Du coin des yeux, en larmes, l’Italien vit le médecin brandir la pince devant son visage. Au bout, un objet ensanglanté.
« Nous l’avons ! »
Il jeta le projectile dans une poubelle à proximité.
« Maintenant, je dois recoudre. Ça fait moins mal. »
Comment pourrais-je avoir plus mal ? songea Manzano, tout en étant de nouveau submergé par des sueurs froides. Il faut que je respire, se souvint-il — puis le trou noir.
Paris
Laplante braquait la caméra en direction de James Turner, posté devant un hall industriel. Il jurait contre Shannon qui l’avait laissé avec ce type. Derrière le journaliste, on voyait des silhouettes seules ou de petits groupes de personnes qui poussaient de grands paquets à travers une imposante porte ouvrant sur l’obscurité.
« Je me trouve devant les entrepôts centraux d’une grande chaîne de magasins d’alimentation au sud de Paris. Depuis cette nuit, les portes en ont été fracturées et les gens prennent ce qui s’y trouve. »
Laplante suivit Turner, qui partit en direction d’un groupe de pilleurs et se plaça en travers de leur chemin. Leurs bras étaient chargés de sacs en plastique dont le cadreur ne pouvait identifier le contenu.
« Qu’est-ce que vous avez pris ? interrogea Turner.
— Fous-moi le camp », rétorqua l’un des hommes, puis il tourna les talons.
Le journaliste se ressaisit et fit bonne figure.
« Comme nous pouvons le constater, ces gens sont extrêmement nerveux. Au sixième jour du black-out, la population parisienne manque de tout. En outre, le fait qu’un nuage radioactif en provenance de Saint-Laurent pourrait atteindre la métropole a encore dégradé l’ambiance qui règne dans la ville. »
Turner sortit l’appareil qu’il portait à la ceinture de son manteau depuis son reportage à Saint-Laurent.
« Voici l’indispensable appareil de mesure, annonça-t-il, la mine grave. Grâce à ce dosimètre, je peux évaluer la dose précise de radiations. »
Il brandit l’appareil en l’air.
« Il s’agit d’un appareil digital portatif, et non de ces appareils émettant une tonalité que l’on voit dans les films. Par ailleurs, ils sont ainsi réglés que lorsqu’est atteint un seuil critique ou dangereux, ils produisent un signal d’alarme… »
Un bip retentissant interrompit la prestation de Turner. Décontenancé, il regarda vers le boîtier, avant de réaliser qu’il lui fallait le ramener à portée de vue pour en lire les informations.
Laplante zooma sur son visage où se reflétait le trouble, puis l’incrédulité et enfin l’effroi.
« C’est… »
De nouveau, il brandit l’appareil en l’air, d’un côté, de l’autre, il fit quelques pas. Le cadreur suivait ses mouvements. En arrière-plan, les pilleurs continuaient leur ouvrage.
Turner plaça le dosimètre devant l’objectif.
« 0,2 microsieverts par heure, annonça-t-il. Le double de la dose tolérée ! Le nuage a atteint Paris ! »
Düsseldorf
« Réveillez-vous, nous sommes prêts. »
Manzano mit un moment à recouvrer ses esprits. Allongé sur le dos, il ressentait une vive douleur dans la cuisse. Au-dessus de lui se penchaient trois silhouettes. Puis tout lui revint.
« Vous avez eu une sacrée veine, fit le médecin. Ainsi vous n’avez rien senti lorsque j’ai recousu la plaie.
— Combien… combien de temps j’ai été… ?
— Deux minutes. Maintenant, vous allez rester ici quelques heures en observation. Puis tout le monde devra quitter les lieux.
— Pourquoi ? » demanda Hartlandt.
Le médecin mit Manzano en position assise en le tirant par le bras. Puis il expliqua : « Depuis avant-hier nos générateurs fonctionnent sur leurs réserves. » Assisté de Hartlandt, il installa Manzano dans le fauteuil roulant. « Nous n’avons plus de diesel, poursuivit-il tandis qu’ils quittaient la salle d’opérations. Il n’y en a pas assez pour tous les hôpitaux et les cliniques de Düsseldorf. Nous devons maintenant voir comment faire sortir nos patients. Ce soir, nous n’aurons plus de lumière.
