Hewitt inclina la tête en poursuivant : « N’est-ce pas, Gerry ? »
Lennon regarda par-dessus son épaule. Fegan ne bougeait pas, solide comme un roc, le regard en feu.
« Je t’en ai déjà trop dit », reprit Hewitt. Son visage se durcit. « Maintenant, rentre chez toi avant de faire empirer les choses. »
Lennon abaissa le canon et visa la cuisse de Hewitt. « Je vais tirer, Dan. Dis-moi où elles sont.
— Tu vas faire quoi ? » Hewitt rit encore. « Ne joue pas les costauds, Jack. T’es pas crédible. Tu trompes peut-être les connasses que tu lèves dans les bars, mais tu n’y arriveras pas avec moi. Tu es en train d’emmerder les mauvaises personnes. Je te promets que tu le regretteras.
— Combien on te paie ? »
Hewitt sourit. Sa peau marbrée plissait sous ses yeux. « Fais gaffe à ce que tu dis, Jack. Range-moi ce flingue. On sait tous les deux que tu ne tireras pas sur un collègue pol… »
Silencieux comme un chat, Fegan arracha le Glock des mains de Lennon, appuya sur la détente et fit un trou net dans la cuisse de Hewitt. Celui-ci hurla et roula sur le côté en agrippant sa jambe. Des cris et des sanglots s’élevèrent en haut, suivis de pas rapides.
Lennon recula, le cœur battant à tout rompre, le ventre glacé.
« Où sont-elles ? demanda Fegan.
— Salopard ! » rugit Hewitt, le visage enfoui dans les coussins.
Des pieds descendaient en martelant l’escalier. « Dan ? » appela Juliet.
Fegan souleva Hewitt du canapé et le jeta à terre. Hewitt cria encore en roulant sur le verre brisé.
Fegan visa de nouveau. « Je vais encore tirer. »
Hewitt siffla de douleur entre ses dents. Il regarda durement Lennon. « Tu es fini. Je le jure, avec l’aide de Dieu, je te coffrerai en personne.
— Où sont-elles ?
— Va te faire foutre ! »
Juliet se précipita. « Mon Dieu, Dan ! »
Fegan pivota et braqua l’arme dans sa direction. « Sortez d’ici. »
Elle battit en retraite. « Non. S’il vous plaît, il est déjà blessé. »
Hewitt tenta de se mettre debout en agrippant la cheville de Fegan. Celui-ci balança la jambe et lui frappa le ventre. Hewitt se recroquevilla sur lui-même, semant des traces de sang à l’endroit où sa cuisse avait touché le tapis.
« Où sont-elles ? » demanda Fegan en visant à nouveau.
Hewitt se tortilla. « Va te faire foutre. »
Fegan frappa du pied la jambe blessée. Hewitt hurla. Lorsqu’il se tut, Fegan répéta : « Où sont-elles ? »
La sueur gouttait du front de Hewitt sur le tapis. « Va te faire foutre. »
Fegan levait déjà le pied, mais Lennon s’avança. « Attends. »
Il alla s’accroupir près de Hewitt. « Parle maintenant, sinon je laisse Gerry t’éclater la rotule, dit-il d’une voix grave qui montait de sa poitrine. Tu as vu les tirs de représailles, tout comme moi. Tu sais ce qui en résulte. Tu as vu les gosses sur qui les paramilitaires se sont vengés. Ils auront de la chance s’ils remarchent un jour. Est-ce que cela en vaut vraiment la peine pour toi ? On te paie assez pour que tu vives avec ce que je vais te faire ? Réfléchis bien, Dan. Je ne répéterai pas la question. Où sont-elles ?
— Va te faire foutre », dit Hewitt, les yeux embués.
Fegan s’accroupit et lui appuya le canon du Glock à l’arrière du genou.
Hewitt se mit à pleurer. « Va te… »
Alors que le doigt de Fegan se raidissait sur la détente, une petite voix s’éleva : « Drogheda. »
Lennon et Fegan se retournèrent et découvrirent Juliet qui reculait craintivement contre le chambranle de la porte. « Arrêtez de lui faire mal.
— Oh, bon sang, dit Hewitt. Bon sang, Juliet, tu viens de me tuer. O’Kane va s’en prendre à moi maintenant.
