Stuart Neville - Collusion

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Une collusion. Ils étaient de mèche. C’est ce qu’on racontait partout. La police, les Anglais et les Loyalistes s’entendaient par-derrière…
Jack Lennon, policier d’Ulster catholique et, à ce titre, ostracisé par sa communauté et par les protestants loyalistes, cherche à retrouver Ellen, sa fille de six ans que son ex-femme a cachée pour la protéger. Sa hiérarchie lui ordonne de laisser tomber, mais Jack n’obéit pas. Confronté à l’enchevêtrement des haines héritées de la guerre civile, Jack en vient à faire alliance avec Gerry Fegan, le tueur des
, qui est lui-même devenu la cible d’une irréductible vengeance.
Sur leur route, ils vont croiser un vieux truand malade et son glaçant homme de main.
Collusion Stuart Neville est originaire d’Armagh, en Irlande du Nord. Après des études de musique, il s’est consacré au design multimedia et à l’écriture. « Neville pourrait bien avoir le talent de rivaliser avec son héros Ellroy… » Daily Mail « Ce n’est pas possible d’être aussi doué que ce sacré Stuart Neville. Collusion est un roman magnifique. » Ken Bruen « Un thriller cérébral mais bourré d’action, aux personnages fouillés, qui donne à voir de l’intérieur le paysage fluctuant de la vie politique en Irlande du Nord. » Publishers Weekly

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« Papa ! » hurla-t-elle plusieurs fois. Lennon ouvrit la porte et la vit trébucher, puis s’étaler sur le sol. « Papa ! cria-t-elle encore. Papa ! »

Lennon n’eut que le temps d’apercevoir la silhouette de l’homme armé dans l’obscurité du couloir. Il leva le Glock et tira.

92

Le bruit des coups de feu arrêta la main du Voyageur. Il ne l’aurait jamais admis, mais il était soulagé de cette excuse qui lui permettait de détourner les yeux du regard fixe de Fegan. Ce malade avait à peine tressailli quand le Voyageur commença à lui trancher le lobe de l’oreille. Seuls les muscles crispés de sa mâchoire et un mince afflux de sueur à son front montraient qu’il ressentait la douleur. Le sang coulait le long de son cou en un filet rouge profond avant d’être absorbé par ses vêtements.

« Papa ! » Des hurlements stridents se firent entendre, entrecoupant la fusillade. « Papa ! Papa ! »

« Putain, qu’est-ce qui se passe ? » demanda Bull O’Kane.

Le Voyageur lâcha l’oreille de Fegan. Le lobe était encore attaché, malgré l’incision qui le tailladait sur presque toute sa largeur. « Tenez-le, ordonna-t-il en s’adressant à O’Driscoll et à Ronan. Je vais voir ça.

— Attends », dit Bull O’Kane.

Sans lui prêter attention, le Voyageur tira le Glock de sa ceinture et s’approcha de la double porte qui donnait sur le couloir et l’escalier. Il l’entrebâilla de quelques centimètres, colla un œil contre l’ouverture. Rien.

« Je t’ai dit, attends. » La peur s’insinuait dans la voix du Bull.

Le Voyageur se pencha dans le couloir. Il se représenta le plan du rez-de-chaussée, avec la porte d’entrée et l’escalier imposant qui s’élevait le long du mur de droite puis se repliait au niveau du palier qu’il voyait en face de lui. Trois portes s’y alignaient. Celle de gauche conduisait à une enfilade de pièces reconverties en bureaux et en salles de soins. Celle du milieu dissimulait un ascenseur qu’on avait construit dans la structure ancienne, équipé d’une porte coulissante aux mesures identiques. Celle de droite ouvrait sur un long couloir menant aux salles à manger des patients et du personnel, ainsi qu’à la cuisine. La voix et les coups de feu provenaient de là. Le Voyageur se tourna vers O’Kane.

« Je n’en ai pas pour longtemps, annonça-t-il.

— Bon sang, ne me laisse pas ici, dit O’Kane en pâlissant. Pas avec lui. » Les joues pendantes du Bull rougirent de devoir reconnaître qu’il avait peur. Il ne put soutenir le regard du Voyageur. « D’accord, vas-y, finit-il par concéder.

— J’ai pas besoin d’une permission », rétorqua le Voyageur.

Il sortit dans le couloir et laissa la porte se refermer d’elle-même. En une dizaine de pas, sans bruit, il atteignit le haut de l’escalier. Collé au mur, il descendit, tourna sur le palier, fit encore quelques pas et parvint à la porte de droite, celle qui conduisait à la cuisine et aux salles à manger. Deux trous en étoile fendaient le bois. Il s’aplatit contre le mur.

Encore une, deux, trois détonations, près de la porte. Une exclamation effrayée, suivie par le cri rauque d’un homme. Deux autres décharges, cette fois provenant de plus loin dans le couloir, puis quelque chose de lourd jeté contre la porte, laquelle s’ouvrit sous le poids d’un corps. L’homme atterrit sur le dos ; deux taches sombres s’étalaient sur sa veste de camouflage. Il grogna, haleta, toussa, se tordit.

