Elle le frappa, devint plus hystérique encore.
« Laissez-moi ! Je veux sortir ! »
La Haye
« Entrez », lança l’un des hommes.
Une fois Manzano parti, les policiers affectés à sa surveillance étaient sur le point de regagner Europol.
« Deux choses, commença l’un des fonctionnaires. Premièrement : la journaliste a décampé tout de suite après le départ de Manzano. Où elle est, on n’en sait rien.
— Probablement à ses trousses, dit Bollard. Il lui rapportera bien un reportage.
— Et ça. Nous venons de le découvrir. Il a dû envoyer le mail peu avant de partir. »
Sur l’écran du fonctionnaire, Bollard vit un message en mauvais anglais : Talaefer. Chercher un bug. Trouveront rien. Je te tiens au jus.
Je le savais bien ! pensa Bollard, triomphal.
« C’est adressé à qui ?
— À une adresse russe. mata@radna.ru. On sait rien de plus. »
Il prit le téléphone pour appeler son chef. Il fallut peu de temps pour que son assistant soit convaincu de l’urgence de l’appel et le mette en relation. En quelques mots, il expliqua de quoi il retournait. Bollard s’attendait à une telle réponse de son supérieur.
« On ne peut plus courir aucun risque. Informez-en ce policier de la criminelle, chez Talaefer. Comment s’appelle-t-il, déjà ?
— Hartlandt.
— C’est ça. Ils doivent arrêter l’Italien. Et voir ce qu’ils en tirent. La CIA se fera probablement une grande joie de vous aider.
— Pourquoi la CIA ?
— Vous n’êtes pas encore au courant ?
— De quoi ? »
Berlin
« Les États-Unis ? »
Un long moment, la situation room du ministère de l’Intérieur se figea. Comme pétrifiés, tous regardaient le peu d’écrans qui restaient et le secrétaire d’État. Les horloges indiquaient quatorze heures passées de peu.
« Comme chez nous ? » interrogea quelqu’un.
Rhess acquiesça. Il tenait le combiné du téléphone contre son oreille et ne cessait d’opiner du chef.
Le regard de Michelsen faisait des allers-retours entre les téléviseurs et le secrétaire d’État.
« Si c’est vrai, chuchota-t-elle à sa voisine, nous l’avons vraiment profond. Pardonne-moi l’expression. »
Rhess raccrocha.
« Le ministère des Affaires étrangères confirme que de grandes parties du réseau électrique américain sont tombées.
— Ce n’est pas un hasard, observa quelqu’un. Une petite semaine après l’Europe.
— On ne peut plus compter sur leur aide, déplora Michelsen.
— Le monde occidental est sous le feu, constata Rhess. Le commandement en chef de l’OTAN tient à l’instant même une réunion d’urgence.
— Ils ne croient tout de même pas que ce sont les Russes ou les Chinois ?
— Toutes les possibilités doivent être considérées.
— Le ciel soit avec nous », murmura Michelsen.
