C’est le solvant de nettoyage que j’utilise pour mon Désert Eagle. Ce produit miracle élimine efficacement les résidus de plomb, de carbone, de cuivre et de poudre de n’importe quelle arme, sans aucun dommage pour l’acier, l’alu, le plastique ou la peinture. Ça craint rien. Il peut toujours passer ma tire au tamponnoir, il ne trouvera aucun résidu de tir. Je t’ai déjà dit : prévoir l’imprévisible !
Je lui tends un trousseau de clé en prenant l’air déçu, genre mon pote ne me croit pas.
— 148 rue Piacentini, j’ai un box, elle est planquée là-bas, tu penses bien que si je suis repéré je ne vais pas la garer dans la cour. Pourquoi tu veux voir ma caisse ?
— On va dire que je n’enquête pas sur la mort de Crémier, mais je ne voudrais pas me retrouver dans la merde parce que l’une de mes connaissances trempe dans l’affaire, je préfère vérifier.
— J’adore ta confiance… il reste de la bière au frais, si ça te dit d’en descendre une ou deux quand tu la ramèneras. Je ne suis pas rancunier.
Régis est revenu moins d’une heure après, il n’a pas voulu trinquer. Je lui ai demandé ce qu’il en était, si j’étais en état d’arrestation avec un grand sourire. C’est tout juste si je n’ai pas pris les clés en pleine gueule.
— Elle est trop propre ta bagnole, c’est tout juste si elle ne vient pas d’être passée au polish !
— Une voiture de collection Régis, j’en prends soin, n’oublie pas que Bébel a baqué son cul dedans. Souviens-toi de cette mémorable course poursuite dans Le Marginal . Quand tu sais qu’une bagnole a vécu un tournage pareil, t’en prends soin… et toi tu vas t’imaginer des trucs, je te jure…
Il s’est barré sans rien dire. Je le soupçonne de m’en vouloir un max, de me soupçonner d’être bien plus impliqué que je ne le reconnais dans cette histoire. Ce qui est le cas je te le concède, mais bon, c’est entre toi et moi. Si tu cadenasses ta grande gueule, pour une fois, le poulet n’en saura rien. D’avance je te remercie, fidèle lecteur. Oui, je n’écris que pour toi, tu es l’unique, le précieux. C’est pour toi, et toi seul que mon éditeur a fait imprimer ce livre, tu te rends compte à quel point on prend soin de toi ? Je vais te dire, tu n’es plus un lecteur, mais un ami… Allez viens avec moi, on continue, nous allons venger Martine !
Ce n’est pas le tout de jouer les justiciers vengeurs, mais jamais je n’oublie l’homme de foi que je suis. J’ai quelques obligations liées à ma vocation.
Et je ne sais pas si tu as suivi, peut-être t’ai-je mal expliqué, mais aujourd’hui nous sommes dimanche. Donc pas question aujourd’hui de me rendre à la salle de sport. Direction l’église. Si je loupe la grand-messe, je peux te dire que le Patron va hurler. Picoler, m’envoyer en l’air, jurer, blasphémer, je peux, je me fais rappeler à l’ordre, engueuler. J’ai le Nordet qui s’engouffre dans la sacristie, mais ça passe. Par contre louper la représentation de fin de semaine, quand l’église affiche complet, je n’ai pas le droit, c’est comme qui dirait contractuel.
Donc je vais assurer, mais va falloir la jouer serrée, mes ouailles ne doivent pas me reconnaître. Quand je vois ma gueule ce matin face au miroir, je me rassure, ça devrait le faire… après un brin de toilette.
Je me passe un coup de lame, j’ai le poil hirsute, que cela soit sur le caillou ou les bajoues, je dois soigner la présentation… j’enfile une chemise de lin col Mao, j’ai sorti des frusques dans lesquelles aucun pèlerin de la paroisse ne m’a déjà vu. Je vais jouer le rôle du cénobite à la perfection. Faut dire que je me méfie. Crémier m’a repéré, sa patronne aussi, elle a un point d’avance sur moi, elle sait qui je suis, moi non. Le seul moyen que j’ai de jouer à égalité avec elle, c’est qu’elle se persuade que Lehydeux a pris la fille de l’air.