Toujours cachée aux yeux du Voyageur, Orla hurla : « Non ! Non, ne… »

Le Voyageur leva son pistolet et bondit dans l’encadrement de la porte ouverte, cherchant une cible. Des formes se détachaient contre la lumière blanche de la cuisine. L’une se relevait, l’autre était déjà debout. Elles se confondirent tandis que le Voyageur essayait de les différencier dans l’âcre fumée environnante. La plus grande s’approcha de lui, très vite. Il n’aurait su dire à quel corps appartenait quel bras, ni se prononcer quant à la provenance des hurlements qui roulaient en écho dans le couloir. Lorsqu’une arme apparut entre les silhouettes aux contours flous, la partie reptilienne de son cerveau prit le contrôle, raidit sa main pour braquer le Glock et crispa son doigt sur la détente.

Le vacarme résonna dans le couloir envahi d’une fumée qui brûlait son œil irrité. La forme s’élançait toujours vers lui. Son doigt se serra à nouveau sur la détente. L’éclair à l’extrémité du canon illumina le visage terrifié de Orla O’Kane au moment où la balle lui arrachait un morceau du crâne.

Comme l’élan imprimé à son corps continuait à la propulser, le Voyageur s’écarta pour la laisser s’effondrer sur l’homme moribond, vaincu dans son ultime combat par le poids qui s’abattait sur lui.

« Connasse », dit le Voyageur.

Il revint dans l’embrasure de la porte pour scruter l’ombre et la lumière. La deuxième silhouette avait disparu, faisant retraite dans la cuisine ou dans l’une des autres pièces qui ouvraient sur le couloir. Il se repassa la scène dans son esprit, revit la corpulence de l’homme, sa taille. L’instinct et la logique se combinèrent pour le convaincre qu’il s’agissait du flic, Lennon.

« Enfoiré », dit-il.

Il s’avança dans la pénombre, le Glock en position. Si quelque chose bougeait, il tirerait d’abord et s’inquiéterait plus tard de savoir qui il avait touché. Deux portes sur sa droite, une au fond à gauche, celle de la cuisine à côté. Il progressa lentement, en douceur, la respiration calme et régulière, tendant l’oreille.

Il essaya la première porte. La poignée résista. Verrouillée. Impossible que Lennon l’ait fermée de l’intérieur. Il aurait entendu des pas, le bruit de la clé dans la serrure. Il se remit en marche. La poignée de la deuxième porte s’abaissa sous la pression de ses doigts. Il appuya plus fort en se plaquant contre le mur et prit une grande inspiration. Le monde ralentit autour de lui, puis s’accéléra lorsqu’il expulsa l’air de ses poumons et ouvrit le battant d’un coup de pied.

Il bondit, prêt à esquiver, sa main gauche bandée venant en renfort de la droite pour tenir le pistolet. La porte s’ouvrit vers l’intérieur, heurta le mur et trembla sous le choc. Aucun mouvement dans la pièce. Du pied, le Voyageur empêcha la porte de se rabattre. Des chaises étaient retournées sur les tables, d’autres empilées par paquets dans la faible lumière qui filtrait par les interstices des volets. De vieilles odeurs de viande frite et de légumes trop cuits flottaient dans l’air, ainsi que des atomes de poussière. Il s’accroupit pour inspecter la forêt des pieds de tables. Personne. Dans le coin le plus éloigné, une double porte communiquait sans doute avec la cuisine, mais le Voyageur sentait dans ses tripes que le calme de la pièce n’avait pas été perturbé depuis des semaines. Il se releva et fit marche arrière.

La porte à l’extrémité du couloir était ouverte, laissant entrevoir la cuisine où le brillant de l’acier apparaissait terni par la crasse. Il avança dans cette direction, prêt à tirer au moindre mouvement, mais une odeur nouvelle l’arrêta en chemin. Un effluve écœurant, chimique, âpre à ses narines. Il s’approcha encore de trois pas ; l’odeur devint plus forte. Sauf qu’elle n’émanait pas de la cuisine. Avec le canon du Glock, il poussa la porte entrebâillée sur sa gauche. Un relent de fuel, d’essence ou de quelque produit similaire montait par l’étroit escalier de l’autre côté du battant.

Le Voyageur repéra une boîte d’allumettes sur un plan de travail dans la cuisine. Il sourit et s’en empara.

93

Lennon rangea le pistolet dans son étui et avança dans la pénombre, évitant les débris qui jonchaient le sol irrégulier sous ses pas. De petites fenêtres au niveau du sol laissaient passer une faible lumière par leurs vitres crasseuses, mais pas suffisamment pour qu’il pût se sentir le pied sûr. Déjà, il avait renversé un tas de jerrycans contenant de l’essence ou du white-spirit qui lui brûlait le genou et le mollet à travers son pantalon.

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