Stephen King - Carnets noirs

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Carnets noirs: краткое содержание, описание и аннотация

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En prenant sa retraite, John Rothstein a plongé dans le désespoir les millions de lecteurs des aventures de Jimmy Gold. Rendu fou de rage par la disparition de son héros favori, Morris Bellamy assassine le vieil écrivain pour s’emparer de sa fortune, mais surtout, de ses précieux carnets de notes. Le bonheur dans le crime ? C’est compter sans les mauvais tours du destin… et la perspicacité du détective Bill Hodges.
Après
King renoue avec un de ses thèmes de prédilection : l’obsession d’un fan. Dans ce formidable roman noir où l’on retrouve les protagonistes de
(prix Edgar 2015), il rend un superbe hommage au pouvoir de la fiction, capable de susciter chez le lecteur le meilleur… ou le pire.
STEPHEN KING
« Une déclaration d’amour à la lecture et à la littérature américaine… Merveilleux, effrayant, émouvant. » The Washington Post

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— Non, m’man, répondit Morris. Qui irait croire ça ? »

D’ordinaire, elle détestait qu’on l’appelle m’man et le disait, mais ce jour-là elle tint sa langue, ce fut donc un bon jour. C’était toujours un bon jour quand il pouvait lui balancer une pique. L’occasion se présentait si peu souvent.

Au début des années soixante-dix, au lycée de Northfield, les comptes rendus de lecture étaient encore un exercice obligatoire en classe de première. On remettait aux élèves une liste ronéotypée de bouquins approuvés par le conseil d’administration parmi lesquels ils devaient faire leur choix. Aux yeux de Morris, la plupart avaient l’air à chier, et, comme d’habitude, il ne se gêna pas pour le dire.

« Hé, regardez ! cria-t-il depuis sa place au dernier rang. Quarante parfums de bouillie américaine ! »

Certains de ses camarades rigolèrent. Il pouvait les faire rire, et même s’il pouvait pas se faire aimer d’eux, ça lui allait. C’étaient des minables voués à des mariages minables et des boulots minables. Ils élèveraient des gosses minables et feraient sauter sur leurs genoux des petits-enfants minables avant d’arriver à leur propre fin minable dans des hôpitaux et des maisons de retraite minables, propulsés vers les ténèbres en étant persuadés d’avoir vécu le Rêve Américain et que Jésus les attendrait aux portes du paradis avec le Guide du Nouvel Arrivant. Morris était destiné à un meilleur avenir. C’était juste qu’il savait pas encore lequel.

M lle Todd — qui avait alors l’âge approximatif qu’aurait Morris quand lui et ses complices s’introduiraient dans la maison de Rothstein — lui demanda de rester après son cours. Alors que les autres sortaient de classe, Morris se prélassa sur sa chaise, jambes écartées de part et d’autre de son pupitre, s’attendant à ce que Todd lui rédige un billet de retenue. Ce serait pas le premier qu’il récolterait pour l’avoir ouvert en classe, mais ce serait son premier en cours d’anglais et il s’en mordait un peu les doigts. Une vague pensée lui traversa l’esprit avec la voix de son père — Tu files un mauvais coton, Morrie — et disparut comme une fine volute de vapeur.

Au lieu de lui donner une colle, M lle Todd (pas exactement belle de visage mais avec un sacré putain de corps) plongea la main dans son sac de bouquins rebondi et en sortit un livre de poche avec une couverture rouge. Un garçon appuyé contre un mur de brique et fumant une cigarette y était esquissé en jaune. Au-dessus figurait le titre : Le Coureur .

« Tu rates jamais une occasion de faire ton petit malin, n’est-ce pas ? » lui demanda M lle Todd.

Elle s’était assise sur le pupitre voisin du sien. Sa jupe était courte, ses cuisses longues, ses collants scintillants.

Morris ne dit rien.

« Dans ce cas précis, je le voyais venir. C’est pourquoi j’ai apporté ce bouquin. C’est une mauvaise bonne nouvelle, mon petit monsieur-je-sais-tout. Tu seras pas collé, mais je te laisse pas le choix non plus. Tu liras ce bouquin, et ce bouquin seulement. Il n’est pas sur la liste du conseil d’administration et je suppose que ça pourrait m’attirer des ennuis, mais je compte sur ton bon fond, car j’aime à croire que tu en as un, aussi infime soit-il. »

Morris jeta un coup d’œil au livre puis, sans se fatiguer à dissimuler son intérêt, regarda les jambes de M lle Todd.

