« L’équipe à la tête du projet SCADA comprend sept personnes, dont deux sont présentes aujourd’hui. Elle est assistée par cent vingt salariés en tout. Monsieur Dienhof vous donnera tous les détails à ce sujet. »
L’homme en question, grand et mince, avec une couronne de cheveux et une barbe, prit une feuille de papier, la lut puis dit : « Trois de nos managers sont en vacances, nous ne sommes pas parvenus à les joindre. Deux autres habitent à Düsseldorf, et ils ont dû se retirer dans un hébergement d’urgence. Et nous ne savons pas encore dans lequel. Peut-être pourriez-vous nous aider à les retrouver. Vous pouvez certainement entrer plus facilement en contact avec les autorités, fit-il en se tournant vers Hartlandt.
— Je m’en charge, acquiesça ce dernier.
— Quant au reste de l’équipe, nous n’avons pu jusqu’à présent joindre que dix collaborateurs. Nous n’avons pas contacté les autres, puisque nous n’avons ni assez de personnel ni assez de véhicules avec de l’essence, ou bien parce que nous ne les avons pas trouvés chez eux. »
Il posa la feuille.
« Donnez-nous une liste avec les noms et les adresses, demanda Hartlandt. Nous allons essayer de mettre la main dessus. »
Dienhof approuva. « Concernant les systèmes SCADA, nous n’avons pu commencer les analyses que ce matin. Certes, les systèmes reposent sur certains modules communs de base, mais ils sont adaptés individuellement pour chaque client. Bien sûr, nous examinerons d’abord ces éléments communs. Si nos systèmes avaient une part de responsabilité dans les problèmes actuels, alors il faudrait en rechercher la cause le plus rapidement possible, puisque nombreuses sont les centrales touchées.
— Bien, fit Hartlandt. Continuez à travailler. On va essayer de retrouver et de ramener le plus grand nombre possible de vos employés. »
Le palais des congrès était un bâtiment moderne, fonctionnel, affichant, au-dessus de l’entrée, en grandes lettres blanches « DumeklemmerHalle ».
Devant, il y avait des groupes de gens qui discutaient ou fumaient. Hartlandt entra dans le vaste vestibule. À l’endroit même où d’habitude on vendait des billets d’entrée, où les spectateurs se donnaient rendez-vous avant le début d’une représentation, dégustant pop-corns et sodas, se trouvaient des gens habillés pour l’hiver, bien que la température soit plus clémente qu’à l’extérieur. Par les portes grandes ouvertes, Hartlandt pouvait voir ce qui se passait à l’intérieur. L’espace d’un instant, il eut l’impression d’avoir voyagé dans le temps, en 1997, lorsqu’il avait été cantonné à cet endroit, lors de son service militaire, des semaines durant, au cours de la grande crue de l’Oder.
On avait accroché des panneaux sur ceux annonçant habituellement les prix du billet d’entrée, des boissons et des en-cas. Dans une police noire épurée sur fond blanc, on lisait : Enregistrement. Croix-Rouge. Bénévoles. Retrait de matériel. Et les indications conduisant aux toilettes, aux salles de douches et aux distributions d’alimentation, qui se trouvaient dans d’autres salles. Sur l’un des longs murs, il y avait un nombre infini de papiers et de photos, une sorte de tableau de recherches, songea l’inspecteur.
Il se rendit à l’enregistrement. Une femme corpulente d’un certain âge le salua de mauvaise grâce. Il se présenta et lui tendit une liste de trente-sept noms.
« L’un d’entre eux se trouve-t-il chez vous ? »
La préposée se tourna sans un mot en direction d’une armoire de la hauteur d’un homme, comprenant de nombreux tiroirs, et ouvrit l’un d’entre eux. Elle commença à chercher dans le registre, tout en jetant de fréquents coups d’œil à la liste de Hartlandt et en prenant des notes sur un morceau de papier.
