- Tu ne devrais pas te mettre sous celle-là, lui conseille la princesse.
- Ah bon ? Pourquoi ? demande Arthur, étonné.
- Elle est mûre, lâche-t-elle, avant que la goutte ne lâche à son tour et tombe sur Arthur.
Le voilà bloqué sous cette énorme masse, cette goutte gélatineuse dont il ne peut se défaire. On dirait une mouche assommée sous une crème caramel. Bétamèche est mort de rire.
- Tu t'es fait avoir comme un débutant ! lui lance-t-il, hilare.
- Aide-moi plutôt au lieu de rire comme une baleine ! Je suis coincé !! crie Arthur.
- J'arrive ! lui répond Bétamèche en sautant à pieds joints sur la goutte, histoire de jouer au trampoline.
Tout en sautant joyeusement, il chantonne une comptine très populaire chez les Minimoys : « Une petite goutte, tombée de bon matin Roulait jusqu'à la route, pour noyer son chagrin Personne ne l'écouté, personne ne lui tend la main Alors elle prend la route, et vous dit à demain ! » Sélénia ne lui laissera chantonner qu'un couplet. Elle sort son épée et tranche la goutte qui explose. Bétamèche se retrouve à cheval sur Arthur. Les deux garçons sont trempés et douchés pour la journée.
- J'ai une de ces faims, moi ! Pas toi ? dit Bétamèche comme si de rien n'était.
- On mangera plus tard ! coupe Sélénia en rangeant son épée et en taillant la route.
Bétamèche enfile son sac à dos et cherche son couteau à l'endroit où sa sœur l'a planté.
- Mon couteau ?! Il a disparu ?! s'inquiète-t-il. Sélénia ?! On m'a volé mon couteau !
- Bonne nouvelle ! Ça t'évitera de blesser quelqu'un ! lui rétorque sa sœur, déjà loin.
Le petit prince enrage, mais se résigne à rejoindre ses compagnons.
La grand-mère apparaît sur le perron de sa maison. Le soleil lui envoie une belle lumière, mais aucun signe d'Arthur. Les bouteilles de lait ne sont pas là non plus. Il y a un mot à la place. Elle le ramasse et le lit :
« Chère madame, votre compte est débiteur. Nous ne sommes donc plus en mesure de vous livrer, tant que vous n'aurez pas soldé votre dû. Bien à vous. Émile Johnson. Directeur de la Davido-Milk-Corporation. »
La grand-mère laisse échapper un petit rire, comme si la signature de ce méfait ne la surprenait pas.
Résignée, elle récupère la lampe-tempête dont la bougie a entièrement fondu, et rentre chez elle.
Bétamèche arrache une nouvelle boule rouge et l'engloutit.
C'est qu'il a faim, ce petit bonhomme.
Arthur en décroche une à son tour et la regarde, un peu sceptique.
- C'est mon plat préféré ! lui précise le petit prince, la bouche pleine.
Arthur renifle la boule un peu transparente, et croque dedans. C'est plutôt sucré, un poil acide. Ça fond sur la langue, comme une guimauve trop légère. Arthur est séduit et croque à nouveau dans la boule.
- Mmmh ! C'est bon ! avoue-t-il, la bouche pleine. C'est quoi exactement ?
- Des œufs de libellule ! lui dit Bétamèche.
Arthur se bloque, s'étrangle et recrache le tout, dégoûté. Bétamèche rigole et se ressert.
- Venez voir ! hurle Sélénia un peu plus loin, au bout d'un chemin.
Arthur la rejoint, tout en s'essuyant de son mieux.
Bétamèche arrache une grappe et le suit.
Sélénia est au bord d'un grand canyon, creusé par la main de l'homme.
Tout le long du canal, les humains ont planté, à la verticale et par espaces réguliers, de monstrueux tuyaux à rayures blanches et rouges.
Arthur est halluciné par cette horreur... qu'il a fabriquée. Il s'agit bien sûr de son canal d'irrigation, jalonné de pailles. Jamais il n'aurait imaginé que cet ouvrage, vu d'en bas, puisse être aussi laid.
- Quelle horreur ! s'exclame Bétamèche. Les humains sont vraiment fous !
- C'est vrai que, vu d'ici, c'est pas très beau, concède Arthur, embarrassé.
