Stuart Neville - Collusion

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Une collusion. Ils étaient de mèche. C’est ce qu’on racontait partout. La police, les Anglais et les Loyalistes s’entendaient par-derrière…
Jack Lennon, policier d’Ulster catholique et, à ce titre, ostracisé par sa communauté et par les protestants loyalistes, cherche à retrouver Ellen, sa fille de six ans que son ex-femme a cachée pour la protéger. Sa hiérarchie lui ordonne de laisser tomber, mais Jack n’obéit pas. Confronté à l’enchevêtrement des haines héritées de la guerre civile, Jack en vient à faire alliance avec Gerry Fegan, le tueur des
, qui est lui-même devenu la cible d’une irréductible vengeance.
Sur leur route, ils vont croiser un vieux truand malade et son glaçant homme de main.
Collusion Stuart Neville est originaire d’Armagh, en Irlande du Nord. Après des études de musique, il s’est consacré au design multimedia et à l’écriture. « Neville pourrait bien avoir le talent de rivaliser avec son héros Ellroy… » Daily Mail « Ce n’est pas possible d’être aussi doué que ce sacré Stuart Neville. Collusion est un roman magnifique. » Ken Bruen « Un thriller cérébral mais bourré d’action, aux personnages fouillés, qui donne à voir de l’intérieur le paysage fluctuant de la vie politique en Irlande du Nord. » Publishers Weekly

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Le Voyageur rêva d’enfants aux membres arrachés, de corps entassés les uns sur les autres, de petits yeux vides contemplant les cieux. Il rêva de bûchers embrasés et de chair qui brûlait. Il rêva du garçon qui s’était jeté vers lui, un AK47 dans une main, un journal dans l’autre. Treize ou quatorze ans, à peine.

Trois brèves rafales de son MP5 l’avaient fauché. Dans son rêve, le gamin mordait la poussière en flottant comme un morceau de tissu, l’AK47 tombait d’un côté, le journal de l’autre. Mais un courant d’air emporta le journal qui décrivit un cercle avant de se poser doucement aux pieds du Voyageur.

Il regarda le papier froissé. Là, sous ses yeux, son propre visage. Les lettres du gros titre s’assemblaient en formes qui signifiaient « soldat » et « tué », le texte imprimé sous la photo se faisait plus net, un nom surgissait et…

Réveille-toi.

… les lettres constituaient des mots, des mots qu’il pouvait comprendre s’il le voulait vraiment, pour la première fois depuis qu’on avait retiré le morceau de Kevlar de sa tête, s’il le décidait…

Allez, réveille-toi.

… s’il décidait de les affronter mais il en était incapable, et pourtant, impossible de s’en détourner, les mots brûlaient…

« Réveille-toi, sale manouche, espèce de paress… »

Avant même qu’il eût conscience d’être éveillé, le Voyageur debout serrait dans ses mains la trachée d’un homme trapu dont le visage passait du rouge au violet.

« Comment tu m’as appelé ? » demanda-t-il en chassant le sommeil de ses yeux.

O’Driscoll le saisit aux poignets pour tenter de se libérer.

« Comment tu m’as appelé, gros connard ? »

O’Driscoll ouvrait et fermait la bouche, à court d’air. Il essaya de glisser les doigts entre ceux du Voyageur mais ne trouva pas de prise, malgré sa force. Le Voyageur émergeait du sommeil. La pièce tout autour se resserra dans sa vision périphérique, le lit d’hôpital sur lequel il était allongé depuis une éternité, semblait-il, le mobilier propre et fonctionnel, le sol carrelé. Il lâcha la gorge de l’homme.

O’Driscoll s’effondra à terre en se tenant le cou, asphyxié.

« Respire, dit le Voyageur. Lentement, profondément. Allez, respire. »

O’Driscoll parvint à faire entrer un peu d’air, l’expulsa aussitôt en toussant. Il roula sur le flanc et cracha par terre.

« Espèce d’enfoiré », dit le Voyageur.

Le blanc crayeux qui était la couleur normale de O’Driscoll revint à ses joues. Son souffle s’apaisa. « Pourquoi vous avez fait ça ? demanda-t-il entre deux inspirations.

— J’aime pas qu’on m’espionne.

— Je voulais juste vous réveiller, protesta O’Driscoll en s’asseyant péniblement. Ils m’ont chargé de venir vous dire que le gars, Fegan, était arrivé. »

Le cœur du Voyageur accéléra. De joie, de peur, ou bien les deux. « Il est là ?

— En bas. Le Bull veut que vous soyez à côté de lui quand on le fera monter. »

Le Voyageur hissa O’Driscoll en le tenant par les revers de sa veste.

