— Tout à fait, acquiesça Dienhof. Bien sûr, les centrales, après avoir reçu notre système, continuent à entendre parler de nous. Ces produits sont prodigieusement complexes et sont constamment améliorés. Ça signifie que les entreprises reçoivent en permanence de nouvelles mises à jour de leurs logiciels ou de parties d’entre eux. Nous avons un groupe, particulièrement intéressant pour notre affaire, de collaborateurs qui ont un accès direct aux logiciels des producteurs d’énergie. Naturellement, ces collaborateurs, de même que les procédures de mises à jour, sont soumis à des règles strictes de sécurité : une règle de sécurité générale au sein de notre entreprise et la séparation rigoureuse des différentes unités comme le développement, le test et le conseil aux clients. Celui qui développe des softwares ne peut également les tester, ni faire partie de ceux qui les installent chez les clients. Pour qu’un bug apparaisse en bout de chaîne, il doit être si génialement programmé que ni ceux qui testent, ni leurs outils ne le décèlent. Ou alors nous avons une erreur au niveau des autorisations d’accès aux archives de nos codes sources.
— Qu’est-ce que ça signifie ? demanda Hartlandt.
— Que seules certaines personnes peuvent modifier les codes sources. Chacune de ces modifications doit être contrôlée et approuvée par d’autres.
— Alors s’il y avait une erreur dans ce système…
— … un développeur pourrait soustraire un code logiciel aux contrôleurs. Mais c’est exclu. »
Ça en fait, des conditionnels, songea Hartlandt. Ce bon Dienhof ne pouvait se faire à l’idée que leur entreprise soit en partie responsable de ce désastre.
« Bien, concéda-t-il tout de même. Mais à supposer qu’il y ait eu plusieurs personnes impliquées ?
— Non, je pense que nous recherchons une seule et même personne, quelqu’un en mesure de modifier des éléments pouvant être utilisées par tous les programmeurs. D’après nos recherches dans les données d’accès à l’archive des codes source, il ne peut s’agir que de trois personnes. La première, c’est Hermann Dragenau, notre responsable de l’architecture système. En plus de ses activités de design de programmes, il peut également accéder aux bibliothèques standard. »
Hartlandt se souvenait de ce nom. Lorsqu’il était sur la trace des collaborateurs manquants, il l’avait également recherché.
« Il est en vacances à Bali, fit-il remarquer.
— Nous le savons également. Le deuxième, c’est Bernd Wallis. Il est parti skier en Suisse, nous n’avons pas pu le joindre. Le troisième, c’est Alfred Tornau. Il figurait sur la liste des personnes qui ne pouvaient plus venir au travail. Nous n’avons pu le trouver chez lui, ni nulle part ailleurs, si j’ai bien compris.
— Lui et d’autres, nous les recherchons encore, répondit Hartlandt. Donc, si j’ai bien compris : nous avons trois personnes potentiellement impliquées, la première se fait dorer la pilule à Bali, l’autre respire le bon air en Suisse, et la troisième a disparu. Super nouvelles ! »
La Haye
Bollard planta une punaise supplémentaire sur la carte de l’Europe. À la suite de l’appel des Allemands de ce matin, il avait transmis les informations à tous les officiers de liaison disponibles afin qu’ils se renseignent dans les pays où ils œuvraient. Avant midi étaient arrivées des nouvelles d’Espagne, de France, des Pays-Bas, d’Italie et de Pologne. En Espagne, on avait recensé un incendie dans un poste de couplage, et deux pylônes détruits à l’explosif, en France quatre pylônes étaient à terre, deux aux Pays-Bas, en Italie et en Pologne. Tous ces pays affirmaient par ailleurs que ces informations étaient très probablement incomplètes, dans la mesure où ils ne disposaient pas de suffisamment d’équipes pour tout contrôler. Pour chaque acte de sabotage, une nouvelle punaise sur la carte.