- Quelqu'un a une idée d'à quoi ça sert ? lance Sélénia, écœurée.
Arthur se sent obligé de fournir une explication, histoire d'atténuer le préjudice.
- C'est un système d'irrigation. Ça sert à transporter l'eau.
- De l'eau ?! Encore ?!! s'exclame Bétamèche. Mais on va tous finir noyés, dans cette histoire !
- Je suis désolé, je ne savais pas, concède Arthur, vraiment ennuyé.
- Tu veux dire que c'est toi qui as construit cette horreur ? s'inquiète le petit prince avec une mine de dégoût.
- Ben oui, mais c'était pour arroser les radis qui sont plantés tout le long !
- Ah ! Parce qu'en plus vous mangez ces trucs infects ?! Ils sont vraiment fous ces humains !
Sélénia est restée calme. Elle observe la construction, sans état d'âme.
- Espérons en tout cas que ton invention ne tombe pas entre les mains de M, parce que je vois d'ici l'usage qu'il pourrait en faire !
Arthur se raidit. À cause de la phrase, mais aussi à cause de ce qu'il voit, dans le dos de Sélénia.
- ... Trop tard, dit Bétamèche, qui a vu la même chose. Sélénia se retourne et aperçoit un groupe de séides qui avancent au fond du canyon. Quelques-uns sont sur des moustiks, les autres sont à pied et coupent les pailles à ras, à coups de tronçonneuse.
Les pailles ainsi coupées tombent au sol et roulent jusqu'au ruisseau, au milieu du canyon. Les pailles suivent ensuite le cours d'eau, comme les troncs coupés qui descendent les rivières.
Nos héros se sont jetés dans un buisson et observent le manège.
- Je me demande bien ce qu'ils vont faire avec mes pailles ?! se demande Arthur.
- Du moment qu'ils nous en débarrassent, je considère ça comme une bonne action ! répond Bétamèche.
Sélénia lui tape sur la tête.
- Réfléchis, avant de dire des âneries ! Ils savent que les Minimoys ne supportent pas l'eau et ils viennent de découvrir le moyen permettant de transporter l'eau... là où ils veulent. Son regard s'assombrit, comme si de noires pensées lui passaient au fond des yeux.
- ... Et où crois-tu qu'ils vont acheminer l'eau ? demande-t-elle, connaissant déjà la réponse.
Un séide coupe une nouvelle paille qui tombe dans un fracas épouvantable.
- Vers notre village ! réalise Bétamèche. Mais c'est horrible ! On va tous mourir noyés ! Tout ça à cause de l'invention d'Arthur ?!
Le petit garçon se sent tellement coupable qu'il ne parvient plus à respirer. Une grosse boule lui serre le ventre. Il se lève d'un seul coup, les yeux pleins de larmes, et s'en va vers le ruisseau.
- Où vas-tu ? chuchote Sélénia pour ne pas être entendue des séides.
- Je vais réparer mes bêtises ! dit-il avec beaucoup de dignité. Si tu dis vrai, les séides vont acheminer les pailles jusqu'à Nécropolis. Et moi avec !
Arthur bondit hors des fourrés et se jette dans la paille fraîchement coupée.
Les séides n'ont rien vu, trop occupés à leur sale besogne. Arthur invite de la main ses compagnons à le suivre.
- Il est vraiment fou ce garçon ! constate Bétamèche.
- Il est fou mais il a raison. Les pailles vont forcément finir dans la cité interdite... Et nous aussi ! ajoute Sélénia avant de bondir hors de sa cachette et de se jeter à son tour dans la paille.
Les séides n'ont toujours rien vu, mais leurs travaux les rapprochent régulièrement. Bétamèche soupire devant le peu de choix qui lui reste.
- Ils pourraient me demander mon avis de temps en temps, tout de même ! s'offusque-t-il avant de partir en courant pour rejoindre ses camarades.
Les séides arrivent jusqu'à la paille occupée par nos fuyards et la poussent à coups de pieds jusqu'au ruisseau. La paille se pose sur l'eau et commence à glisser. À l'intérieur, nos trois héros tournent dans tous les sens et c'est la panique.
- J'en ai marre de ces moyens de transport ! J'ai le dos en compote, moi ! se plaint Bétamèche.
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