— Elle revient à elle, constata la voix.
La jeune femme toussa et referma les yeux. Quelque chose lui toucha la tête. Elle rouvrit les paupières. Le visage était toujours là, avec un autre à côté. On lui posa quelque chose sur la bouche et le nez.
Valeria sentit l’air lui emplir les poumons presque malgré elle. Elle respirait. Quelqu’un souleva son bras. La main qui la tenait était chaude, ferme. « Madeline », se dit-elle en reconnaissant enfin le visage aux lèvres qui s’animaient.
— Vous m’entendez ?
Valeria hocha la tête.
— Oh, mon Dieu ! Ma petite, vous nous avez fait une de ces peurs !
On lui retira son masque à oxygène. Madeline Jenkins lui tapota la main.
— Parlez, dites quelque chose.
— Comment suis-je arrivée ici ? fit la jeune femme d’une voix faible.
— Un garde forestier vous a découverte. Heureusement ! Vous vous rendez compte, vous auriez pu passer la nuit là-bas ! Qui sait dans quel état on vous aurait retrouvée, sans soins…
Valeria chercha à se redresser.
— Restez allongée et si vous éprouvez des difficultés à respirer, reprenez le masque, conseilla fermement l’autre personne, un homme.
— Que vous est-il arrivé ? questionna Madeline. D’après le vieux Sheridan, vous étiez exactement là où il vous a déposée. Vous avez eu un malaise ce matin ?
— J’ai fait le tour du loch, mais je n’ai pas trouvé la chapelle.
— Il faut prévenir votre famille, ce n’est pas normal à votre âge de faire ce genre de malaise. Vous aviez l’air en pleine forme en partant.
— Non, supplia Valeria. Je me sens déjà mieux.
Repoussant la main masculine, elle s’assit sur le lit. Sa tête lui parut si lourde qu’elle crut qu’elle allait se décrocher de ses épaules et rouler sur le sol. Elle la saisit à deux mains.
— Je vais vous donner un analgésique, déclara le médecin.
— Ma pauvre petite ! s’exclama de nouveau Mrs Jenkins.
— Ça va aller, la rassura Valeria.
— Vers quelle heure avez-vous perdu connaissance ? demanda le médecin.
— Aucune idée. La dernière fois que j’ai regardé ma montre, il était 3 heures, et j’ai encore marché un bon moment.
— Vous n’êtes pas enceinte ?
— Non.
L’homme posa sa main sur le front de Valeria.
— Pas de fièvre, déclara-t-il, pensif. C’est vraiment très étrange.
Il se tourna vers Madeline.
— Je vous la laisse pour cette nuit. Si demain elle a encore des maux de tête, on l’enverra faire des examens à Glasgow. Au moindre problème, vous savez où me joindre, n’hésitez pas.
— Merci, docteur.
À peine fut-il sorti que Madeline se précipita au chevet de la jeune femme.
— C’est épouvantable ! Quelle histoire ! J’en tremble encore. Quand le garde forestier vous a ramenée en ville, personne ne savait d’où vous veniez, c’est le patron du pub qui vous a reconnue. Ma pauvre enfant, j’espère que ce n’est pas grave.
— Je ne comprends pas. Je n’ai jamais eu ce genre de trouble. Ne pas trouver la chapelle m’a vraiment fait un sacré effet.
— Ce n’est quand même pas à cause de cela que vous vous êtes évanouie ?
— Je ne vois pas d’autre explication.
— Mon Dieu ! J’avais bien vu que cette histoire était importante pour vous, mais je ne pensais pas qu’elle l’était à ce point-là.
— Moi non plus.
— Vous aurez certainement manqué la chapelle. Vous êtes passée à côté sans la voir. Ici, un printemps suffit pour que les granges disparaissent sous la végétation.
— Non, je suis certaine d’avoir bien regardé. Elle n’y était pas.
Valeria avait répondu d’un ton dur.
— Nous verrons cela demain, dit Madeline, apaisante. En attendant, je vais vous faire du bouillon. Il faut vous reposer. Vous savez, vous êtes une célébrité au village maintenant. Tout le monde connaît votre histoire.
