Graham le bouscula à nouveau. « Ferme-la, putain !
— Graham, Graham, Graham. » L’Étincelle lui posa les mains sur les épaules. « On nous regarde.
— Je m’en fous.
— Les gens ont des téléphones. Ils prendront peut-être des photos. »
Graham le malmena encore une fois, moins brutalement, puis il recula. « D’accord. Qu’est-ce que tu veux ? »
L’Étincelle lança un coup d’œil par-dessus son épaule. Les policiers s’éloignaient, jetant au passage leurs cartons et leurs cuillères en plastique dans une poubelle.
« Je dois m’enfuir, dit-il. Ils m’ont repéré. Ils ont la photo. Et le registre.
— Oh ! Seigneur. » Graham pâlit, les épaules soulevées par un soupir d’angoisse.
« Je n’ai plus de passeport. Je ne peux pas aller à l’étranger. Il faut que je passe la frontière au sud.
— Ils ont la photo ? Sur laquelle nous sommes, toi et moi ?
— Oui. Et le registre.
— Oh ! mon Dieu, qu’est-ce que je vais devenir ? Je suis fini. Bon sang, je suis fini. Qu’est-ce que je peux faire ? » Graham s’appuya à la rambarde.
« Arrêter de paniquer, d’abord. Les flics n’ont que ça pour établir un lien entre nous. D’après leurs infos, on ne s’est pas revus depuis l’époque de la photo. Le registre ne concerne que moi. Toi, tu n’as commis aucun crime. Sauf si je leur dis le contraire.
— Mais ma carrière. Quand les journaux auront publié ça, je serai fichu.
— En tout cas, tu n’iras pas en prison. Si je m’enfuis, le pire que tu devras affronter, c’est un scandale et une retraite anticipée. Si je m’enfuis. »
Graham se couvrit les yeux de ses mains, les épaules secouées de tremblements. « Ma petite fille est morte pour ça », dit-il, d’une voix étranglée par des sanglots d’autoapitoiement.
L’Étincelle eut envie de lui cracher à la figure. Quel homme pathétique. Si faible. S’il avait eu les moindres couilles, il aurait immédiatement prévenu la police, et sa fille serait toujours en vie.
« Tu pleureras tant que tu voudras une fois que je serai parti, dit-il. Ressaisis-toi, et écoute-moi. »
Graham tourna vers lui son visage mouillé de larmes. « Tu n’es vraiment pas humain… »
Aussi rapide que l’eau qui glisse sur le verre, l’Étincelle lui arracha le pistolet qu’il portait à la ceinture. De son autre bras, il le prit par les épaules, tout en pressant l’arme contre son ventre mou à l’insu des regards.
« Arrête de pleurnicher et écoute-moi, sinon je te troue la panse devant tout le monde. Tu n’as peut-être pas le cran de tirer, mais moi, si. C’est la seule différence entre toi et moi. J’ai la force. Toi, non. »
Graham s’essuya les yeux avec sa manche.
« Tu m’écoutes ? » dit l’Étincelle.
Graham acquiesça.
« Parfait. J’ai besoin d’argent. Assez pour vivre un an ou deux. Je me suis constitué une petite réserve, en livres et en euros, mais ce n’est pas suffisant. Je veux cinquante mille euros en espèces.
— Je ne peux pas, dit Graham, dont les bajoues tremblèrent quand il fit non de la tête. C’est trop.
— Ne me mens pas. » L’Étincelle lui enfonça le canon de l’arme dans le ventre. « Tu as dix fois ça, probablement plus. Si tu veux que je dégage, donne-les-moi.
— Il me faudra quelques jours…
— Sûrement pas. Apporte-les ici, demain, à midi. Si tu as une minute de retard, je commence à tirer, avec ton pistolet, jusqu’à ce que la police arrive. Femmes, enfants, je m’en moque. Je n’ai rien à perdre. Et quand les flics se pointeront, je baisserai mon arme, comme un gentil garçon, et je leur raconterai tout. »
Il se pencha, frôlant de ses lèvres l’oreille de Graham. « Tout, murmura-t-il. Tous les sales petits secrets. »
Graham gémit. « Je ne peux pas. C’est impossible.
