— Oui, j’ai vu, il a des emblèmes nazis, ça à l’air d’être un drôle de zig. Comment tu sais que c’est un ancien de la légion et un facho ? Il pourrait juste avoir ces merdes sur le derme parce qu’il trouve ça beau, il y a des cons dans ce genre-là…
— Parce que, primo , je l’ai déjà vu avec un haut laissant apparaître ses pectoraux. Il a un tatouage avec un crâne sur lequel est écrit Legio Patria Nostra , c’est bien la devise de la légion, non ? J’ai lu ça quelque part.
— Mademoiselle a de la culture, c’est bien. Et secundo ?
— Un jour j’ai entendu la folle-dingue, comme tu l’appelles, discuter avec lui. Ils ne parlaient que de groupuscules d’extrême-droite, de bandes de fachos, de ratonnades. J’ai été surprise, je ne m’attendais pas à ce qu’elle ait ce genre d’idée.
— Oui, en effet, ce n’est pas un tendre ton client… je ne m’étonne pas que personne n’ose lui adresser la parole, ce n’est pas le genre de connard avec qui l’on aime faire la causette.
— Comme tu dis. Et il ne vient pas là pour ça, c’est une bête, c’est impressionnant ce qu’il lève de fonte. Mais il me fait peur.
— Pourquoi ?
— Toujours en train de te regarder comme s’il te scrutait le fond de l’âme, je n’aime pas ce type. Il me fait froid dans le dos.
Si tu savais ma pauvre chérie, tu t’en méfierais encore plus. Ce type est pire que le choléra, la diphtérie et la peste brune réunies. C’est de la chiasse noire, un phlegmon, de l’anthrax, c’est un monstre, une pourriture, un déchet de l’humanité. Un malade auquel je vais coller une ordonnance et une sévère [15] Je me répète et je t’emmerde, Audiard, c’est comme un excellent whisky, on peut en savourer un second.
.
Elle a quand même du bol cette petite de ne pas être tombée entre ses pattes. Remarque, buter une coach, ce serait peut-être trop voyant. Bon je vais lâcher la causerie sur le poney, sinon elle va flairer l’embrouille.
— Tiens dis donc, tu sais que si je suis venu au Beauty-Body c’est parce qu’une de mes amies me l’a conseillé.
— Ah bon ? Qui ça ?
— Martine Rutebeuf, ça te parle ?
— Dis donc, t’as de drôles de fréquentations… Elle tourne des vidéos de cul ta copine. Bien sûr que je la connais, elle est sympa comme tout. Mais sinon tu m’as invitée pour un interrogatoire ? Et toi, tu fais quoi dans la vie ? t’es flic ?
— Ah non, pas du tout, je suis juste curieux, j’aime bavarder. Et puis si je pose tout le temps des questions, c’est pour l’inspiration.
— L’inspiration ?
— Oui, je suis romancier, j’écris des polars, alors tu penses bien que des personnages comme ton légionnaire et ta baronne, ça me fascine. D’ailleurs Martine c’est comme ça que je l’ai rencontrée, je cherchais des renseignements pour un livre un peu cochon.
Tu as vu un peu comme je m’en sors ? Un véritable virtuose de la menteuse le Requiem ! Écrivain, ça m’est venu comme ça, sans même réfléchir. Quand je te dis que je suis un type génial. Me présente pas à ta rombière, elle risque de se barrer avec moi.
La petite, tu verrais ses mirettes s’ouvrir, s’épanouir, elle me prend pour Stephen King ou je ne sais quel cador littéraire, alors autant lui faire plaisir et en profiter.
— C’est la première fois que je rencontre un auteur… je comprends mieux tes questions maintenant.
— Voilà, et ça te dirait d’avoir ton nom dans un livre ? Que tu deviennes une héroïne ?
— Tu ferais ça ?
— Bien sûr, si je te le dis… en contrepartie, continue de me raconter les deux olibrius du club, et même d’autres, c’est de la matière première pour moi.
— Tu veux savoir quoi ?
Eh voilà, je peux remettre le couvert sur la poutre de Bamako, c’est elle qui m’invite, elle est mignonne cette petite Cécile.
