Stuart Neville - Collusion

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Une collusion. Ils étaient de mèche. C’est ce qu’on racontait partout. La police, les Anglais et les Loyalistes s’entendaient par-derrière…
Jack Lennon, policier d’Ulster catholique et, à ce titre, ostracisé par sa communauté et par les protestants loyalistes, cherche à retrouver Ellen, sa fille de six ans que son ex-femme a cachée pour la protéger. Sa hiérarchie lui ordonne de laisser tomber, mais Jack n’obéit pas. Confronté à l’enchevêtrement des haines héritées de la guerre civile, Jack en vient à faire alliance avec Gerry Fegan, le tueur des
, qui est lui-même devenu la cible d’une irréductible vengeance.
Sur leur route, ils vont croiser un vieux truand malade et son glaçant homme de main.
Collusion Stuart Neville est originaire d’Armagh, en Irlande du Nord. Après des études de musique, il s’est consacré au design multimedia et à l’écriture. « Neville pourrait bien avoir le talent de rivaliser avec son héros Ellroy… » Daily Mail « Ce n’est pas possible d’être aussi doué que ce sacré Stuart Neville. Collusion est un roman magnifique. » Ken Bruen « Un thriller cérébral mais bourré d’action, aux personnages fouillés, qui donne à voir de l’intérieur le paysage fluctuant de la vie politique en Irlande du Nord. » Publishers Weekly

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Il inséra la première clé dans la serrure et fit la grimace en entendant le cliquetis du pêne. La porte accusa le lest. Il se prépara à utiliser la clé qui faisait coulisser le cylindre central. Elle entra sans heurt, tourna aisément. La porte s’ouvrit. Et buta moins de cinq centimètres plus loin. Un braillement d’enfant à l’intérieur, une voix qui lui chuchotait de se taire. Le Voyageur poussa plus fort… Une chaîne, tirée à son maximum.

Un chuchotement effrayé, l’enfant qui pleurait, une course de pieds en chaussettes sur le tapis. Il donna un coup dans la porte de son épaule valide. Autant s’en prendre à un mur. C’était une chaîne solide, du bon boulot de serrurier, pas la daube qu’on trouvait au rabais dans les grandes surfaces. Des portes claquèrent de l’autre côté, puis encore des pas. Il regarda par l’ouverture. Les ombres s’agitaient à présent.

« J’ai une arme, cria la voix de la femme.

— Moi aussi. Je parie que la mienne est plus grosse.

— J’ai appelé la police.

— Vous avez fait vite.

— Je suis en train.

— Ça ira, avec le flingue et le téléphone en même temps ? »

Le Voyageur leva le Browning. Il recula, engagea une cartouche dans la chambre, puis, solidement campé sur ses jambes, tira dans la porte en visant la chaîne de l’autre côté. Une autre cartouche, une deuxième explosion… Quand la fumée se dissipa, il s’aperçut qu’il n’avait pas causé autant de dégâts qu’il l’imaginait. Il s’approcha pour examiner le trou, de petite taille. Le bois était fendu tout autour mais l’acier résistait. Il regarda à l’intérieur.

Sur le seuil d’une pièce, une main tremblante tenait un pistolet. Un Glock ressemblant à celui que Hewitt lui avait donné. Il distinguait mal la silhouette de la femme dans l’encadrement de la porte et entendit une respiration sifflante, un gémissement. Un éclair jaillit de la gueule du pistolet. Il s’écarta d’un bond. Pas la peine. La balle toucha l’acier à plus de trente centimètres au moins de l’endroit où se trouvait son œil un instant auparavant.

« Faudrait vous entraîner un peu, avec ce machin, fit-il remarquer. Vous tirez comme un pied. Ça sert à rien d’appeler les flics maintenant. Je suis sûr que les voisins vous ont doublée.

— Alors, allez-vous-en, dit-elle d’une voix mal assurée.

— Non, je crois pas… Ouvrez-moi cette porte et je serai pas trop méchant avec la petite. Je peux pas vous promettre plus. »

Encore une détonation, comme un coup de poing dans la porte. Il entendit des sanglots déchirants. « Bon, je vous ai laissé une chance. »

En inspectant la porte, il vit où était accrochée la chaîne. Il leva son Browning, chargea, tira deux fois. Le métal commençait à se tordre. Il rechargea, à l’affût du bruit des sirènes malgré l’écho assourdissant qui s’attardait dans ses oreilles. L’enfant poussait des cris stridents au fond de l’appartement, auxquels se mêlait le gémissement aigu causé par le coup de fusil. Ces salopards de flics lui avaient piqué ses bouchons d’oreilles.

La plainte fut noyée par la sonnerie d’un portable.

Le Voyageur fit un pas en arrière, puis se projeta en avant et envoya son pied droit de toutes ses forces dans la porte. Le battant s’ouvrit et alla cogner contre le mur. Il rechargea, à demi aveuglé par la fumée. La sonnerie se tut. Il leva son arme en repérant la femme qui s’était reculée craintivement vers le salon.