— Tu sais que je tiendrai parole. Chaque maman qui mourra, chaque bébé, tu en porteras la responsabilité. Tout le monde saura que tu aurais pu l’empêcher. Et une fois que j’aurai lâché le morceau, je mettrai fin à tout ça. »
L’Étincelle jeta un regard alentour, glissa le pistolet dans la poche de son manteau, et recula d’un pas.
« Demain, à midi. Pas une minute de retard. »
Il s’éloigna rapidement parmi la foule animée. Si claire était sa vision de toutes choses qu’il lui semblait la goûter, frémissante sur ses papilles.
L’Étincelle ne s’était jamais senti aussi bien. L’Étincelle n’avait jamais brillé d’un tel éclat.
Le portable de Lennon sonna. Numéro masqué.
« Oui ?
— Rebonjour, Jack. »
Lennon s’assit sur le canapé couvert de plastique. Après avoir été libéré par Flanagan, il était revenu à l’appartement de Roscoe Patterson. Étrange sentiment, sachant que le propriétaire était mort. Même l’air à l’intérieur lui semblait différent, plus froid. À présent qu’il n’était plus poursuivi, Lennon pouvait de nouveau se servir de son portable. Il avait commencé par appeler Bernie McKenna. Messagerie.
Et maintenant, ça.
Il écouta un moment la respiration de l’Étincelle, puis demanda : « Qu’est-ce que vous voulez ?
— Parler, c’est tout. Je me suis trop laissé emporter par mes émotions cet après-midi. Je n’étais pas moi-même.
— Je ne pensais pas que tuer vous perturbait autant.
— Ça ne me perturbe pas du tout. » Lennon entendait le sourire dans sa voix. « Depuis le temps. Mais ça m’échauffe un peu les sangs. J’ai la tête qui tourne, comme dans les montagnes russes. Vous connaissez. Vous avez tué des gens. »
Lennon se fit violence pour répondre. « Oui. Mais je n’en ai tiré aucun plaisir. »
Un petit rire, presque enfantin. « Oh ! Jack. Voyez-vous, c’est ce que les gens comme vous ne comprennent pas. Je n’ai éprouvé aucun plaisir en tuant tous ces gens. Je n’ai jamais tué quiconque pour m’amuser.
— Pourquoi, alors ?
— Parce que c’était… nécessaire.
— Pardon ?
— Pour prendre à ces gens ce dont j’avais besoin, pour que le méchant puisse sortir, il était nécessaire de les tuer. C’était une partie de l’ensemble, mais jamais le but en soi. Vous comprenez ?
— Non. Et je ne comprendrai jamais.
— Évidemment. Mais ne vous inquiétez pas. Je serai bientôt parti. Vous n’aurez plus à y penser.
— Parti où ?
— Loin, où vous ne pourrez pas m’atteindre. Ni vous ni personne.
— Vous n’avez pas de passeport, dit Lennon. C’est trop difficile de fabriquer un faux maintenant. Vous ne pouvez pas quitter l’Irlande. Il ne vous reste que le Sud, de l’autre côté de la frontière. Combien de temps pensez-vous que vous réussirez à vous cacher là-bas ?
— Aussi longtemps qu’il le faudra.
— Et qu’arrivera-t-il quand vous voudrez tuer à nouveau ? Ou si vous commettez une erreur ? Vous n’êtes plus tout jeune. Combien de temps tiendrez-vous encore ?
— Aussi longtemps qu’il le faudra. Bref. Je dois vous laisser. Je voulais juste vous dire au revoir.
— Il se peut que vous me revoyiez. Plus tôt que vous ne le pensez.
— Oh ?
— Peut-être que l’étau se resserre.
— Et peut-être pas. Dans tous les cas, vous avez intérêt à bouger vite, sinon je serai parti. Au revoir, Jack. »
Clic.
Lennon jeta le téléphone sur la table basse. L’appareil tournoya sur lui-même, l’écran s’éteignit. Il pensa à Graham Carlisle, à Serena Flanagan, à Rea, qui n’avait pas mérité cette mort.
Il pensa à la main d’Ellen dans la sienne, à ses bras autour de son cou. Il tuerait pour la récupérer. Si c’était nécessaire.
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