— Le légionnaire là, il vient souvent ? J’aimerais le revoir, m’inspirer de ce type, il pourrait faire un vrai méchant dans mon livre…
— Presque tous les jours, un forçat je te dis, il est fou, capable de rester plusieurs heures sur la même machine.
— À part ta dinde du XVIe, il cause à qui ?
— Personne, enfin, si le dirigeant, les collègues et moi. Pas aimable, pas causant, mais poli, on ne peut pas lui reprocher grand-chose. Ah non, il y a son ami aussi, qui vient de temps en temps, un motard.
Là tu penses bien que ça carbure à deux cents à l’heure. À l’étage supérieur, une petite lumière vient de s’allumer. Ça clignote, en lettres rouges je vois grand con s’afficher dans mon cerveau telle une décoration de Noël sur les Champs Élysées. Je viens de faire la jonction : c’est bel et bien au club que Martine a été repérée.
— Un motard ? Tu pourrais me le décrire, je lui trouverais sans aucun problème un rôle dans mon bouquin.
Cécile sourit, elle se prend au jeu, elle devient ma muse, mon égérie. Elle se sent investie d’une mission, alors elle se lâche, elle extrapole, extériorise, la littérature la pénètre.
— Tu as vu Le cave se rebiffe ? Ça te dit quelque chose ?
— Oui, le film de Grangier dialogué par Audiard, une pépite, pourquoi ?
— Un beau brun, grand l’air con…
Je saisis le trait d’humour de la petite, je fais appel à ma mémoire d’éléphant [16] Assortie à la trompe, je ne suis pas le légionnaire, mais j’sais tenir ma place dans les transports amoureux, fais-moi confiance ma chérie.
, là ça me revient derechef, j’y vais de ma tirade.
— Ça court les rues les grands cons !
— Ouais ! Mais celui-là c’est un gabarit exceptionnel ! Si la connerie se mesurait…
Nous partons tous deux d’un fou rire, et comme je ne t’apprends rien en te disant que femme qui rit est à moitié dans ton lit, j’ai plus qu’à mettre l’autre moitié dans mon paddock, et je sens que cela ne saurait tarder.
— Alix, tu es un charmant, ce bon moment se termine malheureusement. J’ai passé une soirée merveilleuse, vraiment.
Je ne réponds rien, lis la suite mon pote et apprends, c’est cadeau. C’est Requiem qui régale.
Je me lève, viens près d’elle, lui tends une main qu’elle saisit sans réfléchir. Mes yeux plongent dans la lagune du bleu de ses iris [17] J’entre en lice pour le Renaudot !
. Nous nous dirigeons vers l’ascenseur, toujours liés par nos doigts entrelacés, légèrement moites de désir. La température monte plus vite que la cabine de l’élévateur. Nous voici l’un contre l’autre, bouche contre bouche, nos langues s’essorent, nos bassins se pressent, elle se frotte contre mon sexe tendu de désir. Toi te connaissant, tu serais déjà parti, ton calbar serait à demi-écrémé, moi non, je sais me tenir !
Je sais prendre mon temps. Enfin nous arrivons devant la carrée, je glisse ma carte magnétique dans la fente, pas celle de Cécile, pervers, celle de la porte ! On se déloque fébrilement, c’est tout juste si elle ne m’arrache pas mes frusques. Rapidos, ce qui nous servait de vêtements il y a encore peu gît au pied du lit. La petite a un corps de rêve, bien ferme. Ah ce petit cul mon pote. Bon j’arrête là, un peu de pudeur, puis surtout j’ai pitié de toi, dont la sexualité se réduit à une peau de chagrin depuis des lustres. Heureusement que tu as les sites pornos pour t’éponger le poireau. Tu te rends compte, moi, un cureton, je baise plus que toi ! Et en plus pas du coït expédié en cinq ou dix minutes, non du marathon orgasmique, le pentathlon des sens, l’odyssée du plaisir, le raid du raide, l’anthologie de la sexologie, L’épornopée du Dard !
Читать дальше