sa frimousse.
La nuit est presque là. Les premières étoiles scintillent. Il n'y a plus que ce coquelicot lumineux au milieu d'une forêt qui s'endort, comme un phare sur une côte invisible. Le couteau de Bétamèche brille sous la Lune, en attendant le petit jour.
Mais une main apparaît et saisit le couteau. Une main rugueuse. Une main qui fait peur. La nuit tombe davantage et couvre la fuite du criminel.
La grand-mère sort sur le perron, une lanterne à bougie à la main.
Elle scrute un peu la nuit à l'aide de cette faible lumière, mais les alentours sont muets et n'apportent aucun signe d'Arthur.
Résignée, elle suspend la lampe au crochet qui surplombe l'entrée et rentre chez elle, définitivement malheureuse.
Les premiers rayons de soleil viennent découper les collines noires, à l'horizon.
Chapitre 15
Sur la première terre, celle des Minimoys, le jour se lève aussi et un rayon vient caresser le haut du coquelicot. Sélénia se redresse et s'étire comme un félin. Puis elle se lève d'un bond et met un coup de pied dans chaque garçon.
- Debout tout le monde ! La route est longue ! hurle-t-elle dans le coquelicot qui résonne.
Les deux garçons se redressent péniblement, tout engourdis de sommeil. Arthur a mal partout. Souvenir d'une journée riche, mais éprouvante.
Sélénia pousse un pétale du pied et la lumière envahit le lieu. Les deux garçons se retournent pour se protéger de la trop forte lumière.
- OK ! On va changer de méthode ! décide la princesse.
Bétamèche gicle de la fleur en glissant sur un pétale jusqu'au sol. Il est suivi par Arthur, jeté sans plus de ménagements. Sélénia les rejoint en glissant à son tour le long d'un pétale, comme sur un toboggan.
- Tout le monde à la douche ! lance-t-elle, décidément en forme.
Arthur se relève comme un petit vieux.
- C'est un peu dur les réveils chez vous ! se plaint-il. Moi, ma Mamie, elle m'apporte le petit déjeuner au lit tous les matins !
- Chez nous, il n'y a que les rois qui sont servis au lit. Tu n'es pas encore roi, à ce que je sache ?
Arthur devient tout rouge, comme s'il avait crié « oui » sans s'en rendre compte. Être roi est son rêve le plus intime. Mais pas pour le pouvoir ou autres privilèges dont il n'a que faire, simplement pour le bonheur d'être le mari de celle qui, dans deux jours, sera la Reine.
- Ne te plains pas ! » lui lance Bétamèche. Elle me réveille à coups de pieds depuis deux cents ans !
Sélénia se met sous une goutte d'eau accrochée au bout d'une herbe.
Elle prend l'une des épines qui nouait ses cheveux et perce la goutte. Un petit filet d'eau en jaillit. Sélénia récupère l'eau au creux de ses mains et se débarbouille. Arthur la regarde faire avec amusement. Ça change de l'éternelle douche et son rideau collant. Il aperçoit une autre goutte, un peu plus grosse, au bout d'une feuille. L'enfant se met aussitôt dessous.
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