Le Voyageur imagina le flic au teint pâle de l’autre côté de la porte, attendant son heure. Il aurait parié que Hewitt se dégonflerait. Apparemment, il se trompait.
Le métal claqua ; on ôtait les verrous. Le Voyageur sourit. Il cligna des yeux quand la lumière du couloir inonda la cellule. Hewitt se tenait debout sur le seuil. Le Voyageur distinguait mal ses traits à contre-jour, mais il vit son regard éteint, la sueur sur son visage.
« Vous avez tenu parole, hein ?
— Oui.
— Je croyais pas que vous en seriez capable.
— Moi non plus. »
Le Voyageur sourit. « La première fois, c’est le plus dur.
— Il n’y en aura pas d’autre.
— Vous en êtes sûr ? »
Hewitt demeura un instant immobile, puis il entra dans la cellule et ferma la porte derrière lui. Ils se tenaient là tous les deux, comme emmurés, dans la lueur blafarde de la veilleuse.
« On n’a pas beaucoup de temps, dit Hewitt. Ils sont tous avec le jeune garçon. La vidéosurveillance est en panne dans le couloir. Vous avez quatre, cinq minutes, tout au plus. »
Il sortit une liasse de billets de sa poche et la tendit au Voyageur, ainsi qu’un trousseau de clés. « C’est une vieille Volkswagen Passat garée de l’autre côté du terrain de jeux. Une fois que vous avez franchi le portail, tournez à droite et passez sous les poteaux de rugby. Vous la verrez tout au fond. Et surtout, ne vous montrez pas.
— Évidemment.
— Tenez. » Hewitt sortit un Glock 17 de son étui et le présenta en le tenant par le canon.
Le Voyageur prit l’arme, la glissa dans la poche de sa veste. Son jean dont on avait ôté la ceinture lui tombait sur les hanches. « Bon, j’y vais.
— Attendez. » Hewitt le retint par la manche.
Le Voyageur se retourna dans la pénombre.
« Il faut que ça ait l’air crédible, dit Hewitt d’une voix mal assurée.
— D’accord. » Le Voyageur lui envoya son avant-bras en plein visage.
Hewitt partit en arrière sans émettre un son, le nez ensanglanté. Sa veste frotta contre le béton peint tandis qu’il s’affaissait au pied du mur. Il termina assis, jambes écartées devant lui.
Le Voyageur lui tapota les poches et trouva la bombe lacrymogène. « Il vous paye bien ? » demanda-t-il.
Hewitt le regardait, l’œil vitreux. Le Voyageur lui envoya encore un coup. Le sang gicla et se répandit en traînée sur le sol. Hewitt cligna des yeux.
« Le Bull vous paye bien pour faire ça ? »
Hewitt toussa et gémit. « Assez bien, répondit-il d’une voix qui s’étranglait dans sa gorge.
— Ne criez pas. » Le Voyageur secoua l’aérosol.
« Non…
— Il faut que ça ait l’air crédible, vous avez dit. Si vous criez, vous êtes foutu. Encore plus que moi.
— Non. »
Le Voyageur se couvrit la bouche avec le revers de sa veste, visa, et aspergea copieusement Hewitt. Celui-ci ouvrit la bouche, expira, inhala. Pris de convulsions, la gorge et les poumons attaqués par le gaz, il s’effondra sur le côté en toussant.
« C’était sympa de travailler avec vous », dit le Voyageur en lâchant l’aérosol. Il alla écouter à la porte et n’entendit rien hormis Hewitt qui haletait et crachait. Lui aussi avait la gorge irritée. Son œil valide coulait. Il arracha le pansement qui couvrait l’autre œil, battit des paupières en recevant l’air frais.
Il ouvrit la porte et jeta un coup d’œil de chaque côté. Secouant la tête, il cligna des yeux le temps que sa vision s’accommode à la lumière. Des voix lui parvenaient derrière le coude formé par le couloir, là où se trouvait la cellule du jeune garçon. Ils avaient dû le détacher et essayaient de le ranimer. Pourvu que Hewitt n’ait pas raté son coup… Il sortit le Glock, ferma la porte de la cellule derrière lui et fit glisser la barre de métal pour enfermer le flic qui gémissait derrière l’acier.
