La cave voûtée s’étendait de tous côtés. Il ne lui restait plus qu’à espérer trouver une autre issue. Distinguant un halo de lumière plus loin, il partit dans sa direction en courbant la tête sous le plafond bas. Vieux meubles, cartons, monceaux de papiers et tissus s’entassaient le long des murs. L’odeur de moisi se mêlait à celle du produit qu’il avait renversé au pied de l’escalier. Quelque chose lui enveloppa la cheville. Il se dégagea et perdit l’équilibre. Les chaises empilées auxquelles il se raccrocha s’effondrèrent sous son poids et, au moment où il roulait à terre, retombèrent tout autour.
Immobile, il tendit l’oreille. De petits êtres dérangés par sa présence détalaient entre les cartons. Il laissa leurs griffes lui parcourir le revers de la main, sentit une queue entre ses doigts mais ne la repoussa pas. Lentement, retenant son souffle, il roula sur le dos, puis ne bougea plus. Une forme venait d’apparaître et approchait dans la faible lueur des fenêtres. Il se demanda si on pouvait le voir, parmi les chaises retournées. Le bruit, sûrement, avait attiré l’attention.
L’odeur d’essence s’intensifia tandis que la silhouette d’un homme plongeait sous la voûte et venait vers lui.
« Je sais que vous êtes là. »
Lennon reconnut la voix. Son cœur tressaillit.
« Vous auriez dû me flinguer quand vous en aviez l’occasion. Ils tiennent votre femme et votre môme là-haut. Une fois que j’en aurai fini avec vous, je m’occuperai d’elles. La mère est plutôt canon, même dans son état. Pour tout dire, je ne sais pas si elle respire encore à l’heure qu’il est. »
L’homme pénétra plus avant dans le champ de vision de Lennon. « En tout cas, c’est dommage pour elle. Je vais devoir me contenter de la petite. Mais je ferai ça rapidos. Pas la peine de s’éterniser, avec une môme. C’est pas sa faute si elle a un père merdique. Non, je serai sympa avec elle. Mais pas avec vous. »
Un bras apparut. Lennon fut aspergé d’un liquide. L’odeur de l’essence envahit son nez, sa bouche, lui crispa la gorge. Il se recula, jouant des coudes et des pieds dans un amoncellement de rideaux.
« Ah, vous voilà. »
Le bidon jeté au sol répandit une traînée âcre sur les jambes de Lennon. Sans plus se soucier du bruit, il recula encore jusqu’à coller la tête et les épaules contre le mur de briques froides. Il réussit à se lever et dégaina le Glock.
La silhouette se fondit dans l’obscurité. « Je vais vous brûler vif, Jack. Je vous regarderai danser un petit moment, et si vous avez de la chance, j’abrégerai peut-être vos souffrances avant que ça ne devienne trop dur. Si vous avez de la chance. »
Lennon visa dans la direction de la voix en essayant d’isoler une tache plus claire parmi les ombres de la cave.
Là, une étincelle dans le noir, le visage du tueur illuminé un bref instant. Lennon crispa le doigt sur la détente. À nouveau l’étincelle, mais cette fois l’allumette s’embrasa et diffusa assez de lumière pour que le tueur aperçoive le canon braqué sur son front.
Il esquiva au moment où le Glock détonait en emplissant la cave d’un vacarme tonitruant. Lennon suivit des yeux l’allumette qui tombait. La flamme hésita, puis forcit en captant les émanations de l’essence. Lennon se jeta à terre dans la chaleur soudaine et le tueur hurla.
« Faudrait vous faire sortir d’ici », dit O’Driscoll.
Fegan regarda O’Kane qui se mordait la lèvre. Sur le visage du vieil homme passèrent les diverses possibilités qu’il envisageait, ses yeux s’égarèrent. L’oreille brûlante de Fegan palpitait, une chaleur lui coulait le long du cou et sur l’épaule. La joue tailladée par une vive douleur, il sentit le goût du sang à la commissure de ses lèvres.
