— Une fois de plus : je n’en sais rien. »
L’un des accompagnateurs de l’inspecteur prit la sacoche de Manzano avant qu’il puisse l’en empêcher. L’Italien bondit. Le second fonctionnaire le rassit sur sa chaise.
« Qu’est-ce que ça veut dire ? protesta Manzano. Je pensais que je devais vous aider !
— C’est ce que nous pensions aussi, rétorqua Hartlandt en sortant l’ordinateur de son étui et en l’allumant.
— Dans ce cas, je préfère m’en aller, dit Manzano.
— Pas question », répondit Hartlandt sans cesser de fixer l’écran.
Manzano essaya de se lever, mais, à chaque nouvelle tentative, on le rasseyait sans ménagement.
« Restez assis, s’il vous plaît, lui intima l’inspecteur en tournant l’ordinateur vers Manzano. Alors, vous n’avez pas envoyé de mail à mata@radna.ru? »
Manzano découvrit le mail envoyé depuis son adresse à celle mentionnée par le policier.
Talaefer. Chercher un bug. Trouveront rien. Je te tiens au jus.
Il le lut une seconde fois. Sans voix, il regarda Hartlandt. Il lui fallut de nouveau regarder l’écran. Enfin il prononça quelques mots. « Je n’ai ni écrit ni envoyé ça. »
Hartlandt se gratta la tête. « C’est pourtant bien votre ordinateur ? »
Il acquiesça. Ses pensées fusaient. Il vit la date d’envoi du mail. Pendant qu’il était à La Haye. Il croisa les bras sur sa poitrine. « Je n’ai jamais écrit ça. Je n’ai aucune idée de qui l’a fait. Examinez ma machine. Peut-être a-t-elle été manipulée. Je le ferais bien moi-même. Mais je crains que vous ne m’y autorisiez pas.
— Vous avez raison. Nous le ferons nous-mêmes. » Il passa l’ordinateur à l’un des hommes, qui quitta la pièce. Pendant ce temps-là, nous pourrons continuer à nous entretenir à propos de votre contact.
— Il n’y a rien à en dire, répondit Manzano. Je ne connais ni ce mail ni cette adresse. Je n’ai donc rien à dire. »
Sur son propre ordinateur, le fonctionnaire ouvrit un fichier : « Vous êtes Piero Manzano, un brillant hacker, tout du moins dans les années 1980–1990, activiste politique également, vous avez été arrêté brièvement lors du G8 à Gênes en 2001.
— Bien, bien. Inutile de me raconter ma vie. Je sais encore ce que j’ai fait…
— Quelqu’un est en train de s’en prendre à l’Europe et aux États-Unis ! Et avec ce mail, on pourrait…
— Un instant ! Pourquoi les États-Unis ?
— … croire que vous êtes en contact avec ce quelqu’un. »
Ils le soupçonnaient, lui, Piero Manzano, de faire partie des responsables de la catastrophe ! Ce Hartlandt venait de lui reprocher d’être un cyber-activiste politique. Ils croyaient qu’il était un terroriste !
« C’est… c’est… absurde.
— Nous verrons bien, répondit l’inspecteur, une ride profonde entre les sourcils.
— Oui… Et que s’est-il passé aux États-Unis ?
— Vous n’avez pas écouté la radio pendant le trajet ?
— Plus aucune station ne semble émettre.
— Aux États-Unis, depuis ce matin, ça a l’air d’être comme chez nous. De vastes parties du pays sont sans courant.
— Ce… ce n’est pas sérieux ?
— Croyez-moi. Je ne suis pas d’humeur à faire des blagues. Vous feriez mieux de vous expliquer avant que la CIA ne s’intéresse à vous. »
Shannon prit sa doudoune sur l’étroite banquette arrière de la Porsche et la passa. Il faisait froid dans la voiture. Voilà une heure qu’elle attendait sur le parking devant l’immense immeuble de bureaux Talaefer. En temps normal, elle se serait renseignée sur l’entreprise avec son téléphone portable. Mais plus rien n’était normal. Sans même la radio, son attente était ennuyeuse et silencieuse.