« Putain, mais pourquoi tu l’as pas dit plus tôt ? »

O’Driscoll ne put que le regarder en clignant des yeux, mâchoire tombante. Le Voyageur lâcha la veste. Il était déjà sorti de la pièce quand O’Driscoll s’effondra en tas sur le sol. Un instant, tandis qu’il fonçait dans le couloir, une image d’un garçon tenant un AK47 et un journal dans les mains dansa dans son esprit. La photo bredouillait quelque chose qu’il ne parvenait pas tout à fait à resituer.

88

Fegan était debout dans le salon, les bras le long du corps. De l’autre côté de la pièce, Ronan le regardait, balançant son inutile pistolet contre sa cuisse.

Fegan savait qu’en cinq pas il traverserait l’espace qui le séparait de lui avant qu’il n’ait le temps de réagir, et qu’il le désarmerait sans que Ronan ne puisse appuyer sur la détente. Mais après ? Mieux valait ne pas bouger et attendre.

Ils se tenaient ainsi depuis dix minutes maintenant ; pas un mot n’avait été échangé depuis l’entrée de Fegan. Il ferma les yeux et laissa son esprit se reposer. L’image d’un visage dans un journal jaillit en un brillant éclair dans sa conscience, mais disparut aussitôt, emportant l’odeur de la chair qui brûlait. La sueur lui vint au front. Son estomac se souleva. Un poids se déposa dans son ventre, dense, écœurant, insistant. Il déglutit, pris d’un froid qui le saisissait de la poitrine au bas-ventre, puis descendait le long de ses jambes et de ses mollets, jusqu’aux semelles de ses chaussures. Il frissonna comme un cheval qui s’ébroue de joie et d’épuisement.

Lorsque Fegan rouvrit les yeux, il vit Orla O’Kane à côté de la porte ouverte. Quelque chose passa sur son visage, que Fegan identifia aussitôt tel un frère perdu mais qu’on n’a pas oublié. La peur, douce et docile, la seule émotion qu’il reconnût de vue.

« Venez », dit-elle en baissant les yeux pour éviter son regard.

Ronan indiqua que Fegan devait suivre Orla jusqu’au grand vestibule. Fegan s’exécuta, heureux d’être en mouvement, heureux d’en finir. Le costaud ferma la porte et les rattrapa tandis qu’ils traversaient le hall et se dirigeaient vers l’escalier.

Le cœur de Fegan accéléra pendant l’ascension. L’escalier débouchait sur un balcon, puis se repliait sur lui-même en entourant un espace dominé par un plafond en vitrail. La lumière du matin qui filtrait par le verre colorait les murs d’orangés, de verts et de rouges. Parvenue au premier étage, Orla tourna à droite dans un couloir menant à l’aile est. Ronan agrippa l’épaule de Fegan pour le guider derrière elle.

Une demi-douzaine de pièces donnaient dans le couloir, mais Orla ne s’arrêta pas avant d’avoir atteint la double porte au fond. Elle ouvrit les battants en un geste ostentatoire et passa à l’intérieur. Fegan entra dans la chambre, où l’accueillit une sourde odeur d’excréments humains. Il s’immobilisa mais Ronan le poussa de l’avant. Fegan s’arrêta lorsqu’il posa le pied sur la fine bâche en plastique.

« Salut, Gerry », dit O’Kane, les lèvres entrouvertes en un sourire tordu.

Le Bull était assis dans un fauteuil roulant, une couverture remontée sur ses genoux jusqu’à hauteur du nombril. Le fauteuil, équipé d’un haut dossier et de roues de petite taille, ressemblait aux véhicules sur lesquels les brancardiers d’hôpital transportent les invalides dans des couloirs qui sentent l’antiseptique. La peau du Bull pendait sur son visage. Ses yeux brillaient d’un éclat trop vif dans les orbites sombres, ses joues étaient profondément creusées. Une bulle de salive luisait à l’un des coins de sa bouche.

Deux hommes se tenaient de chaque côté du fauteuil. Fegan en reconnut un. Ben O’Driscoll, qui avait écopé d’une courte peine à Maze pendant que lui-même tirait la sienne. Il avait des mains grasses et la stature d’un pugiliste, épais du torse, large d’épaules. Mais l’autre type, c’était autre chose. Beaucoup plus dangereux. Taille moyenne, fin et musclé, les yeux morts. Un tueur. Fegan le reconnut à son odeur, parmi toutes celles qui se mêlaient dans l’atmosphère. Il sut avec certitude que c’était l’homme dont Tom le barman avait parlé, celui qui rôdait dans Belfast depuis quelques jours.

À en juger par le volume de la pièce, Fegan devina qu’il devait s’agir d’une salle commune à l’usage des patients de la maison de retraite. Tous les meubles avaient été poussés à la hâte contre les murs. Des tables en formica, entassées à côté de sièges en vinyle, le tout surmonté de tableaux peignant la campagne autour de Drogheda. Il n’y avait rien au sol, hormis les six personnes debout sur le plastique qui recouvrait le parquet.

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