Central opérations
Il avait été encore plus facile de faire tomber les réseaux américains que les européens, parce qu’ils étaient moins bien sécurisés et liés plus étroitement à Internet. Pourtant, quelques membres de ses troupes n’avaient pas souhaité que l’attaque ait lieu plus tôt. Ils auraient mieux fait de s’en prendre simultanément aux deux continents. Mais c’était bien comme ça. Mieux, peut-être. Voilà presque une semaine que le monde entier se demandait qui se trouvait derrière les attaques en Europe. S’en être pris aux États-Unis alimenterait de nouvelles rumeurs. Les militaires s’investiraient plus intensivement encore, sans l’ombre d’un doute. Une attaque d’une telle ampleur ne pouvait émaner que d’un État. On évoquait les noms de certains : Iran, Corée du Nord, Chine, Russie. Bien sûr, ils démentiraient tous. C’était si simple. Personne ne pouvait remonter la piste jusqu’aux commanditaires. Il leur était bien trop facile de se fondre dans le réseau global. Les conjectures iraient bon train. Et les enquêteurs de la police, de l’armée, des services de renseignement devaient suivre un nombre infini de nouvelles pistes, d’indices, de directions, disperser leurs ressources, s’affaiblir. Guerre ? Terreur ? Criminalité ? Un peu de tout ? L’effet psychologique était encore plus dévastateur. Le dernier supermarché du monde, déjà frappé de plein fouet par la crise économique, n’était pas parvenu à se défendre. Comparés à ces attaques, Pearl Harbour et le 11-Septembre à New York et Washington faisaient figure de piqûres d’insectes. Sous peu, la population américaine réaliserait que cette fois elle ne pourrait se contenter de déployer ses G.I. Joe dans une quelconque contrée lointaine. Parce qu’elle ignorait d’où venaient les coups. Et elle prendrait toute la mesure de son impuissance. Impuissant son gouvernement, impuissantes ses forces, impuissants ses décideurs et ses riches, ses soi-disant élites, son système tout entier. Système au sein duquel, depuis longtemps, les citoyens ne se sentaient plus bien, encore moins en sécurité, mais qu’ils préféraient tout de même à l’inconnu. La population comprendrait qu’elle avait été abandonnée. Depuis bien longtemps déjà. Qu’une nouvelle ère historique était apparue, où elle devrait délimiter ses propres territoires.
Ratingen
Au début de son voyage, Manzano avait tenté d’écouter la radio, en vain ; des enceintes ne sortait qu’un grésillement. Il avait alors poursuivi en silence. Ce qui n’était pas si mal, après l’agitation de ces derniers jours.
Le système de navigation le conduisit de la sortie d’autoroute, à travers un lotissement de maisons individuelles en périphérie de la ville, jusqu’à un immeuble de béton et de verre haut de cinq étages. Sur la façade trônait « Talaefer AG ». Manzano se gara sur une place réservée aux visiteurs. Il ne prit que son ordinateur portable, laissant dans la voiture ses autres bagages. À l’accueil, il demanda Jürgen Hartlandt. Deux minutes plus tard, un homme athlétique de son âge le saluait. Il portait un épais pull marin à col roulé et un jean. Ses yeux bleu clair le jaugèrent en un quart de seconde. Il était accompagné de deux hommes plus jeunes, les cheveux courts, aussi costauds que lui, également dans une tenue décontractée.
« Jürgen Hartlandt, se présenta le premier. Piero Manzano ? »
Il acquiesça et les deux autres se postèrent à sa droite et à sa gauche.
« Suivez-moi, je vous prie », fit Hartlandt dans un anglais presque sans accent, sans même présenter ses collègues. Il conduisit Manzano dans une petite salle de réunion. Il referma derrière eux la porte, à proximité de laquelle resta un de ses accompagnateurs.
« Asseyez-vous. J’ai reçu un message d’Europol à La Haye. Je dois d’abord, pour des raisons de sécurité, examiner votre ordinateur. »
Manzano plissa le front. « Ce sont mes affaires privées.
— Auriez-vous quelque chose à cacher, monsieur Manzano ? »
L’Italien commença à se sentir mal à l’aise. Il se demandait ce que cela signifiait. Ne l’avait-on pas prié de venir les aider ? Le ton de Hartlandt ne lui plaisait pas.
« Non. Mais une sphère privée.
— Alors procédons autrement, proposa Hartlandt. Expliquez-moi, je vous prie, qui est mata@radna.ru?
— Qu’est-ce que j’en sais ?
— C’est à vous de me le dire. Vous avez adressé un mail à cette adresse.
— Ça m’étonnerait. Et si c’était le cas, comment le sauriez-vous ?
— Vous n’êtes pas le seul à vous y connaître en informatique ni à pouvoir vous balader dans des ordinateurs étrangers. Europol vous a surveillé, qu’est-ce que vous vous imaginiez ? Qui est mata@radna.ru?
Читать дальше