Arthur grimace aussitôt. L'idée de finir en rondelles ne le réjouit pas vraiment.
- T'as une idée pour nous en sortir ? demande l'enfant qui scrute la place.
- Si j'étais suffisamment intelligent pour nous sortir de ce piège, je l'aurais été aussi pour ne pas tomber dedans ! répond Darkos avec lucidité.
Maltazard est descendu du balcon et s'avance sur la place du village.
- Mes amis, préparez-vous à mourir ! chuchote Darkos, qui gonfle la poitrine, comme si cela allait suffire à le protéger de la douleur.
- Nous sommes prêts ! répond Archibald avec beaucoup de dignité.
- Eh bien pas moi ! s'énerve Arthur. Je n'ai absolument pas envie de mourir attaché à un totem ! Il faut trouver une solution ! ou au moins trouver l'épée magique !
Maltazard trébuche légèrement. Par une ironie du sort, il vient de marcher sur la fameuse épée. Le souverain se penche et la ramasse avec beaucoup de plaisir.
- Je me demandais, en avançant vers vous, comment j'allais vous trucider. J'ai pensé à bien des tortures, étant assez fort sur le sujet, mais aucune ne me paraissait vraiment digne de vous. Grâce à la déesse de la forêt, qui a placé cette épée sur ma route, je sens que ma créativité va pouvoir de nouveau s'exprimer.
Maltazard leur adresse un sourire, on dirait un nuage qui se déchire sous l'effet de la foudre.
- Maintenant dites-moi seulement une chose. Par qui je commence ? dit-il avec sadisme.
- Par moi ! s'écrie aussitôt Darkos.
Maltazard est surpris. Il ne s'attendait pas à ce que son fils réagisse aussi vite. Mais cette solution ne lui plaît pas. Abandonner son fils est une chose, le tuer en est une autre. Maltazard est mauvais, affreux sale et méchant, mais il avait sûrement dans l'idée de se débarrasser d'Arthur et Archibald, puis d'épargner son fils, après l'avoir évidemment copieusement humilié. Son plan est donc un peu contrarié, mais comment faire comprendre à son fils qu'il aimerait lui éviter le pire ?
- Je... je préfère garder le meilleur pour la fin ! déclare le souverain, histoire de faire diversion, même si personne n'est dupe.
- Dans ce cas, commence par moi ! lance Archibald.
Cette solution ne plaît pas davantage à Maltazard, car elle lui procurerait moins de plaisir. Il préfère évidemment commencer par Arthur afin de mieux profiter de la souffrance qu'il pourra lire sur le visage du grand-père. Le sadisme est un art dans lequel Maltazard est passé maître.
- Je préfère commencer par Arthur pour honorer sa bravoure ! répond Maltazard, qui ment comme il respire.
Arthur se crispe et prend une grande inspiration. Il lui reste une seule carte à jouer, celle qu'il a déjà jouée avec Darkos : pousser Maltazard dans ses pensées les plus noires afin que l'épée devienne à nouveau impossible à soulever.
- Pitié, monseigneur ! pitié pour cette petite vermine que nous sommes ! déclare l'enfant avec une mine aussi abattue qu'un cocker.
- Un peu de dignité ! s'insurge Archibald qui n'a visiblement pas compris le plan de son petit-fils.
Maltazard se met à ricaner.
- Ne t'inquiète pas, Archi ! Ton petit Arthur essaye seulement de me jouer un mauvais tour ! Il veut me pousser vers d'horribles pensées pour que l'épée perde tous ses pouvoirs. Mais je ne suis pas né de la dernière rosée et je connais cette dague mieux que quiconque, dit-il en la caressant avec affection. C'est donc avec beaucoup de plaisir, de bonheur et de joie que je vais vous découper en rondelles, et ce, sans aucune animosité.
