Nanteuil
Lorsqu’Annette Doreuil entendit la voiture devant la maison, elle se précipita dans le couloir. Les deux hommes passèrent la porte d’entrée, leur respiration créant de la buée dans le froid, et ils la refermèrent prestement.
Son époux tenait une boîte de médicaments en l’air, elle se sentit soulagée.
Puis il l’écrasa dans son large poing. C’était la vieille, la vide.
« Rien, dit-il. Pour l’heure, plus rien en stock. »
Düsseldorf
Le chauffeur de Hartlandt dirigea la voiture sur un parking à côté d’un grand bâtiment. Quelques places étaient occupées par des groupes électrogènes vrombissant, dont les gaz viciaient l’air. D’épais faisceaux de câbles traversaient une étroite plate-bande en direction du bâtiment.
Ils avaient roulé une demi-heure puis étaient passés devant un panneau qui informa Manzano qu’ils se trouvaient à Düsseldorf. Lorsqu’il descendit, il ressentit le froid piquant. Hartlandt n’avait pas jugé nécessaire de lui passer les menottes.
« Je dois absolument aller aux toilettes, dit-il. Impossible d’attendre davantage. »
Hartlandt le dévisagea rapidement.
« Avant que vous ne fassiez dans votre pantalon… »
Manzano alla vers les générateurs. Hartlandt et son collègue le suivirent. L’Italien se mit à côté des machines, lança un coup d’œil à ses deux accompagnateurs, leur signifiant qu’il souhaitait qu’on ne le regarde pas, et il déboutonna son pantalon. Les deux fonctionnaires ignorèrent son souhait et restèrent juste derrière lui. Il lui était possible d’entendre leur respiration tandis qu’il regardait à la dérobée les appareils et les faisceaux de câbles. Rien à faire. Soudain, il se retourna et dirigea le jet d’urine sur les fonctionnaires.
« Putain… ! »
L’homme fit un bond en arrière. Manzano continua en direction de Hartlandt. Il fit également quelques pas en arrière, et, à l’instar de son collègue, regarda son pantalon. Manzano saisit l’occasion et partit en courant.
Les jambes à son cou, il traversa le parking, tout en se rebraguettant hâtivement. Derrière lui, les deux policiers criaient.
« Stop ! Arrêtez-le ! »
Il n’y prêta pas attention. Il était un joggeur régulier. Quant à savoir s’il pourrait se faire la belle face à des policiers entraînés, il serait vite fixé. Le sang palpitait si fort dans ses oreilles qu’il ne pouvait entendre les cris de ses poursuivants. Il devait quitter la route. L’un des fonctionnaires tenterait sans nul doute de le rattraper en voiture. Ses pieds ne semblaient qu’à peine toucher le sol. Son regard fébrile cherchait un endroit où bifurquer.
Quelqu’un cria de nouveau, il ne comprit pas. Il emprunta une perpendiculaire. Il réalisa sur-le-champ que là aussi ses chances étaient limitées. Il lui fallait prendre la prochaine rue. Derrière lui, les bruits d’une foulée rapide. Y avait-il un ou deux poursuivants ? Impossible à dire. Il essayait de ralentir son rythme cardiaque en respirant plus profondément. De la sueur coulait sur son front. Voici que grondait maintenant le bruit d’un moteur de voiture. Devant lui, un jardin clos par une barrière de la hauteur d’un homme et une haie. Encore quelques enjambées, il escalada la clôture et passa de l’autre côté. Derrière lui, des jurons, des crissements de pneu. Manzano courait vers la maison, une grande villa. Les fenêtres étaient sombres. Il la contourna, le jardin, là aussi, était délimité par une barrière et une haie. Manzano ne voyait pas ce qui l’attendait de l’autre côté. D’un bond, il parvint à saisir l’extrémité supérieure de la barrière, passa dessus, se laissa glisser de l’autre côté. Une fois sur le trottoir il reprit sa course éperdue. Il était conscient qu’il ne pourrait pas tenir ce rythme pendant longtemps encore.
