Stuart Neville - Âmes volées

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L’inspecteur Jack Lennon aurait bien aimé passer Noël avec sa fille, mais la police de Belfast est confrontée à un trafic de filles venues de l’Est, orchestré par des Lituaniens alliés à un groupe de Loyalistes. Galya, jeune prostituée ukrainienne, a pris la fuite après avoir tué l’un des deux chefs du gang. Lorsque le corps de Tomas est découvert, son frère Arturas n’a plus qu’une pensée en tête : rattraper Galya et assouvir sa vengeance.
Que faire quand on est sans papiers dans un pays inconnu, qu’on a tué un homme et qu’on est poursuivie par des Lituaniens enragés ? Se tourner vers un protecteur. Galya a confiance en ce mystérieux client qui lui a promis de l’aider. Ce que la jeune fille ne sait pas, c’est que cet homme représente la pire menace qu’on puisse imaginer.
Dans ce troisième volume de la trilogie de Belfast, on retrouve l’inspecteur Jack Lennon aux côtés d’une héroïne inoubliable qui lutte pour sauver sa vie.
Né en 1972, Stuart Neville vit en Irlande du Nord. Son premier roman Les Fantômes de Belfast a été récompensé par de nombreuses distinctions, dont le Grand Prix du roman noir étranger de Beaune, le Prix Mystère de la critique et le Trophée 813 du meilleur roman étranger.

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La police était obligée de le conduire à l’hôpital. La fille lui avait ouvert le crâne avec la chaise, et Paynter savait que les blessures du cuir chevelu saignent à profusion. On ne pouvait donc pas évaluer la gravité de la blessure sans procéder à un examen.

De sa main libre, il pressait un tampon de gaze sur sa tempe pour étancher le sang. Son autre main était menottée au brancard. Rien de plus simple que de se lever et de partir en l’entraînant avec lui, s’il le décidait.

Mais ce n’était pas ce qu’il voulait. Il allait préparer sa sortie mieux que ça.

Le personnel des Urgences était débordé. Edwin Paynter ne cessait jamais de s’étonner en voyant le nombre de gens qui refusaient de travailler, chaque jour que Dieu fait, et s’adonnaient à la boisson. Rien de surprenant, alors, à ce que tant d’ivrognes de Belfast atterrissent dans un service d’urgence où l’on manquait de médecins et d’infirmières.

Et c’est ainsi que, lui, Edwin Paynter, se retrouvait ligoté à une civière dans un couloir, au milieu de la lie du peuple, des gémissements et des cris, pendant qu’une poignée d’internes et d’aides-soignants s’épuisaient à tenter de soulager ce ramassis de miséreux.

Les hôpitaux lui étaient toujours apparus comme des endroits étranges et effrayants, surtout les Urgences. Les bruits et les odeurs. Les choses qui se passaient derrière des rideaux, les chuchotements et les pas que l’on n’était pas censé entendre. Les familles rassemblées, attendant l’annonce de leur deuil. Les vieillards aux visages vides qui vous regardaient au fond des couloirs.

Le spectacle était identique ici. Des ivrognes vociféraient, contraints d’affronter leurs démons en dégrisant. De jeunes enfants hurlaient sur les genoux de leurs parents inquiets. Certains consultaient leur montre et pestaient contre leur feuille d’impôts, furieux de devoir attendre si longtemps pour faire soigner leurs petits maux. Tant de bruit et d’agitation pour rien.

Il devinait tout cela, plutôt qu’il ne le voyait, depuis son étroite couche. Tant pis pour eux s’ils souffrent, pensa-t-il.

Une infirmière apparut, flanquée d’un brancardier.

« M. Paynter ? dit-elle.

— Je m’appelle Crawford, répondit-il. Billy Crawford. »

Troublée, elle se tourna vers les policiers.

L’un d’eux haussa les épaules. « Moi, on m’a dit “Edwin Paynter”. Appelez-le comme vous voudrez, je m’en fiche, du moment que je peux vite rentrer chez moi. »

L’infirmière gratifia Paynter d’un sourire vacillant. « Mr., euh…

— Crawford, dit Paynter.

— M. Crawford, il n’y a plus de box disponible pour l’instant, mais nous allons nous occuper de vous dès que possible. En attendant, nous sommes obligés de libérer le couloir. Il y a de la place en orthopédie. D’accord ? »

Il ne répondit pas.

Le plafond défila au-dessus de lui, tandis qu’il laissait aller sa tête contre le mince oreiller recouvert d’une taie jetable. Les roues grincèrent, des chaussures couinèrent sur le sol en vinyle, jusqu’à ce que le brancard parvienne dans une pièce comportant des lits séparés par des rideaux, un tableau lumineux au mur, des rangées de tiroirs et des coffrets de pansements.