Le visage d'Arthur se décompose de terreur. Sa dernière carte est abattue. La partie est perdue. La tristesse l'envahit. Il vient de réaliser qu'il va quitter ce monde définitivement, mais ce n'est pas ça qui l'attriste le plus. Le pire c'est qu'il ne verra plus jamais Sélénia. Quitter son petit monde, sa famille, son chien, ses jouets le rend fort triste, mais quitter Sélénia lui est insupportable. Il a beau remuer ses petits poignets, ils sont bien fermement attachés au poteau des supplices, et il ne voit vraiment plus ce qui pourrait empêcher l'épée que brandit Maltazard de venir le couper en deux. L'arme reste un instant en l'air, toujours aussi légère. Le maudit se met à sourire et son bras commence à descendre en direction de l'enfant. Arthur a fermé les yeux, comme ça il pourra partir avec l'image de sa princesse adorée, lui souriant à tout jamais.
Mais une main puissante vient arrêter l'épée, à quelques centimètres de la tête d'Arthur. C'est la main de Darkos, qui a réussi à se libérer. Maltazard reste en arrêt, à mi-course, comme flashé dans son élan.
- Je ne te laisserai pas faire une chose pareille, père ! lance calmement Darkos.
Visiblement, les quelques heures passées avec Archibald ont l'air de lui avoir fait le plus grand bien et les deux neurones qu'il a dans la cervelle ont fini par se parler.
Le sang monte au visage de Maltazard et son regard devient comme fou. Il saisit son fils à la gorge à l'aide de sa pince énorme et le colle violemment contre le poteau.
- Je voulais t'épargner la vie, mais devant une telle humiliation, tu ne me laisses guère le choix !
Maltazard lève à nouveau l'épée magique, prêt à en finir avec son fils.
- Tu vas donc mourir le premier ! dit-il en hurlant, ce qui n'est pas très bon pour la santé.
Chapitre 19
De plus, s'il avait hurlé moins fort, il aurait probablement entendu ce bourdonnement qui se rapproche de lui à toute allure (même si nous savons qu'il est toujours malvenu de parler de bourdonnement quand il s'agit d'une abeille). La reine des abeilles vole en rase-mottes à plus de cent à l'heure, avec Sélénia agrippée à son dos.
- Objectif droit devant ! hurle Sélénia à la reine qui comprend immédiatement le message.
Les fesses de Maltazard sont en vue et sont bien entendu l'objectif à atteindre. L'abeille sort son dard et se met en position de tir.
- Adieu ! s'exclame Maltazard, théâtral au possible.
L'abeille pointe son dard, comme un avion de chasse à l'approche de la cible.
- Adieu ! hurle à son tour Sélénia, si fort que même Maltazard l'a entendue.
Mais entendre est une chose, réagir en est une autre. Le dard se plante, à plus de cent kilomètres-heure, dans la fesse de Maltazard, qui pousse aussitôt un cri de douleur et manque de vaciller. Il lâche évidemment l'épée qui se plante dans le sol.
- Qu'est-ce que c'est ?! rugit Maltazard en se touchant la fesse, mais le venin est déjà en lui et ne va pas tarder à faire son effet.
Le souverain sent tout de suite que quelque chose se répand dans son corps, mais il est bien incapable d'en prévoir les effets. Du coup, il s'affole, il s'énerve, il râle, il bave et fume de partout.
- Vous allez voir ce qu'il en coûte de vous opposer à Ma Grandeur ! s'écrie-t-il en postillonnant de tous côtés.
Il attrape le pommeau de l'épée et tire dessus. Mais l'épée ne vient pas. Trop de mauvais sentiments animent celui qui veut la posséder. Maltazard a beau tirer dessus comme un idiot, rien n'y fait. L'épée est soudée au sol comme un chêne centenaire. En plus, ça va devenir difficile pour Maltazard de tenter autre chose, car il rétrécit à vue d'œil. Pas un léger tassement, ce qui serait naturel vu son âge avancé, mais une vraie transformation qui le fait passer d'un monde à l'autre, de celui où il mesure deux mètres quarante à celui où il ne mesure plus que trois millimètres. En quelques secondes, le maître des ténèbres, le souverain des Sept Terres et des deux mondes, n'est plus qu'un petit insecte à moitié pourri, qui se cramponne au pommeau de l'épée magique, pour ne pas tomber, car sa hauteur est devenue vertigineuse pour lui.
Читать дальше