Georges-Jean Arnaud - Afin que tu vives

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Édith Leblanc passait une existence tranquille dans sa villa cossue de Toulouse, entre sa belle-mère et sa peinture, jusqu'au jour où un couple de jeunes voyous recherchés par la police réussit à s'installer chez elle et fit de sa vie un véritable enfer.

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Tant qu’elle n’était pas en ma possession je ne pouvais rien entreprendre. Déçue, je suis revenue dans la cuisine où brûlait un feu de bois qui n’apportait qu’un semblant de chaleur.

Elle ne pouvait se trouver que dans une des poches de son pantalon.

Sous quel prétexte pouvais-je la lui demander ? Toute question risquait de le rendre méfiant. Il me fallait ruser avec patience.

Dans l’après-midi Fanny vint se faire chauffer du lait. Elle pouffa en regardant ce que je lisais.

— Conseil aux jeunes mamans ! Est-ce que vous vous imaginez que je vous confierai le bébé ?

— Je n’ai aucune aptitude pour faire la nurse, ai-je rétorqué aussitôt.

Pourtant elle était intriguée.

— Pourquoi vous intéressez-vous tant à ce qui concerne le bébé ?

Là je n’ai pas répondu. Dans ses yeux naissait une inquiétude.

— D’abord ce livre m’appartient.

Je le lui ai tendu.

— Je n’aime pas vous voir vous occuper de ça.

La jalousie la faisait souffrir.

— C’est comme pour les affaires du bébé, vous n’arrêtez pas de les tripoter quand je ne suis pas là. J’ai horreur de ça.

— J’aime bien m’assurer de la qualité de ce que je paye.

Mouchée, elle a versé son lait dans un bol. Mais elle hésitait à me quitter, tournait autour de moi, comme dans l’attente d’une confidence ou d’un aveu.

— Si le bébé naît à Toulouse, il se peut que vous ne le voyiez jamais, dit-elle méchamment.

Tranquillement, je l’ai regardée.

— Croyez-vous que j’en serais marrie ? Vous me parlez comme si j’étais la future grand-mère ou la future tante.

— Vous le détestez ?

— Pas plus que vous.

Le bol faillit échapper de ses doigts tremblants.

— Vous le détestez à l’avance parce que ce sera le bébé de Philippe et de moi.

Je souriais. Elle a fini par quitter la pièce. Je réfléchissais au moyen de fouiller les poches de Philippe. Ce dernier est venu me dire qu’il faudrait commander du charbon au village.

— À l’épicerie il y a de petits sacs de cinq kilos faciles à transporter avec la Dauphine. Demain il faudra que j’aille en chercher une dizaine.

— Ça nous reviendra cher.

Ces manifestations inattendues de mon avarice les exaspéraient.

— Évidemment… Tout est cher quand on veut vivre normalement.

J’ai posé mon tricot.

— Croyez-vous que nous vivions normalement ?

Contre ces petites révoltes il ne pouvait absolument rien faire. Il n’avait à sa disposition qu’un moyen de pression, et il ne pouvait l’utiliser qu’une seule fois. À plusieurs reprises il a réprimé de violentes envies de me rouer de coups.

— Je n’ai pas assez d’argent pour aller acheter ces sacs de charbon. Il faut remplir le réservoir d’essence de la bagnole.

Un précieux renseignement.

— Nous attendrons demain, ai-je murmuré.

Il ne pouvait se supporter trop longtemps dans la maison. Il lui fallait courir les routes avec la voiture, aller boire un verre au café du village, faire des achats.

— Pourquoi pas ce soir ?

Bonne occasion de faire le plein d’essence.

— Achetez de l’essence et du charbon.

Je lui ai donné l’appoint. Quelques minutes plus tard la Dauphine s’est éloignée dans le chemin de terre qui rejoint la route. Il s’est mis à neiger peu de temps après. Fanny, enfouie dans une bergère en face du radiateur, paraissait frigorifiée.

— Vous devriez éteindre un moment cet appareil. L’air finit par se vicier.

— Pour avoir froid ? Vous souhaiteriez que j’attrape mal et que mon enfant en soit la victime ?