Mrs Jenkins retourna à la cuisine faire chauffer un bouillon léger. Elle en versa une louche dans un bol et s’essuya machinalement les mains sur son tablier. Se retournant, elle sursauta et faillit lâcher le récipient : Valeria se tenait debout, appuyée sur le chambranle de la porte.
— Excusez-moi, annonça la jeune femme d’une voix encore faible. Vous allez me prendre pour une folle, mais c’est très important pour moi.
— Qu’y a-t-il ?
— Vous m’avez parlé d’une femme guide qui connaît bien les environs.
— Oui, Mrs Dwight.
— Je voudrais lui parler.
Madeline Jenkins regarda sa montre.
— Eh bien, j’ai peur qu’il ne soit trop tard, l’office du tourisme est fermé.
— S’il vous plaît…
La voix de Valeria se fit implorante.
— J’ignore ce qui m’arrive, continua-t-elle, mais je sais que c’est en rapport avec cette chapelle. Je le sens.
Madeline la dévisagea. Elle était si pâle…
— On va voir ce qu’on peut faire, dit-elle en attrapant son téléphone.
Dès que la cloche tinta, Madeline se précipita vers la porte d’entrée. Elle ouvrit en grand. Une femme plutôt forte à la démarche très volontaire pénétra dans le couloir.
— J’espère que nous ne vous avons pas trop perturbée, Rose, s’excusa Mrs Jenkins. Merci d’être venue si vite.
— Vous m’aviez l’air dans un tel état ! Et puis ce n’est pas grave, pour une fois Roger mettra la table lui-même, ça le changera !
Valeria l’attendait assise à la table de la cuisine, son guide touristique ouvert devant elle.
— Voilà donc la jeune fille à qui l’Écosse fait tant d’effet, s’exclama Mrs Dwight en souriant.
Valeria était confuse et s’excusa pour le dérangement. Elle était néanmoins soulagée de rencontrer celle qui connaissait chaque recoin de la région.
D’un geste aérien, Rose Dwight ôta son manteau et le déposa sur le dossier d’une chaise.
— Nous avons besoin de vos lumières, Rose, fit Madeline. Cette demoiselle veut absolument vous poser des questions sur une chapelle qui se situerait à l’extrémité du loch Chon.
La femme eut l’air surprise.
— Eh bien, dit-elle, ça c’est amusant !
— Pourquoi ? demanda Valeria.
— Parce que pas plus tard que lundi dernier, un jeune homme est venu me poser des questions sur le même sujet.
— Et alors ? fit Madeline.
— Alors, en plus de quinze ans, personne ne m’en a jamais parlé, et soudain, en quelques jours, deux personnes s’y intéressent.
— C’est un Espagnol ? s’enquit Madeline.
— Non, un Hollandais, d’une vingtaine d’années. Il était hébergé chez les MacPherson. Je crois qu’il est toujours dans les parages. Du moins, il y était encore ce midi puisque je l’ai croisé à l’épicerie.
— Il cherchait aussi la chapelle Sainte-Kerin ?
— Tout à fait. La seule construite sur les bords du loch Chon. Elle était d’ailleurs assez jolie.
— « Était » ? interrogea Valeria, anxieuse. Elle n’existe plus ?
— Ça devait être en 1983 ou 84, ils ont agrandi le loch Katrine — un de ceux qui alimentent Glasgow en eau potable. Le loch Chon faisait partie du nouveau dispositif hydrologique. Ils l’ont agrandi aussi, en le remplissant au-delà de son niveau naturel, et la chapelle s’est trouvée submergée…
— Vous voulez dire que la chapelle est engloutie dans le loch ? s’exclama Valeria.
— C’est cela. Lorsqu’ils ont construit les barrages sur les grands lochs, l’eau est montée en cascade dans les plus petits, dont le loch Chon. La chapelle a disparu. À l’époque, une petite chapelle de plus ou de moins, tout le monde s’en fichait.
— La chapelle est donc vraiment là ! s’enthousiasma Valeria.
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