Elle ne bougeait pas. Il s’approcha et distingua les taches rouges qui criblaient sa joue. Une fleur d’un rouge plus vif au-dessus de son sein droit. Elle inspira, toussa. Les yeux qu’elle fixait sur lui étaient pleins de peur et de haine.

Derrière elle, dans le salon, le portable sonna à nouveau. L’écran teintait la pièce d’une lueur blafarde. L’appareil en vibrant glissait sur la table basse.

« Laissez, je vais répondre », dit le Voyageur.

72

Lennon garda le téléphone à l’oreille pendant que l’Audi accélérait. Il le coinça contre son épaule pour changer de vitesse, faillit le perdre et le rattrapa juste à temps. Encore la messagerie. Il passa la troisième, abordant la jonction de York Street avec le Westlink à presque cent à l’heure. Quand le feu devint rouge, il maintint le klaxon enfoncé en ralentissant à peine tandis que les autres conducteurs nocturnes pilaient pour l’éviter. Les indicateurs de contrôle de la traction clignotèrent au tableau de bord, la voiture dérapa en virant pour s’engager sur la M2. Les roues heurtèrent le trottoir et un crissement de pneus s’éleva au moment où l’aile arrière raclait un lampadaire. Lennon rattrapa la chaussée.

Il fit une troisième tentative. « Allez… décroche… », murmura-t-il.

Pas de sonnerie. La messagerie, directement. À qui parlait-elle ? Était-elle en train de le rappeler ?

« Marie, si tu as ce message, rappelle-moi tout de suite. Tout de suite, tu m’entends ? »

Il raccrocha. Regardant tour à tour l’écran du portable et la route devant lui, il composa le numéro de son commissariat. La sonnerie s’interrompit, trois fois, indiquant plusieurs transferts successifs. À cause du drame qui s’était produit dans la zone de détention, personne ne se trouvait à son poste. Le commissariat le plus proche récupérerait l’appel. « Passez-moi Carrickfergus », dit-il lorsqu’il obtint enfin une réponse.

73

Portable à l’oreille, Fegan arpentait la chambre de la guesthouse en écoutant la sonnerie à laquelle personne ne répondait. Sa peur se nourrissait d’elle-même, chaque fois renouvelée et grandissant toujours davantage. Il avait essayé de dormir, mais la vision de l’incendie, l’odeur de la chair et des cheveux qui brûlaient, les hurlements d’un enfant, venaient de le réveiller. Les vêtements trempés de sueur, il s’était rué sur le téléphone.

La sonnerie s’arrêta, remplacée par une respiration régulière.

« Marie ? demanda-t-il, la voix aiguisée par la peur.

— Elle ne peut pas répondre pour l’instant. »

Une voix d’homme. Le genre de voix que Fegan ne connaissait que trop bien. La tête lui tourna. Il s’assit sur le bord du lit.

« Où est-elle ?

— Juste là, répondit la voix. Avec la petite.

— Qui es-tu ? »

Il y eut un silence. « Et toi ? Tu serais pas le célèbre Gerry Fegan ?

— Ne les touche pas.

— J’ai beaucoup entendu parler de toi, continua la voix. Je meurs d’envie de te rencontrer en chair et en os. Quelque chose me dit qu’on serait comme les deux doigts de la main. »

Fegan se pencha en avant, pris de crampes d’estomac. « Si tu les touches, je te tuerai.

— Trop tard. Faut que je sois honnête avec toi, Gerry. Marie n’a pas l’air trop en forme.

— Je te tuerai, répéta Fegan. Je te ferai souffrir.

— C’est le flic que tu devrais menacer. Le père de la môme. Tu sais ce qu’il a fait, ce salopard ?

— Je te tuerai.

— Il les a laissées dans un bordel à Carrickfergus. Il s’est barré et elles sont là, toutes seules. Bon sang. On ferait pas ça à un chien.

— Je te…

— Oui, tu me tueras. J’ai entendu. L’heure tourne, Gerry. Faut que j’y aille. »

Le téléphone fut raccroché.

« Je te tuerai », dit encore Fegan à l’appareil sans vie.

Il se leva et alla à la fenêtre. Sa chambre occupait la moitié du premier étage d’une maison aussi banale que ses voisines. Dans la rue régnait un silence angoissant, avec la lumière des lampadaires qui semait des flaques d’ombre entre les voitures stationnées et les murs des courettes. De temps à autre, on entendait le roulement de la circulation sur Botanic Avenue, à une centaine de mètres. Une heure s’était écoulée, peut-être plus, depuis que le dernier train était passé sur les rails, derrière la rangée de maisons. Fegan avait toujours apprécié le silence, mais à présent il le percevait comme une couverture froide et humide qui pesait sur ses épaules.

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