— En effet. Je suppose qu’il y avait un bac ou un seau en dessous, vu que nos équipes techniques n’ont décelé que très peu de sang alentour. Pour compenser la perte et maintenir la pression, le cœur s’est mis à battre plus vite, jusqu’à se trouver dans l’incapacité de se remplir correctement. Arrêt cardiaque, qu’a essayé de retarder au maximum l’assassin par des massages : il a aidé le cœur à tenir.
Nicolas imaginait la scène : la victime suspendue et vivante, le bourreau qui lui entaille la chair et se met à récupérer le précieux liquide dans un récipient, les pressions sur la cage thoracique pour retarder la mort.
— Le légiste pense que c’est seulement après qu’il a ouvert les artères au niveau des jambes, histoire de récupérer le reste du sang par effet de gravité. Il ne voulait pas en perdre une goutte. L’opération a dû lui prendre environ une heure. C’est par la suite qu’il a rendu sa victime anonyme et lui a arraché la moitié du visage avec la balle. Puis il est parti.
Nicolas s’arrêta sur une photo en gros plan du dos de la victime, écorché au niveau des omoplates. Il la donna à son collègue et fixa le gendarme.
— Vous savez pourquoi sa peau a été prélevée ici ?
— C’est l’une des inconnues.
— Notre victime de Longjumeau avait des scarifications exactement à cet endroit. Elles indiquaient Blood, Evil, Death … Vous n’avez rien remarqué sous le pied ? Pas de tatouage ?
— Si, regardez les photos. Là aussi, morceau de chair prélevé. De même, le légiste a relevé la présence de deux trous dans le sexe, au niveau du gland.
— Il avait un piercing, comme Ramirez.
— Les deux victimes seraient donc très proches ?
— Elles appartenaient probablement au même groupe, répliqua Franck, Pray Mev. Ramirez était selon toute vraisemblance sataniste. On dirait bien que votre victime aussi, et qu’on a tout fait pour effacer les références à Pray Mev. Sinon, une idée du profil de l’assassin ?
— Fibre médicale, sans aucun doute. Il savait où ouvrir pour vider le corps le plus efficacement possible. La scène était propre. Et puis, il y a eu les massages cardiaques ; et cette canule, on ne trouve pas ça au supermarché du coin.
Sharko peinait à imaginer Ramirez capable d’actes quasi chirurgicaux lorsqu’on voyait le bordel à sa cave et l’état plutôt déplorable de sa maison. Ce gars avait fait de la taule, plongé les mains dans la peinture et la colle chaque jour sur les chantiers. Mais, d’un autre côté, il y avait ses dessins, précis, qui témoignaient d’une patience et d’une maîtrise certaines. L’élevage de sangsues et le matériel chirurgical… Ses trajets GPS effacés… Une prudence et une minutie évidentes. Et puis, aussi, cette possibilité qu’ils soient deux, seule explication de l’enlèvement de Laëtitia Charlent alors que Ramirez travaillait sur un chantier. Deux kidnappeurs, deux tueurs.
— Des pistes ?
— Pas grand-chose. La victime avait des traces de graisse et d’essence de térébenthine sur les coudes et les pieds, et des marques de liens aux chevilles, alors qu’elle n’était pas ligotée aux pieds quand on l’a trouvée. Peut-être l’a-t-on enfermée plusieurs jours dans un garage ou un entrepôt avant de l’amener ici. On a mouliné le fichier des disparitions dans le secteur, rien de flagrant, surtout qu’on n’a pas vraiment de visage. Pas de traces ADN de l’assassin ni d’empreintes, de témoin, rien qui nous permette d’avancer vite. Autant vous dire qu’on a pris votre appel de ce matin comme une sacrée bonne nouvelle. Vous me détaillez, maintenant ?