« Vous serez très bien ici, déclara l’infirmière pendant que le brancardier garait la civière contre un mur. Ça saigne toujours ? »

Elle écarta la main de Paynter et examina sa tempe. « Vous survivrez, dit-elle. Allez, ne bougez pas. Ce ne sera plus très long maintenant. »

L’infirmière sortit prestement de la pièce, le brancardier sur ses talons, laissant les deux policiers postés près du brancard.

L’un d’eux s’assit sur le lit le plus proche. L’autre faisait les cent pas dans le champ de vision de Paynter. Il remarqua que leurs pistolets ressemblaient beaucoup à celui qu’il avait pris à l’étranger, et à l’arme que le policier, Lennon, avait pointée sur lui quelques instants auparavant.

Le policier assis sur le lit regarda sa montre et haussa les sourcils. « Putain… Joyeux Noël », dit-il.

70

L’infirmière appliqua deux strips sur la coupure au menton de Lennon, assis au bord du lit, puis les couvrit d’un pansement. L’inspecteur chef Uprichard entra dans le box au moment où elle en ressortait. Il portait un anorak, un chandail à motifs et un pantalon en velours côtelé. Lennon prit conscience qu’il n’avait jamais vu Uprichard en civil. Ainsi vêtu, il paraissait vraiment ses soixante ans.

« Vous choisissez bien votre moment, dit Uprichard. Mince alors ! Joyeux Noël… »

Lennon sourit. Aucun juron ne s’échappait jamais de la bouche de son supérieur. « Merci d’être venu, dit-il. Vous n’étiez pas obligé.

— Non, mais je préfère clarifier le plus de choses possible ce soir plutôt que de me les coltiner à mon retour, après les fêtes. » Il tira Lennon par sa veste. « Venez. Mieux vaut libérer le box, il y a d’autres bonshommes qui attendent. »

Lennon suivit Uprichard dans le couloir.

« Qu’est-ce qu’on sait pour l’instant ? » demanda-t-il.

Uprichard s’installa sur une chaise parmi d’autres alignées devant la porte d’un bureau. « Nous sommes certains qu’il s’agit de l’Edwin Paynter que le jeune Connolly a trouvé dans la base de données ViSOR. Une fouille rapide de la maison n’a pas permis de l’identifier, mais il n’y a aucun doute. L’endroit sera passé au peigne fin après les fêtes.

— Et l’autre femme ? » demanda Lennon en prenant place à côté d’Uprichard. Cette dernière avait été découverte quand l’un des policiers, arrivé dans la deuxième voiture, avait entendu des gémissements à l’étage.

« Elle ne peut pas parler, mais on présume que c’est la propriétaire de la maison. Paynter la séquestrait là-haut depuis deux ans, probablement. Depuis qu’il a disparu.

— Bon sang, dit Lennon.

— Lors de la fouille, on a trouvé quelque chose… disons, d’inquiétant.

— Quoi ?

— Un sac de dents. Personne n’y a touché, mais on me dit qu’il s’agit de dents humaines. Des molaires, des incisives, rassemblées dans une petite bourse en velours.

— Le sol de la cave…, dit Lennon.

— Eh bien ?

— Il y avait des irrégularités, des surfaces de textures différentes, comme si on avait creusé par endroits et comblé les trous. »

Uprichard se mordit la lèvre en réfléchissant. « Ce type-là a déjà été condamné pour l’enlèvement d’une prostituée.

— Des filles comme celle-ci, dit Lennon, entrées illégalement dans le pays… Il n’y a aucune trace, personne pour signaler leur disparition à la police.

— Ce sera une première à Belfast, fit observer Uprichard. Nous n’avons jamais eu de tueur en série.

— Non. Jusqu’à il n’y a pas si longtemps, tous ceux qui prenaient leur pied en tuant avaient largement de quoi s’amuser. Comment va la fille ?

— Elle est toujours aux Urgences, répondit Uprichard. En entretien avec une femme de Care NI. »

Care NI était une association caritative chrétienne qui, entre autres missions, fournissait une assistance aux femmes victimes de trafic sexuel, durant les jours suivant leur libération. Ces femmes étant souvent terrifiées par les autorités, des membres de l’association venaient à leur secours pour communiquer avec les officiers de police, les travailleurs sociaux et les bureaucrates de l’immigration auxquels elles se trouvaient confrontées.

« Elle en a vu de toutes les couleurs, dit Uprichard. Mais c’est une battante. Son épreuve n’est pas encore terminée, du reste. Il ne s’agit pas d’une banale affaire de trafic. Elle va devoir répondre du meurtre qu’elle a commis.

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