Il ne perdit pas de temps. À gauche jusqu’au bureau des arrivées, désert, à présent qu’ils étaient tous occupés avec le jeune garçon. À gauche encore, le couloir conduisant vers la sortie. Il se figea.
Gordon était debout à trois mètres de lui, près de la porte verrouillée. Ils se dévisagèrent.
Les lèvres du policier articulèrent une phrase silencieuse.
« Quoi ? »
Pointez le flingue.
Le Voyageur obéit. Levant les bras, Gordon fit un pas de côté pour lui montrer le pavé numérique commandant l’ouverture de la porte. On voyait l’extérieur par une petite fenêtre grillagée. Une caméra était perchée au coin du plafond et du mur.
Le Voyageur comprit. « Tapez votre code et ouvrez », ordonna-t-il en réduisant la distance qui le séparait de Gordon.
Le policier s’exécuta sans discuter. La serrure fit entendre un bruit métallique.
« Il n’y a personne au portail, murmura Gordon d’une voix si basse que le Voyageur l’entendit à peine. La voie est libre, dépêchez-vous. »
Le Voyageur hocha la tête sans cesser de le viser.
« Hewitt m’a promis qu’on ne me laisserait pas tomber, chuchota Gordon. Il a dit que vous et les autres vous occuperiez de moi.
— C’est vrai », répondit le Voyageur.
Il appuya le pistolet contre la tempe de Gordon, attendit de voir l’éclair de lucidité dans ses yeux, et pressa la détente.
Après avoir contourné le policier dont les jambes tressautaient encore, il sortit. Le portail était ouvert et dépourvu de gardes. L’air de la nuit lui rafraîchit le visage quand il se mit à courir.
Il ne s’arrêta pas avant d’avoir trouvé la Volkswagen.
Lennon appela Gordon sur sa ligne directe dès qu’il vit la porte au chambranle éclaté mais n’obtint aucune réponse. Il essaya encore trois fois, puis tenta de joindre l’accueil. Toujours rien. Il se serait peut-être demandé pourquoi, si l’état de la chambre d’hôtel n’avait représenté à ce moment-là un souci plus urgent. À nouveau, il fit le tour de la pièce, inspectant le lit, le fauteuil, le placard, la salle de bains exiguë.
Comme il s’y attendait, les membres du personnel ne montrèrent qu’une indifférence toute professionnelle. Ils avaient dû attendre l’accord du gérant afin de respecter la loi, mais celui-ci se trouvait en déplacement pour effectuer un stage de formation. Il arriva tout droit de l’aéroport pour conduire, en personne, Lennon et l’équipe d’agents de police qu’on lui avait attribués à la va-vite. Devant la porte enfoncée de la chambre, il se tourna vers Lennon : « Au moins, je n’ai pas besoin d’appeler la police », dit-il.
Lennon regarda les agents travailler. Porte forcée ou non, il était convaincu que l’exercice s’avérerait inutile ; jamais le suspect n’aurait laissé derrière lui quelque chose susceptible de le faire accuser. Il ne lui restait donc qu’à prendre son mal en patience en attendant que Gordon réponde à son message.
Fergal Connolly, un policier au visage rond et lisse, examinait le contenu d’un coffre de rangement posé au pied du lit : sweat-shirts à capuches de qualité médiocre, T-shirts et jeans, chaussettes, sous-vêtements. Tout était fourré dans des sacs à l’enseigne de Dunnes, Primark et Matalan. Le gars jetait ses habits en cours de route.
« Il est malin, ce salopard », dit Lennon.
La chambre était bien rangée, en tout cas avant le début de la fouille. Le suspect avait choisi un hôtel de bonne catégorie où l’on pouvait compter sur l’efficacité du personnel d’entretien. On ne trouverait même pas un cheveu dans le siphon, songea Lennon.
Il vérifia l’écran de son portable pour la dixième fois depuis son arrivée. Pas d’appel manqué ni de message. Il savait que Marie et Ellen ne risquaient rien, mais il ne parvenait pas à se débarrasser du nœud qui lui serrait le ventre.
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