Franck Thilliez - Vertige

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Un homme se réveille au fond d’un gouffre, deux inconnus et son fidèle chien comme seuls compagnons d’infortune. Il est enchaîné au poignet, l’un des deux hommes à la cheville et le troisième est libre, mais sa tête est recouverte d’un masque effroyable, qui explosera s’il s’éloigne des deux autres.
Qui les a emmenés là ? Pourquoi ? « Une intrigue simple, mais un suspense en béton qui nous rappelle que l’efficacité se passe de toute sophistication. »
Julie Malaure — Le Point « Sans aucun doute [son thriller] le plus réussi. »
François Aubel — Madame Figaro

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— C’est lui, l’espèce d’enfoiré qui nous a enfermés ici !

— On n’en sait rien. Fiche-lui la paix.

Michel y va de sa réflexion, toujours aussi calme et figé.

— Ce que je ne comprends pas, moi, c’est pourquoi il est tout nu.

Farid pointe la tente, que l’on distingue à peine.

— Fais travailler tes neurones deux, trois minutes. Ce type nous dépose là où personne viendra nous rechercher. Il prend garde à ce que nous ne puissions pas remonter par nous-mêmes en nous enchaînant. Puis il se fout à poil et il jette tout au fond du puits. Tu sais pourquoi ? Parce que ce vicelard, il se doutait qu’on pourrait récupérer ses fringues, ses papiers, qu’est-ce que j’en sais ? Et il veut pas nous les laisser. Même pas son slip, rien. Pervers jusque dans l’au-delà.

Il se tourne vers moi.

— Lis-moi la fin de la lettre deux secondes.

Je sors le papier et le lui tends.

— Tiens…

— Non, lis, toi.

— Tu ne sais pas lire, c’est ça ?

Un silence trop long.

— Je sais lire. Je vois mal de près, c’est tout. Ce con a pensé à tout, sauf à ramener mes lunettes.

Il a une tendance accrue au mensonge, ça ne me plaît pas. Je m’exécute, Farid s’approche.

« Personne ne sait où vous vous trouvez sauf moi, mais je ne pense pas vous être d’un secours quelconque, là où je suis. Et croyez-moi, on ne vous retrouvera jamais. Comprenez bien que vous allez tous mourir. Le tout est de savoir combien de temps vous tiendrez. Et pourquoi. »

Je replie la lettre et la glisse dans ma poche. Farid parle sur un ton agressif :

— Si avec tout ça, c’est pas encore clair pour vous. « Je ne pense pas vous être d’un secours quelconque, là où je suis. » Ça veut bien dire ce que ça veut dire. Il est mort, et il attend qu’on crève aussi.

Je dois admettre la clarté de son raisonnement, il est loin d’être bête, ce môme. La logique indique le suicide, les observations aussi. Une lettre d’instructions, le type reclus au fond de sa tanière pour se donner la mort, et la poudre à canon sur la main droite. J’annonce tout de même :

— Et le deuxième homme ? Celui qui l’a aidé à nous descendre ici. Où est-il ?

Inconsciemment, Michel s’est rapproché de nous. Il a abandonné au sol le revolver et la balle, à un bon mètre, de l’autre côté de la ligne rouge.

— Un deuxième homme ?

— Oui. Je ne pense pas qu’il ait pu agir seul. Pendant mes randonnées touristiques, j’ai déjà porté un ou deux clients qui avaient une cheville foulée. On ne tient pas longtemps, seul, avec un poids mort sur les épaules. Cet homme, on a très bien pu l’amener ici, mort ou vif. Et simuler ensuite un suicide.

Farid porte ses doigts à sa bouche et se rallume une cigarette. Il n’en propose à personne.

— Simuler un suicide, d’accord, d’accord. Au cas où les flics débarqueraient, c’est ça ? Tu m’expliques l’utilité de maquiller un crime en suicide ici ? Il n’y a pas de deuxième homme. D’une manière ou d’une autre, ce mec est parvenu à nous descendre, sûrement par le chemin où Michel l’a trouvé. Et maintenant qu’il est mort, plus personne ne nous sait ici.

Pokhara a échappé à ma vigilance et le renifle, louvoyant autour.

— Pok ! Ici !

Il ne m’obéit pas, c’est inhabituel. Je renouvelle l’ordre, sans succès. Je me précipite, l’attrape par la croupe et lui écrase la gueule au sol. Je le fixe, les yeux dans les yeux, et serre jusqu’à l’entendre couiner.

— Tu vas m’obéir ?

Farid ricane.