La messe dominicale est un office différent des autres. En semaine, les paroissiens sont des purs et durs, des croyants de compétition. Pour eux, Dieu, le boss, est un compagnon de chaque jour, la foi est une façon de vivre, ils refusent le péché.
Le septième jour, c’est différent, tu reçois aussi les accompagnants, ceux qui se foutent comme de l’an 40 de ce que je raconte. Ceux qui n’attendent qu’une chose, la fin de l’office pour rejoindre le PMU et miser, en se torchant le museau au Picon blanc, sur un bourrin qui devrait leur apporter la fortune. Tu as également ceux qui sont venus parce que l’église est sur la route de la belle-mère, que le petit dernier fait sa communion en mai, alors avant le gigot, les flageolets et la boutanche de côte de Blaye…
Bref je me retrouve le dimanche avec une assemblée hétéroclite, la moitié qui écoute, chante et prie, et l’autre qui attend que ça se termine plus ou moins sagement. Car nous sommes à l’heure des téléphones mobiles. Et entre les abrutis qui ont oublié de les mettre en veille et qui font sursauter leurs voisins avec le dernier tube merdique du moment et les geeks attardés prépubères et boutonneux qui l’ont comme greffé au bout des pognes et qui ne le quittent pas, j’ai parfois du mal à garder ma sérénité.
Le pire c’est qu’aujourd’hui je ne vais pas pouvoir les humilier en pleine homélie, Requiem n’est pas là, le moine qui le remplace est plus zen, a meilleur caractère, c’est un véritable bon chrétien lui. Fait chier, ça me plaît tellement d’être un personnage bourré de cynisme et sans cœur…
— Mes bien chers frères et sœurs, je suis le père Alix Gimmileo, je suis un moine cénobite. Votre curé, le père Lehydeux est souffrant, il a été hospitalisé, mais tout va bien maintenant pour lui, ne vous inquiétez pas. Je vais le remplacer pendant quelques jours, afin que vous, ses brebis, ne vous égariez pas dans le péché et que vous puissiez profiter de la parole de Dieu. Que le Père tout-puissant soit avec vous…
Les entendre tous répondre en chœur Et avec votre esprit m’en colle une demi-molle. Je les ai quand même bien dressés ces gueux. Je poursuis l’office. C’est au moment de la communion que je sens qu’un truc ne tourne pas vraiment rond. Je tends la rondelle de pain à un client en lui balançant le sempiternel : Le corps du Christ , le gars ne répond pas, mais me fixe l’œil mauvais comme s’il me sondait. Échange de regard, je remarque qu’il porte une perruque. Ce ne sont pas ses tifs, et crois-moi que cela se voit, et pas qu’un peu.
Je change de client tout en cherchant où j’ai pu voir ce gus, je suis sûr de l’avoir déjà croisé. Ces yeux, je les connais.
Le moment de la Communion est pratiquement terminé, quand soudain j’ai une illumination. Alléluia , je sais où j’ai vu ce pékin. Et ce qui m’avait marqué la première fois, ce n’était pas ses prunelles… la poutre de Bamako !
J’ai beau regarder partout, le type s’est évaporé, disparu, volatilisé… je te dis pas à quel point je me réjouis d’avoir changé d’allure. La mort de Crémier doit être éventée, et ma résurrection connue. Je suis devenu personna non grata dans le milieu pédophile, ce qui n’est pas sans me déplaire…
Je donne congé à la populace catholique, qu’elle aille bâfrer en famille, moi-même je commence à avoir une dent creuse à reboucher. Le seul truc qui me turlupine, c’est que j’avais l’un des responsables du meurtre de Martine sous les yeux et je n’ai rien pu faire.
21
Chapitre gloomy Sunday
La faim me tenaillant pourtant l’estomac, je ne suis pas allé déjeuner, j’ai tourné dans le quartier, dans l’espoir de tomber sur la poutre de Bamako. Merde ce type était à ma portée et j’ai pas bougé, impuissant le Requiem. Ça me la met plutôt mauvaise, je cours après ces ordures, j’en ai une qui vient se jeter dans la gueule du loup, et je reste comme un con.
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