Il observait les gens dans la salle. Ils n’avaient l’air ni énervés ni soucieux. Pour un peu, on aurait dit qu’ils attendaient le début d’une manifestation. Leurs conversations se fondaient en un brouhaha informe qui emplissait les lieux.
« Il y en a onze ici », fit la dame.
La salle n’était qu’un immense champ jonché de lits simples, en rangs, entre certains desquels pendaient des bouts de tissus destinés à délimiter des espaces individuels. L’air était vicié, ça sentait le renfermé, les habits mouillés, la sueur, sans compter les relents d’urine. Les gens se tenaient assis ou allongés sur leurs couches. D’autres causaient, lisaient, regardaient dans le vide, dormaient.
Hartlandt jeta un coup d’œil sur le plan de l’endroit et sur sa liste, puis se rendit au premier endroit indiqué.
Chez Talaefer, on avait démonté les cloisons mobiles entre les salles de réunion du rez-de-chaussée et créé ainsi une seule grande salle. Sur deux longues rangées de tables, il y avait cent vingt ordinateurs portables dos à dos. Deux bons tiers des postes de travail étaient occupés, majoritairement par des hommes. Beaucoup d’entre eux ne s’étaient pas rasés depuis plusieurs jours. Ni même douchés. Ils le feraient plus tard. L’équipe de Hartlandt avait deux douches provisoires avec des réserves d’eau que chacun pouvait utiliser quand bon lui semblait.
« Nous en avons quatre-vingt-trois sur cent dix-neuf, annonça Hartlandt. Trente sont en congés. Six restent introuvables. Parmi les cadres supérieurs, tous sont là, hormis Dragenau, Kowalski et Wallis. D’après les collègues, Dragenau est en vacances à Bali, Kowalski au Kenya, et Wallis fait du ski en Suisse. Nous n’avons pu entrer en contact avec aucun d’entre eux.
— Nous sommes déjà bien nombreux, fit Dienhof. Malgré tout, ça va durer une éternité, puisque nous devons également rechercher parmi les modifications des années passées. Si nous avons réellement un saboteur parmi nous, il n’a pas pu effectuer tout cela de nuit. Par ailleurs, nous devons tout faire vérifier par au moins deux personnes.
— Et pourquoi donc ? demanda Wickley.
— Si un saboteur passe en revue sa propre manipulation, il ne nous dira rien, répondit Hartlandt. C’est pour ça que nous appliquons un principe de précaution à deux niveaux.
— Toute la difficulté, observa Dienhof, est que nous ignorons ce que nous recherchons. Nous retournons cette gigantesque botte de paille, au pied de la lettre, sans même savoir si nous cherchons une aiguille, une tique ou un champignon.
— Voire rien », compléta Wickley.
Ratingen
Hartlandt se réveilla avant l’aube. Il se glissa lentement hors de son sac de couchage, s’habilla et expédia sa toilette dans une des douches d’appoint. Il ne dut renoncer qu’à se raser.
Ils avaient cadenassé leur campement provisoire, seuls lui et ses hommes y avaient accès. Ils y avaient installé leurs ordinateurs, leurs serveurs et un terminal radio TETRA au moyen duquel ils pouvaient transmettre des données.
En plus de ses fonctions opérationnelles chez Talaefer, Hartlandt était encore en charge des investigations concernant les attaques menées contre les producteurs et les fournisseurs d’énergie. Il alluma son ordinateur portable et examina les dernières données reçues. Berlin avait envoyé de nouveaux éléments : il s’agissait de l’analyse des incendies dans les postes de distribution et de transformation. L’origine de quatre des six incendies était très probablement criminelle. La liste n’était pas longue : Osterrönfeld samedi, Güstrow dimanche, Cloppenburg mardi, Minden la veille au soir.
Hartlandt consulta sa carte interactive d’Allemagne, où il avait fait figurer tous les accidents rapportés jusqu’alors, comme sur la grande carte murale de Berlin. Les lieux concernés étaient répartis dans tout le nord de l’Allemagne.
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