— Ne devrions-nous pas dès maintenant le transporter ailleurs ?
— Il doit se reposer quelques heures. Et puis vous ne trouverez aucune place libre dans le peu de cliniques qui fonctionnent encore. Ils ont besoin des lits et du personnel pour les cas plus lourds.
— On m’a tiré dessus, gémit faiblement Manzano.
— C’était une blessure bénigne. Croyez-moi, si vous saviez quelles opérations j’ai fait sans narcoleptiques au cours des dernières heures… Malheureusement, je ne peux vous donner d’antidouleurs. Il n’y en a plus depuis longtemps. Ce sera douloureux dans les prochains jours. » Il lui mit dans la main deux paquets. « Voici au moins des antibiotiques. En cas d’infection, ça peut être précieux. Mais le mieux c’est que vous dormiez un peu. »
Sans même saluer, il tourna les talons et les laissa sur place.
« Bon…, dit Hartlandt à son collègue. Trouve-lui un lit. J’en aurais bien besoin aussi. Mais je ne peux me le permettre. Je retourne chez Talaefer. Je reviens plus tard ou j’envoie une voiture. »
Sur ces mots, il partit dans le couloir.
Manzano le regarda jusqu’à ce qu’il disparaisse.
« C’est quoi votre nom ? demanda Manzano à son gardien. Puisque nous devons passer ensemble les prochaines heures…
— Helmut Pohlen, répondit-il.
— Bien, alors Helmut Pohlen, cherchons-moi un lit. »
Shannon attendit quelques minutes. Comme ni Manzano ni le policier n’apparaissaient à la porte, elle s’en approcha. Elle frappa doucement et ouvrit sans même attendre qu’on la prie d’entrer. La chambre était si petite que le lit sur lequel était allongé l’Italien la remplissait tout entière. Il semblait dormir. Pohlen fit un bond à l’entrée de la journaliste. Mais elle en avait vu suffisamment : dans la pièce, ni fenêtre ni autre porte.
« Sorry », murmura-t-elle avant de ressortir.
Elle parcourut quelques mètres dans le couloir, à la recherche d’un endroit d’où elle pourrait observer la porte de la chambre de l’Italien, sans être vue elle-même au premier coup d’œil.
Qu’avait-il donc commis pour qu’ils lui tirent dessus ?
Bon Dieu ! Quelle odeur ici !
Ratingen
Dienhof se tenait devant une grande feuille sur laquelle étaient représentés quelques diagrammes. Des pictogrammes de bâtiments reliés par des lignes. Il n’y avait avec lui que Wickley, les collègues de Hartlandt, un membre de la direction responsable des questions de sécurité, le directeur de la sécurité et la directrice des ressources humaines de l’entreprise.
« Nous sommes partis de l’hypothèse la plus pessimiste, commença Dienhof. À savoir que nos produits pourraient être responsables des problèmes dans les centrales. Ces produits sont conçus à partir de modules de base, que nous avons pour partie développés nous-mêmes, mais également à partir de modules standard, des protocoles, comme ceux fréquemment utilisés de nos jours pour Internet. » Dienhof, pendant son exposé, montrait des dessins sur la feuille. « Sur cette base, nous développons pour chacun de nos clients des produits sur mesure. Cela signifie que nous devons d’abord chercher une possible erreur, ou une manipulation, dans les modules de base communs à nombre de centrales.
— Mais ça pourrait être aussi ailleurs, interrompit un des hommes de Hartlandt.
— En théorie, oui, dans la pratique, non. Nous devons nous demander qui les développe, autrement dit qui, chez nous, a accès en lecture et écriture à ces modules de base.
— Accès en lecture et écriture, l’interrompit l’inspecteur. Cela signifie-t-il qu’eux seuls peuvent modifier les modules de base ?
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