« De nouvelles données nous sont parvenues d’Allemagne, dit Bollard. Elles font passer pour erronée la “théorie des routes” de Berlin. Le caractère criminel de l’incendie de Lübeck a été infirmé, mais nous en avons un au sud de la Bavière. De même que les pylônes du nord seraient apparemment tombés à la suite de causes naturelles. Mais nous avons un pylône à terre à l’est de la Saxe-Anhalt.
— Ne devons-nous pas accepter que quelqu’un parcoure l’Europe et mette hors service des installations électriques ?
— Il faudrait qu’il s’agisse d’un groupe important », répondit Bollard.
La sonnerie de son radiotéléphone interrompit leurs réflexions.
« C’est pour vous », fit le collaborateur qui avait décroché en tendant le combiné à Bollard.
À l’autre bout du fil, Hartlandt. « J’essaye de vous joindre depuis une heure. »
D’abord, le fonctionnaire ne voulut pas croire un mot de ce que lui annonçait le policier ; la tentative d’évasion de l’Italien, sa blessure par balle, et son hospitalisation dans un hôpital de Düsseldorf. Hartlandt décrivit à quel point Manzano s’était défendu avec rage d’avoir écrit et envoyé les mails l’accablant, prétendant que l’auteur ne pouvait être que quelqu’un s’étant introduit dans son ordinateur. À peine avaient-ils fini la discussion qu’il bondit, nerveux.
« Je reviens tout de suite », dit-il à ses collègues. Pour rejoindre le département de l’IT, il devait descendre deux étages. De nombreux bureaux y étaient également vides.
Le directeur se trouvait dans son bureau, derrière lui, un collaborateur, tous deux fixant les quatre écrans devant eux.
« Vous avez deux minutes ? » demanda Bollard.
Le directeur, un Belge avenant, travaillait depuis de nombreuses années pour Europol.
« Je préférerais vous en parler dans le couloir », dit Bollard désignant discrètement la personne derrière lui.
Le Belge lui jeta alors un regard peu amène, mais Bollard se tenait déjà à la porte, lui faisant comprendre qu’il ne bougerait pas avant qu’il ne le rejoigne. Le directeur se leva volontairement lentement pour rejoindre son collaborateur.
« Qu’y a-t-il de si important ? »
Bollard le tira encore un peu à l’écart et lui parla de Manzano en quelques mots, des mails et des dénégations de l’Italien.
« Ridicule ! conclut le Belge.
— Ces gens ont réduit à néant les réseaux électriques des deux plus grandes puissances économiques de la planète. Comment pouvez-vous exclure qu’il n’y a pas également des taupes chez nous ?
— Parce que nos systèmes sont ultra-sécurisés !
— Les autres l’étaient aussi. Écoutez, nous sommes entre nous. Nous savons tous les deux qu’il n’y a aucun système absolument sûr. Et je sais aussi qu’il y a déjà eu des tentatives réussies de s’introduire dans nos systèmes…
— Mais seulement dans des domaines périphériques !
— Voulez-vous êtes tenu pour responsable si un jour on apprend qu’il n’en était pas ainsi ? » Bollard fixa l’homme, lui laissant le temps de réfléchir, mais non de répondre. « Admettons seulement, poursuivit-il, que quelqu’un nous observe et nous manipule en passant par nos propres systèmes ; remarquerait-il que vous commenciez à faire des recherches plus précises ?
— Ça dépend de la manière de le faire, grommela le Belge. Mais je n’ai aucun personnel pour effectuer ça. La moitié de mes équipes a disparu. L’autre moitié est au bord de la crise.
— Comme nous tous. Et nous sommes dos au mur. »
Düsseldorf
Manzano fut tiré de son sommeil par une douleur fulgurante à la cuisse. Il ignorait combien de temps il avait dormi et, pendant quelques secondes, où il se trouvait. Mais la douleur lui fit se remémorer rapidement les événements.
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