— J’en ai assez », déclara Juliet. Elle s’adressa à Lennon, les yeux brillants de larmes, la voix calme et régulière. « J’en ai assez. Il ne dort plus depuis des semaines. Quand il s’assoupit, il se réveille avec des cauchemars. À son retour de l’hôpital, j’ai su qu’il avait fait une chose terrible. Je le voyais sur son visage. Et maintenant, ça. Je n’en peux plus. Peu importe ce qu’on le paie. »
Lennon se redressa. « Tu as tué ce garçon ? demanda-t-il à Hewitt.
— Va te faire foutre », répondit Hewitt en pressant les yeux contre son avant-bras. Juliet s’effondra au pied du mur, genoux relevés. Ses épaules étaient secouées de sanglots.
« Où à Drogheda ? » demanda Lennon. Il tendit sa main ouverte vers Fegan. Fegan se redressa et déposa le Glock dans sa paume.
« Il me tuera, dit Hewitt.
— C’est entre toi et lui, répliqua Lennon. Où sont-elles ?
— Dans une maison de retraite à l’extérieur de la ville. Sa fille en est propriétaire. C’est une vieille bâtisse près de la rivière. Torrans House, ça s’appelle. Je ne sais pas comment on y va.
— Je trouverai », dit Lennon. Il entendit une sirène au loin. « Attention à ce que tu raconteras à la police. Tu as plus à craindre que moi. »
Hewitt roula sur le flanc et regarda Lennon, haine et colère dans les yeux. « Va-t’en. »
Lennon rangea le pistolet dans l’étui. Il se dirigea vers la porte, Fegan derrière lui. Juliet enfouit son visage dans ses mains.
« Je suis désolée, dit-elle. Je n’ai jamais pensé… »
Ils quittèrent la pièce avant qu’elle n’eût trouvé les mots. Lennon fit halte dans l’entrée en voyant deux enfants qui les observaient à travers la rambarde de l’escalier. La sirène approchait. Il sentait encore les yeux des enfants posés sur lui quand il démarra, Fegan à ses côtés, tandis que la maison disparaissait dans son rétroviseur. Les gyrophares dansèrent sur les briques.
L’aube se levait comme une promesse oubliée lorsqu’ils prirent la direction de l’autoroute.
L’ancien étage des domestiques sentait le renfermé et les souris. Une lumière blanche, froide, étirait ses doigts sur la vitre sale et caressait le papier peint qui s’effilochait et le mobilier vétuste. Marie McKenna était allongée sur le lit, les paupières tremblantes, respirant avec des sifflements et des bruits de gorge. Ellen s’accrochait à la main de sa mère.
Orla O’Kane s’assit sur le matelas. Elle voulut toucher la joue d’Ellen, mais la fillette recula. Orla croisa les mains sur ses genoux.
« Laisse ta maman dormir un peu, dit-elle. Je suis sûre qu’il y a quelque chose de bon à grignoter en bas. Peut-être même de la glace. Viens avec moi, on va regarder. »
Ellen fit non de la tête et passa le bras de sa mère autour d’elle.
« Pourquoi ? demanda Orla.
— Je veux pas.
— Très bien. » Orla admira le teint pâle de la petite fille et ses yeux bleus. « Tu es très jolie, tu sais ? »
Ellen enfouit son visage dans le creux du bras de sa mère.
Orla se pencha et murmura. « Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu fais ta timide avec moi ? »
Ellen risqua un coup d’œil. « Non.
— Alors ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
La petite fille déplaça son regard derrière l’épaule d’Orla. Ses yeux s’assombrirent comme un ciel d’été envahi par des nuages annonciateurs de pluie. Orla tourna la tête et ne vit que des ombres. Lorsqu’elle revint sur Ellen, le bleu s’était retiré des yeux de l’enfant pour ne laisser qu’un gris profond.
« Gerry arrive », dit la fillette.
Orla se cala sur le lit. « Ah oui ? »
Ellen hocha la tête.
« Et pourquoi il vient ?
— Pour me chercher, moi et maman. »
Orla se leva, effaça les plis de sa veste sur son ventre et sur ses hanches. « Ah, fit-elle. Alors, il faut que tu dormes un peu. »
Tandis que Orla regagnait la porte, Ellen s’assit sur le lit. « Tu devrais t’enfuir », dit-elle.
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