Elle vit la direction de son regard et sourit. L’espace d’un instant, Morris entraperçut un avenir tout tracé pour eux, dont une grande partie passée au lit. Il avait déjà entendu parler de cas similaires. Professeure sexy cherche jeune garçon pour cours particuliers d’éducation sexuelle.

Sa petite bulle de fantasme eut une durée de vie d’environ deux secondes. M lle Todd la fit éclater tout en gardant son sourire.

« Jimmy Gold et toi allez bien vous entendre. C’est une petite merde sarcastique plein de mépris pour lui-même. Vous vous ressemblez beaucoup. » Elle se leva. Sa jupe retomba cinq centimètres au-dessus des genoux. « Bonne chance pour ton compte rendu. Et la prochaine fois que tu lorgneras sous les jupes d’une femme, souviens-toi de ce qu’a dit Mark Twain : “N’importe quel clampin hirsute est capable de regarder .” »

Morris s’éclipsa de la salle de classe le visage en feu, cette fois on ne l’avait pas seulement recadré, on lui avait mis le nez dedans et bien enfoncé. L’envie le démangeait de balancer le livre dans une bouche d’égout aussitôt descendu de bus au croisement de Sycamore et Elm, mais il se retint. Pas parce qu’il avait peur de se faire coller ou virer. Comment pouvait-elle lui faire quoi que ce soit alors que le livre qu’elle lui avait imposé était pas sur la liste agréée ? Il se retint à cause du garçon sur la couverture. Un garçon regardant à travers un nuage de fumée de cigarette avec une espèce d’insolence blasée.

C’est une petite merde sarcastique plein de mépris pour lui-même. Vous vous ressemblez beaucoup.

Sa mère n’était pas là et ne rentrerait pas avant dix heures du soir passées. Elle donnait des cours pour adultes au City College pour arrondir ses fins de mois. Morris savait qu’elle honnissait ces cours, qui étaient selon elle bien en deçà de ses compétences, et lui, ça le faisait bicher. Prends-toi ça, m’man, pensait-il. Prends-toi ça bien profond.

Le congélateur était bourré de plats cuisinés tout prêts. Il en prit un au hasard et le mit au four ; il lirait le temps qu’il soit prêt. Après manger, il irait peut-être en haut attraper un des Playboy de son père sous son lit ( l’héritage du vieux , se disait-il parfois) pour se palucher un moment.

Il avait oublié de mettre le minuteur du four et c’est l’odeur de ragoût de bœuf brûlé qui le tira de son livre, quatre-vingt-dix minutes plus tard. Il avait lu les cent premières pages, désertant cette petite baraque d’après-guerre en préfabriqué de merde perdue au fond des rues aux noms d’arbres pour s’en aller traîner dans les rues de New York avec Jimmy Gold. Comme dans un rêve, Morris alla à la cuisine, enfila les gants matelassés, retira la masse coagulée du four, la jeta à la poubelle et retourna à son Coureur.

Faudra que je le relise, se dit-il. Il avait l’impression d’avoir un peu de fièvre. Et avec un surligneur. Y avait tellement de choses à noter et à se rappeler. Tellement.

L’une des révélations les plus électrisantes dans une vie de lecteur, c’est de découvrir qu’on est un lecteur — pas seulement capable de lire (ce que Morris savait déjà), mais amoureux de la lecture. Éperdument. Raide dingue. Le premier livre qui donne cette impression ne s’oublie jamais et chacune de ses pages semble apporter une nouvelle révélation, une révélation qui brûle et qui enivre : Oui ! C’est ça ! Oui ! Je l’avais vu aussi ! Et, bien sûr : C’est exactement ce que je pense ! C’est ce que je RESSENS !

Morris écrivit un compte rendu de dix pages sur Le Coureur . Celui-ci revint des mains de MlleTood avec un A+ et un unique commentaire : Je savais que tu apprécierais.

Il avait envie de lui dire qu’il avait pas apprécié : il avait aimé. Sincèrement aimé. Et qu’un amour sincère ne meurt jamais.

Le Coureur voit de l’action était tout aussi bon que Le Coureur , sauf qu’au lieu d’être un étranger à New York, Jimmy était maintenant un étranger en Europe, combattant jusqu’au cœur de l’Allemagne, regardant ses amis mourir et, pour finir, fixant avec une hébétude dépassant l’horreur ce qu’il découvrait derrière les barbelés d’un camp de concentration. Les survivants errants et squelettiques confirmaient ce que Jimmy soupçonnait déjà depuis des années , écrivait Rothstein. Tout ça était une monumentale erreur .

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