Sa maternité tournait au complexe. Je n’ai pas insisté et je l’ai laissée seule jusqu’au retour de Philippe. Quand la voiture a été dans la remise accolée à la maison, je suis allée vérifier si le plein d’essence était fait. Il l’était. Philippe transportait les petits sacs de charbon sous l’escalier. La neige tombait de plus en plus épaisse sur la terre gelée depuis deux jours.

— J’ai rapporté du pain. Il paraît qu’au cours du dernier hiver rigoureux le village en a manqué.

Fanny nous rejoignit dans la cuisine. Elle avait jeté une couverture sur ses épaules.

— Les routes seront difficilement praticables demain matin.

Elle a frissonné :

— Si jamais nous avions besoin du médecin ?…

— Tout se passera bien. Ils craignent aussi pour les conduites d’eau. Elles ne sont pas profondément enfouies dans ce pays.

J’ai eu un regard pour le robinet. Il me faudrait penser à ce détail.

À la nuit tombée il neigeait toujours et la couche atteignait vingt centimètres. Le front contre la vitre glacée je me répétais que c’était une nuit idéale. De ma poche j’ai sorti une coupure de journal. L’horaire des trains à Elne, petite ville située à cinq kilomètres de là. Il y avait un dernier train pour Perpignan à onze heures trente du soir. Avec la neige il me faudrait deux heures pour me rendre jusqu’à la gare.

Une soupe épaisse à la mode paysanne mijotait sur le feu de bois. Il ne restait plus que quelques bûches dans la remise. C’était du chêne-vert coupé depuis longtemps, qui brûlait avec une flamme vive. J’aimais m’asseoir devant la cheminée et regarder palpiter le feu.

C’est quand j’ai apporté la soupière que l’idée m’est venue. J’ai fait semblant de trébucher et j’ai répandu une partie du potage sur les jambes de Philippe. Il a poussé un cri de douleur car la soupe était brûlante.

— Mon pantalon !

Une tache épaisse s’étendait sur les deux jambes.

— Elle l’a fait exprès !

J’ai haussé les épaules.

— Je ne suis pas complètement idiote, tout de même. Donnez votre pantalon que je le nettoie.

Philippe a paru surpris de ma proposition.

— Il faut le laver ?

— Un nettoyage à sec suffira peut-être. J’ai ce qu’il faut dans ma chambre.

Par hasard, il avait un vieux pantalon en velours accroché à la porte de la cuisine. Il l’a enfilé tandis que j’emportais l’autre.

Mais j’arrivais à peine dans ma chambre qu’il m’a rejointe.

— Laissez-moi vider mes poches.

Le cœur fou j’ai assisté à la scène. Son paquet de cigarettes, ses allumettes, son mouchoir et de la menue monnaie sont passés dans ses mains.

— C’est tout, je crois.

Pas de carte grise ! Les jambes faibles, je suis entrée dans ma chambre. C’est en vain que j’ai fouillé les poches revolver. Elles étaient vides. J’ai tout d’abord pensé qu’il avait égaré cette pièce officielle.

L’esprit ailleurs j’ai nettoyé les dégâts aussi bien que possible. Quand je suis redescendue ils avaient terminé leur repas.

— Mieux vaut attendre demain pour qu’il achève de sécher.

Peu de temps après ils sont allés se coucher et j’ai ouvert tous les tiroirs des meubles sans trouver cette fameuse carte. Pourtant, il me la fallait. Je ne pouvais laisser un tel indice derrière moi.

Finalement, j’ai rejoint ma chambre. Toute la nuit le vent a soufflé en tempête, faisant tourbillonner la neige. Ma chambre n’avait pas de volets et depuis mon lit je pouvais voir les paquets de flocons s’entasser contre les carreaux.

Le lendemain, la campagne était toute blanche. Plusieurs sortes d’oiseaux volaient à peu de distance, et Philippe regretta de ne pas avoir un fusil. Il y avait des canards et des foulques. La neige ne tombait plus mais le ciel était bas.

Fanny, ce jour-là, s’est levée très tard.

— Nous aurions mieux fait de rester à Toulouse, a-t-elle déclaré sèchement. Au moins là-bas nous ne souffrions pas du froid. Philippe, veux-tu allumer le radiateur ?

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