De nouveau, il entendit quelqu’un crier. Il ne les avait pas distancés. Au contraire, la voix semblait très proche, même si Manzano ne parvenait pas à saisir ce qu’elle disait. Une détonation retentit. Il courut plus vite encore, descendant la ruelle. Devant, un autre croisement. Puis une autre détonation. Il ressentit immédiatement une douleur sourde dans sa cuisse droite. Il trébucha, continua plus lentement. Soudain, on l’attrapa par-derrière et on le plaqua sur le sol. Avant même qu’il puisse se défendre, on lui avait fait une clef de bras énergique. Un objet contondant s’enfonçait dans son dos. Il entendit un cliquetis métallique, puis il sentit les menottes froides se refermer autour de ses poignets.
« Espèce d’idiot, suffoqua l’homme à bout de souffle, je croyais que vous étiez raisonnable. »
Manzano sentit des mains sur sa jambe.
« Laissez-moi voir ça. »
Ce n’est qu’alors qu’il éprouva de la douleur. Sa cuisse droite brûlait comme si on y enfonçait un fer rouge.
Berlin
« Il n’y a pas le plus faible indice », concéda le général de l’OTAN. Chacun des dix moniteurs dans la salle de réunion du centre de crise était divisé en quatre fenêtres : dans chacune, un visage. Il s’agissait des représentants de la plupart des chefs de gouvernement de l’Union européenne, ou de leurs ministres des Affaires étrangères, de six généraux de l’OTAN, depuis le quartier général de Bruxelles, et du président des États-Unis. Très certainement, devaient se trouver à leurs côtés la moitié de l’état-major et les officiels de la cellule de crise, comme c’était le cas à Berlin, songeait Michelsen.
« Cependant, l’ampleur de l’attaque, ainsi que les ressources qu’elle nécessite, indique clairement qu’un État est derrière tout ça, observa le général.
— Et qui se trouve en mesure de commettre un tel acte ? demanda le président américain.
— D’après nos évaluations, trois dizaines d’États ont développé au cours des années passées des capacités de cyber-attaques. On compte parmi eux nombre des pays touchés actuellement par le black-out : la France, la Grande-Bretagne, d’autres pays européens et les États-Unis. On ajoute à ces États Israël et le Japon.
— Qui soupçonne-t-on ?
— D’après nos informations, la Russie, la Chine, la Corée du Nord, l’Iran, le Pakistan, l’Inde et l’Afrique du Sud pourraient avoir de telles capacités.
— Je dirais que l’Inde et l’Afrique du Sud sont nos alliées, souligna le Premier ministre britannique.
— Diplomatiquement, de nombreux pays ont proposé leur aide aux pays touchés, y compris les États-Unis. Soit la quasi-totalité des États cités, exception faite de la Corée du Nord et de l’Iran.
— Tant que nous n’avons pas d’éléments plus précis concernant les commanditaires, nous devons nous concentrer sur la situation des populations, dit le chancelier allemand. L’attaque contre les États-Unis exige que nous coordonnions de nouveau l’aide internationale. Toute l’aide mobilisée par les États-Unis pour l’Europe sera dorénavant utilisée là-bas.
— Il convient alors de savoir ce que nous faisons des autres propositions d’aide, s’immisça le président du Conseil italien. Allons-nous accepter l’aide russe ou chinoise tant que nous ne sommes pas certains que ces États n’ont rien à voir avec ces attaques ? Ils pourraient envoyer d’autres saboteurs parmi leur personnel. »
Est-il paranoïaque, se demanda Michelsen, ou alors est-ce moi qui ne comprends rien aux guerres modernes ? Nous devons accepter toute aide, d’où qu’elle vienne.
Le ministre de la Défense, également vice-chancelier, appuya sur le bouton désactivant le micro, afin que les autres participants à la visioconférence ne puissent l’entendre.
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