« On devrait peut-être vous ramener dans votre chambre, dit O’Driscoll. À l’abri, quoi. Jusqu’à ce que votre homme ait fini ses affaires. »
O’Kane fulminait. « Ne me parle pas comme si j’étais un môme. J’ai attendu ce moment-là et je ne veux que ça. Rien d’autre. Alors, c’est pas le moment de choper la frousse. Tu ne vas pas te tirer comme tous les autres connards. »
O’Driscoll s’écarta de Fegan sans lui lâcher le bras. « Mais enfin, il pourrait arriver n’importe quoi. Vous me payez pour vous protéger, c’est ce que je fais. Il faut qu’on vous sorte d’ici et qu’on vous enferme dans votre…
— Vous êtes tous pareils, coupa le Bull d’une voix qui oscillait entre les aigus et les graves. Ces enfoirés du Nord, ils m’ont bien planté. Tout le monde m’a lâché. Et maintenant, toi aussi ? »
Serrant toujours la manche de Fegan, O’Driscoll fit un pas vers O’Kane. « Bon sang, non, Bull. Je veux juste vous mettre en sécurité, c’est tout. Je ne m’en vais pas. »
D’instinct, Fegan évalua la force de la main qui le retenait, la distance entre les hommes, la position de leurs corps, leurs centres d’équilibre. Son cerveau enregistra le résultat de ses calculs comme dans un éclair qui précédait l’action. Mais l’action ne vint pas. Il réprima son impulsion, écoutant un autre instinct plus profond, plus fiable, qui lui disait de ne pas bouger, pas encore.
O’Kane brandit un doigt épais en direction de Fegan. « Je n’irai nulle part tant que ce salopard ne sera pas mort.
— Vous voulez que je le descende ? demanda O’Driscoll.
— Non. » O’Kane secoua la tête et croisa le regard de Fegan. « Amène-le ici.
— On n’a pas le temps. Il faut qu’on… »
Le visage de O’Kane s’empourpra. « J’ai dit, amène-le. »
Les hommes approchèrent avec Fegan. Il ne résista pas.
« À genoux », dit O’Kane.
O’Driscoll posa une main sur l’épaule de Fegan et appuya. Comme Fegan ne bougeait pas, il lui envoya un coup de pied derrière le genou. Fegan tomba brutalement. On entendit le craquement de sa rotule sur le parquet recouvert de plastique où bientôt l’autre genou suivit.
O’Kane se pencha en avant dans son fauteuil roulant. « Tu aurais pu me tuer cette fois-là, dans la grange près de Middletown. Tu m’avais à tes pieds. J’étais impuissant comme un chiot et tu avais une arme. Pourquoi tu ne l’as pas fait ?
— Parce que je n’avais aucune raison, répondit Fegan. J’ai eu pitié.
— Pitié ? » O’Kane secoua la tête. « Tu es aussi incohérent qu’autrefois, Gerry. Ils sont toujours dans ta tête, ces gens ? Ils te donnent encore des ordres ?
— Je les ai laissés là-bas. Quand j’ai tué McGinty.
— McGinty était un enculé. » O’Kane tendit la main vers O’Driscoll. Celui-ci y déposa un petit pistolet semi-automatique dans lequel Fegan crut reconnaître un Walther PPK. « Il n’y en a pas beaucoup qui l’ont regretté, après sa mort. En tout cas, sûrement pas moi. Tu sais, les politiques m’ont conseillé de laisser tomber. Ils voulaient que le ménage soit fait, d’accord, mais pas qu’on te poursuive. Ils m’ont dit de lâcher l’affaire. Sauf qu’ils ne te connaissent pas. Ils ne savent pas ce que tu m’as infligé. Ils ne savent pas que je n’en dors plus la nuit. Je ne veux pas vivre un jour de plus tant que tu seras encore sur cette putain de terre. » O’Kane respirait fort. Il chargea une cartouche dans le magasin. « C’est ce que je leur ai dit. Que j’allais me faire Gerry Fegan, un point c’est tout. »
Il appuya le canon du Walther contre le front de Fegan.
O’Driscoll se déplaça d’un pied sur l’autre et desserra la main qui tenait Fegan par l’épaule. « Putain, qu’est-ce que c’est ? Vous sentez cette odeur ?
— Quelle odeur ? dit Ronan.
— Ça sent la fumée. Il y a quelque chose qui brûle. »
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