Elle descendit et traversa le parking. Il y a encore quelques voitures ici, se dit-elle. Peut-être ont-ils du courant.
Dans le hall d’accueil, une employée seule la salua, les sourcils froncés.
« Que puis-je faire pour vous ? »
Discrètement, Shannon regarda autour d’elle. Sur le comptoir, devant la préposée, un présentoir avec des brochures sur lesquelles ressortait le nom de l’entreprise. Version allemande. Anglaise. Excellent.
« Do you speak english ? demanda-t-elle.
— Yes .
— I think I’m lost. I need to go to Ratingen . »
La mine de son interlocutrice s’éclaira. Dans un anglais maladroit, elle expliqua à Shannon qu’il lui fallait prendre à droite sur la route qui partait du parking et qu’elle atteindrait Ratingen au bout d’un kilomètre.
Shannon la remercia, parcourant en même temps une des brochures avant de la mettre dans sa poche.
« Bye . »
De retour dans sa voiture, elle s’emmitoufla davantage encore dans son manteau et commença à étudier le prospectus, ne cessant de jeter des coups d’œil en direction de l’entrée où Manzano avait disparu.
Nanteuil
« Vide, dit Bertrand Doreuil en secouant la boîte de médicaments. Il m’en faut d’autres sans plus tarder.
— Mais nous n’avons pas le droit de sortir, rétorqua sa femme.
— Je vais directement de la maison à la voiture. Que peut-il m’arriver ? »
Il alla dans la cuisine, suivi par Annette Doreuil. Céleste Bollard, assise à la table, plumait une poule. Elle mettait les plumes dans une grande corbeille, et, malgré tout, nombreuses étaient celles qui jonchaient le sol.
« Je n’ai plus fait ça depuis des années, soupirait-elle. J’avais complètement oublié à quel point c’était pénible. »
Vincent Bollard, ahanant, entra par la porte opposée, un panier rempli de bûches au bout de chaque bras. Il les posa bruyamment.
« Savez-vous où je peux trouver la pharmacie la plus proche ? s’enquit Bertrand Doreuil.
— On peut essayer d’y aller, répondit Vincent Bollard. C’est urgent ?
— Oui, mes médicaments pour le cœur. »
Bollard se contenta d’acquiescer.
Son épouse échangea un regard avec Annette Doreuil.
« Normalement, nous ne devons pas sortir, gémit Bollard, le souffle court. Mais lorsqu’il faut, il faut. Il embrassa sa femme sur la joue. Nous serons bientôt de retour. »
Ratingen
Deux heures durant, Hartlandt avait cuisiné Manzano.
« Qu’est-ce que ça veut dire “trouveront rien” ? Y aurait-il quelque chose à trouver et que vous empêcheriez qu’on trouve ? Ou est-ce qu’il n’y a rien à trouver ? Est-ce que vous croyez pouvoir entrer dans les systèmes pour pouvoir les manipuler ? Qui voulez-vous tenir “au jus” ? À qui avez-vous déjà tout raconté ? »
Des questions à n’en plus finir. Manzano n’y avait répondu que par d’autres questions.
« Serais-je assez stupide pour envoyer un tel message sans le coder ? Et pourquoi n’aurais-je pas effacé toutes les traces sitôt après l’envoi ? »
La porte s’ouvrit et le second collaborateur de Hartlandt entra. Manzano s’aperçut qu’il portait son portable. « Nous avons découvert d’autres mails dans lesquels vous communiquez vos différentes adresses à La Haye.
— C’est ridicule, s’écria Manzano. Qu’est-ce qu’il va se passer ?
— Vous êtes un vrai crack en informatique, fit Hartlandt en se levant. Monsieur Manzano, vous êtes en état d’arrestation. Nous vous plaçons en détention préventive. Nous continuerons à vous interroger. Les services de renseignement s’intéressent également à vous. »
Là où se trouvait le BND, la CIA n’était pas loin, d’autant plus après l’attaque contre les États-Unis. À la pensée des méthodes employées par les services de renseignement américains, bénéficiant du blanc-seing de leur administration, Manzano fut saisi par la peur, à s’en trouver mal.
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