Franck Thilliez - La forêt des ombres

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Arthur Doffre, milliardaire énigmatique, est sur le point de réaliser un rêve vieux de vingt-cinq ans : ressusciter un tueur en série, le Bourreau 125, dans un livre. Un thriller que David Miller, embaumeur de profession et auteur d'un premier roman remarqué, a un mois pour écrire contre une forte somme d'argent.
Reclus dans un chalet en pleine Forêt-Noire, accompagné de sa femme et de sa fille, de Doffre et de sa jeune compagne, David se met aussitôt au travail. Mais il est des fantômes que l'on ne doit pas rappeler… « Huis clos oppressant, suspense diabolique, plongée violente dans les tréfonds de l'âme humaine. »
Olivier Delcroix —

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David acquiesça, eut un regard pour Adeline, pliée en deux, et reprit la tête du groupe.

— Emma… Elle est blessée et elle… perd du sang… fit-il. Elle… Elle… ne nous rattrapera pas… Comment va… votre respiration… Adeline ?

— Je… J’en… sais rien… Pas terrible… Mais… il n’y aura plus… de crise… d’asthme… Plus jamais…

Après une interminable ligne droite, le sentier virait vers la gauche et se rétrécissait fortement. Ils attaquèrent une pente, puis dévalèrent un raidillon, soulevant des gerbes de neige craquante.

David fut subitement happé par une force souterraine.

Son genou droit disparut sous la poudreuse.

Il hurla.

42

— At… tention… Ne… bougez… plus… parvint à dire David, le visage décomposé, les dents serrées.

Immobilité totale. Juste les soubresauts des poitrines en feu et les sifflements des gorges.

David creusa autour de sa jambe en gémissant, et dévoila les mâchoires d’un piège à loups, rabattues autour de sa cheville. Cathy écrasa sa fille contre son torse dans un geste de terreur.

— L’endroit… en est… criblé ! souffla Adeline en s’approchant avec prudence. Cette… neige… tassée ! Ces… traces de… pas ! Elle… a déplacé… tous les pièges… ici !

Elle s’agenouilla et essaya d’écarter la dentition acérée. David hurla de douleur.

— On… n’arrivera pas… à le débloquer. C’est un… mécanisme spécial… II… Il faut… le levier qui… qui s’adapte…

Cathy colla Clara entre les bras d’Adeline et se pencha au-dessus de son mari.

Non ! Mon chéri ! Mon chéri ! On doit… On doit… Elle leva un regard perdu autour d’elle. Des troncs, rien que des troncs.

— Il faut le sortir de là ! Adeline ! On doit le sortir de là ! Tout de suite ! Adeline !

David tenta de se courber, mais cet infime mouvement remua l’acier sous sa chair et il manqua de s’évanouir. D’un geste très lent, il attrapa le blouson de Cathy et le ramena à lui.

— Tu… Tu vas… prendre le sac et vous allez… courir… Courir aussi… longtemps que… vous le pourrez… Quand vous serez… à bout… vous marcherez… Le plus… vite… possible…

David faisait tout pour ne pas grimacer.

— Écoute-moi ! Vous… allez… rejoindre… la route et… appeler… des… des secours… Ça… ça va bien se passer…

Cathy lui caressait le visage, refusant d’entendre ses paroles. Adeline s’était mise en retrait et occupait Clara pour lui cacher ce terrible spectacle.

— Non ! Non ! Jamais ! protestait Cathy. Je ne te laisserai pas !

— Adeline… fit David. Vous devez… partir… Toutes les… trois… Ou… Ils vous tueront… Ils vous tueront… Moi, ils… ils ne me feront rien… Elle ne… vous poursuivra pas… C’est moi qu’elle veut… Ça va aller… Ça va aller…

Dans un accès de désespoir, Cathy se jeta sur la mâchoire et tenta de toutes ses forces de l’écarter. David lâcha une écume blanchâtre, ses yeux se révulsèrent.

— Arrête ! hurla Adeline en se précipitant pour la secouer par le bras. Tu vas le tuer !

— Non ! répétait Cathy. Non ! Non ! Non !

Puis le silence. Le vomissement lointain de la tronçonneuse avait cessé. Emma avait sûrement déjà récupéré le fusil.

— Tu… dois penser à… notre fille… Clara… Ma Clara…

Ses yeux humides vers ceux d’Adeline.