— Descendons avant…
Les trois hommes se succédèrent dans l’hélice de marches et retrouvèrent l’air libre, au pied du château d’eau. Sharko prit une grande bouffée d’oxygène, tandis que Nicolas piochait une cigarette et en proposait une à Saussey qui déclina d’un geste. À son tour, il expliqua avec précision leurs découvertes : la mise en scène de l’assassin pour les contraindre à trouver le corps de Ramirez dans les plus brefs délais. La cave, la scène de crime, les plaies, les sangsues, les liens avec le satanisme. La fille, présente lors du crime et volatilisée.
Pendant ce temps, Sharko observait les alentours, dubitatif. Les cimes des arbres frissonnaient dans le vent, la forêt semblait le décortiquer de son grand œil noir. Pourquoi Ramirez avait-il choisi cet endroit particulier dans le département de l’Yonne ? Pourquoi à cent cinquante kilomètres de chez lui ? Avait-il retenu la victime dans sa cave avant de l’amener ici ? Ou l’avait-il attachée au radiateur dans sa pièce dédiée au diable ?
Le capitaine Saussey jugea qu’il était de leur intérêt commun d’entamer une collaboration et de mutualiser leurs avancées. Ils convinrent alors que, d’ici la fin de journée, ils s’échangeraient une partie des dossiers, avec l’accord de leurs supérieurs. Les trois hommes se saluèrent et se séparèrent sur l’A6, les flics dans une direction, le gendarme vers une autre.
En quittant les lieux, Sharko estima que sa situation personnelle n’était pas si catastrophique : on cherchait un tueur, propriétaire d’un HK P30 9 mm, arme américaine qui avait éliminé Ramirez et l’individu du château d’eau dans des conditions abominables. Point barre. Et on ne trouverait jamais ce tueur, par la force des choses, parce qu’il n’existait pas en tant que tel.
Mais son cerveau de flic ne pouvait s’empêcher de s’interroger sur les motivations de Ramirez. Pourquoi ce meurtre barbare ? Qui était la victime et qu’avait-elle fait pour mériter pareil châtiment ? Quel rôle jouait Laëtitia là-dedans ? Ces questions, Nicolas devait se les poser en partie, vu la façon dont il fixait la route sans rien dire. Il commençait sans doute à chercher d’autres liens entre les deux affaires.
Dans le flou de cette enquête insensée, Sharko n’avait en définitive qu’une seule et vraie satisfaction : Lucie avait éliminé une sacrée ordure.
Le point d’équipe, en cette fin d’après-midi, laissa presque tout le monde pantois, surtout devant les notes inscrites au marqueur sur la grande feuille blanche du tableau. Deux meurtres violents, à moins d’un mois d’écart, reliés par un seul lien fragile : une balle et une douille 9 mm issues de la même arme, un HK P30, impliquant l’existence d’un tueur unique. Cela augurait-il le début d’une série de meurtres sanguinaires ? Traquaient-ils un assassin qui agirait de nouveau dans les semaines à venir ? Les questions allaient bon train.
De la pointe de son feutre, le chef passait en revue les notes de sa feuille.
— Si certains éléments relient les deux affaires de manière évidente, d’autres échappent à cette logique. Les points communs, pour commencer : des meurtres barbares, qui concernent tous deux des hommes jeunes. La souffrance, chaque fois, les entraves, sans doute le maintien en vie, avant une exécution par balle à bout touchant. Lieux clos : une cave pour l’un, un château d’eau pour l’autre…
— Le dos de la victime du château d’eau ainsi que son pied gauche étaient écorchés, ajouta Nicolas. Il avait sûrement des scarifications et le tatouage de la croix, comme Ramirez, que l’on a cherché à faire disparaître.
— Cette inscription, « Pray Mev », toujours pas d’idée ?
— À la demande de Nicolas, j’ai tout fait, répliqua Robillard. Noms de groupes, de villes, de personnes, j’ai fouiné à droite, à gauche sur Internet, y compris sur des forums satanistes. Ces types prient tout ce que tu peux imaginer, sauf des Mev . Même les gars de la CAIMADES [5] Cellule d’assistance et d’intervention en matière de dérives sectaires, placée au sein de l’Office central pour la répression des violences aux personnes.
, ils font chou blanc. Si ce groupe existe, il n’est référencé nulle part.
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