— L’appel de la chair, la loi de la viande, nomme ça comme tu veux. Ça surpasse tout ce que tu as pu lui apprendre. Ton animal, il ressemble plus à un loup qu’à un chien. Combien de temps tu crois qu’il va tenir, avec un tel morceau de choix sous le nez ?

Je préfère ne pas y penser. En observant à nouveau le cadavre recroquevillé, mon regard accroche soudain la main gauche. Avec une grimace, je me penche et la soulève.

— Lui aussi, il possédait une alliance, il y a encore la marque d’un anneau. Vous allez croire que je le fais exprès, mais s’il s’était vraiment suicidé, pourquoi il l’aurait enlevée, son alliance ?

Farid ausculte une dernière fois la dépouille, tandis que Michel reste sans réaction. Le jeune presse les mâchoires mortes, démantibulées.

— Tu t’en poses, des questions… Moi, je vois surtout des dents soignées. Enfin, ce qu’il en reste. Des ongles un peu sales, mais vous voyez, c’est bien coupé, au final. Même les pieds. Il se rase le torse, les jambes… Sans doute un sportif. Joli tatouage. Un aigle, c’est la force, non ? Ce gars, il prenait soin de lui.

Il se redresse.

— Jusqu’à ce qu’il se flingue pour une raison qu’il nous reste à découvrir… Et maintenant, on fait quoi ?

Michel descend la fermeture de sa veste-duvet et en sort quelque chose.

— Et si on ouvrait ça ? Il l’avait entre les jambes.

Il tient une grosse enveloppe marron. Je serre les dents.

— Pourquoi vous nous le dites que maintenant ?

— J’ai oublié, c’est tout. Vous croyez que je me retrouve en face d’un macchabée tous les jours ? Je vois des cochons morts, oui, mais les cochons, c’est pas pareil. Des cochons, ça reste des animaux.

Je lui arrache l’enveloppe des mains.

— Essayez de vous rappeler, la prochaine fois.

À mains nues, je tire sur le papier, puis écarte les rebords de l’enveloppe. Si Farid pouvait plonger à l’intérieur, il le ferait. Il est littéralement collé contre moi.

— Alors ?

Je relève des yeux inquiets.

— Des photos. Trois agrandissements, pour être plus précis. J’ai l’impression qu’il y en a un pour chacun d’entre nous.

10

« C’est peut-être cela l’objet de l’escalade : si quelque chose se passe mal, ce sera un combat vital. Les mieux entraînés survivront ; pour les autres, la nature réclamera son dû. »

Moments de doute (1986), de David Roberts

Nous sommes tous trois agglutinés dans le même mètre carré, au bord de la ligne rouge. L’arme est au sol, de l’autre côté, inaccessible pour Farid et moi. J’ai demandé à Michel de placer la lampe au centre de notre cercle de vie. Je sors les agrandissements de l’enveloppe, du 20 x 30. La première photo ne me dit rien du tout, mais touche Michel en plein cœur. Brusquement, sa poitrine tressaute, il porte une main sur son masque. Depuis le début, je le sens à la limite, mais cette fois, nul doute qu’il craque. Il s’en retourne dans un coin, la photo plaquée contre le torse, et se renfrogne. Farid hausse les épaules, l’air goguenard.

J’ai peur d’affronter le deuxième cliché. Je saisis du bout des doigts le rectangle de papier glacé. Tout s’assombrit autour lorsque je vois ce qu’il représente. L’émotion me submerge, je lâche l’enveloppe, recule, abasourdi, anéanti. Les larmes me prennent aux tripes mais je ne chiale pas. Pas devant eux.

L’image, entre mes moufles, représente une photo récente de ma fille Claire. Prise devant une boutique décorée pour Noël, dans une rue d’Annecy. Derrière la photo est inscrit : « Devine ce que je lui ai fait. »

Je porte les mains à mon crâne. Non, ce n’est pas possible. Avec Claire, on a encore discuté par mails, il y a quelques jours. Elle me parlait de la Turquie, de sa formation à l’école de cinéma… Elle disait que… que tout se passait bien, et qu’elle me donnerait d’autres nouvelles bientôt.

Tout tourne soudain autour de moi. Je réalise que, depuis le début peut-être, quelqu’un d’autre a utilisé son ordinateur. Quelqu’un qui s’est joué de moi, qui a tissé sa toile, peu à peu. Il a dû falloir tellement de préparation, de motivation pour mettre au point un stratagème pareil. Mais pourquoi ? Pourquoi ? Au bord des larmes, je me précipite vers Farid.

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