— Je vous… en prie… Emmenez-les… Sauvez-les… Faites-le… pour… ma fille… Elle doit… vivre ! vi… vre…

Clara échappa à la surveillance d’Adeline et vint se serrer contre lui.

— Oh ! Ma chérie… parvint-il à murmurer, dans un ressac de douleur.

Adeline décrocha avec tristesse l’enfant du cou de son père.

La séparation fut une déchirure.

David sut qu’il ne la reverrait plus jamais.

Il repoussa Cathy de ses dernières forces, avant de s’aplatir dans la neige, les bras écartés.

— Dé… gagez !

— Noooon !

Une détonation retentit. Un coup de fusil en l’air, annonçant l’ouverture de la chasse.

— Daviiiiiiiiiid !

Cathy tressaillit.

La mort dans l’âme, Adeline ramassa le sac et reprit Clara dans ses bras.

Cathy se jeta une dernière fois vers son mari et abandonna la tétine de leur bébé au creux de sa main. La tétine croquée par le petit Grin’ch.

Les sanglots éclatèrent plus fort. David releva la tête alors que ses amours disparaissaient derrière les pentes enneigées, contournant le chemin et ses pièges diaboliques. Cathy fixa son mari aussi longtemps qu’elle le put et se mit à courir, sans plus jamais se retourner.

Les hurlements de Clara finirent par se perdre dans l’immensité.

David sentit les perles de sel se figer au bord de ses yeux. Vint le moment où il n’entendit plus que le battement de son cœur.

Puis, ce bruissement caractéristique des pas dans la neige.

Le monstre approchait.

Il allait souffrir. Puis mourir.

Il songea à sa famille… Son épouse et son enfant, heureuses, quelque part. Clara grandirait. Elle vivrait et elle grandirait.

On se rapprochait de lui, d’un pas déterminé, celui d’un bourreau paré pour l’office. Puis il aperçut, au-dessus de lui, cette face en sang, au nez décalé, qui bleuissait déjà.

— S’il vous… plaît, Emma, ne me fai… faites pas… de mal, gémit-il en essayant de relever la nuque. Je vais vous… aimer… Je vais vous aimer… aussi fort… que je le… pourrai…

Elle se redressa et poursuivit son chemin, le fusil sur l’épaule.

— Pi… tié ! Emma ! Lai… ssez-les ! Lai… ssez-les ! Je… vous… en prie…

Il ne sut combien de temps s’écoula avant qu’une violente claque le ramène à la conscience. Ses cheveux étaient prisonniers du gel, ses lèvres collées par le froid. Il ouvrit les yeux, elle se tenait au-dessus de lui, dans une espèce de flou, les gencives luisantes, un rictus monstrueux aux lèvres. Elle tendit la main au ciel puis lâcha de petits cylindres métalliques qui vinrent lui frapper le front. Il tourna la tête, la joue gauche enfoncée dans la glace.

Devant son nez, trois douilles vides, encore fumantes, à l’odeur de poudre entêtante.

Il voulut crier mais n’eut, au fond de la gorge, que l’écho de sa propre détresse.

Sa main tenta de frapper devant lui, dans un mouvement désespérément ralenti.

Emma esquiva puis se baissa au niveau de la jambe prisonnière. Elle appuya de toute sa hargne sur les mâchoires puissantes, dans un grognement bestial.

Cette fois, David accoucha d’un cri qui transperça la forêt, avant de s’évanouir de nouveau.

— Je croyais en toi. J’ai tout sacrifié pour toi. Mes nuits, mon métier, mon avenir… Arthur et moi, on va te faire passer l’envie de t’échapper.

Quand elle le tira par les pieds, la tétine resta dans la neige, à proximité des douilles vides… Les trois douilles vides…

43

— La gamine ! Idiote ! Qu’est-ce que tu as fait de la gamine ?

A bout de souffle, Emma abandonna le corps inanimé de David sur le plancher, au milieu du salon.

— L’enfant ! Où est l’enfant ?

Arthur se dirigea vers elle et la gifla avec une incroyable violence. Emma se retrouva à terre, les mains sur le visage. Son nez pissait le sang.

— Je… n’ai pas eu le choix… Je n’arrivais pas… à les rattraper… Alors… j’ai… j’ai tiré… Plusieurs fois… La mère portait sa fille… La balle les a transpercées… toutes les deux… Je… Je suis désolée… Arthur…

Elle pleurait, recroquevillée comme un chien. Hors de lui, Arthur la tira par les cheveux, lui saisit la main et la glissa dans son entrejambe.

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